Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi les industries culturelles sont négligées dans ce pays. J’enrage devant mes compatriotes qui s’extasient devant les Oscars, les Grammie’s, le Salon du Livre, et autres manifestations culturelles outre Atlantique ou Pacifique. J’enrage devant cette société qui a mal à sa culture. Pas de salle de concert (heu à part le palais des Sports, ce sont des Chinois qui l’ont construit donc c’est du tout-en-un: sport, concerts, meetings politiques), pas de bibliothèque nationale (sauf sur le papier), un Musée national en perpétuelle rénovation (à se demander quand il ouvre), des salles de cinéma fermées (aucune salle sur l’ensemble du territoire, elles se sont transformées en temples pentecôtistes ou pire, en magasins de chinoiseries).
Tout ça me rend nostalgique, nostalgique de mon enfance, nostalgique des bons vieux ciné-clubs et vidéo-clubs. C’était le bon vieux temps. A l’époque, on n’avait pas le souci de savoir si on serait vivant en 2035 pour voir le Cameroun devenir «émergent», si l’opération Epervier était une couleuvre déplumée qu’on essayerait de nous faire avaler, on vivait, tout simplement. Pour moi, le vidéo-club était le paradis: il n’y avait qu’une chaîne de télé, la CRTV, qui en dehors de Derrick et de The Old Fox (Commissaire Köster), ne montrait un film inédit que le vendredi, sous l’oeil d’une Tuborg transpirante: «Tuborg vous présente…Cinéma du Monde Entier…».
Le premier jour où je suis entré dans un vidéo club, j’ai cru défaillir de plaisir. Je me souviens du film: «Sakura Killers». Une histoire sans queue ni tête de triades, de ninja et de mafia. Nul, mais j’ai adoré. Dès ce jour, j’ai commencé à maigrir. Pas à cause du SIDA qui ne justifiait pas encore la psychose qu’on observe de nos jours, mais à cause du fait que mes 25 francs de goûter quotidien finissaient invariablement dans la poche crasseuse du tenancier (non moins crasseux) du vidéo-club.
Mon amour pour les vidéo-clubs a duré jusqu’en 98. Je suis un enfant des vidéo-clubs, je l’avoue. Je suis un produit de ces salles, sales, obscures (évidemment!) et malodorantes dont les seuls trésors étaient les images en couleur distillées par un tube cathodique couplé à un magnétoscope antique. C’était le temps des VHS que nous croyions immortelles. Des têtes de lecture qu’il fallait nettoyer avec un morceau de papier. A l’époque, la fiction prenait le pas sur la réalité. On n’était pas comme ces enfants de maintenant qui ont le film et les bonus à la fin du DVD. Ces enfants qui voient une scène et dissertent des heures durant sur la technique de trucage.
Nous, on vivait nos films. A cause de Double Impact, on était persuadés que Jean Claude Van Damme avait un frère dans la réalité, Alex. Nous étions persuadés que le combat de Chuck Norris contre Bruce Lee, arbitré par un chat (ne riez pas) dans La Fureur Du Dragon, était réel. J’ai failli dormir dans la salle un soir après avoir vu La nuit des morts vivants, persuadé que j’allais me faire dévorer si je pointais mon nez dehors. Pour nous, Chow Yung Fat était John Woo. Personne n’avait pris la peine de nous dire que le nom qui apparaissait sur les affiches était celui du réalisateur. Ah! Le merveilleux A Toute Epreuve! On a eu la période chinoise: Bruce Lee et tous les autres Lee. Des films au scenario simple et implacable: tu as tué mon père, tu as tué ma mère, je me suis entraîné avec un maître aux cheveux blancs, maintenant, je reviens pour te tuer.
La période ninja: invariablement, une histoire de ninja de toutes les couleurs (ninja Condor, Ninja IV, American Ninja). La période Chuck Norris qui marque l’apogée du film de guerre: Portés disparus, les Rambo et tous les Delta force (dont le meilleur est Delta Force 2 avec Ramon Cota alias Billy Drago). On a eu notre période Vandamme: mon frère était fort, vous l’avez tué, je vais m’entraîner au fin fond de l’Asie, quand je reviens c’est pour gagner un tournoi mondial de kickboxing. La période Hong Kong. Il ya deux types de héros: les méchants, cf la trilogie Le Syndicat du Crime, et les gentils, cf les incommensurables Police Story.
La période Jet Li: toujours des histoires de Wong Fei Wong, grand maître de Taï chi, avec en arrière plan des rappels de l’histoire de la Chine cf le cultissime Fist of Legend Ma liste n’est évidemment pas exhaustive. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ces films m’ont fait rêver. Le dernier film que j’ai vu dans un vidéo-club c’est Titanic. si! si! en 97, les vidéo-clubs, lieux exclusivement masculins se sont mis à admettre des filles. Alors j’ai invité une jouvencelle pour contempler le chef d’oeuvre de James Cameron. Malgré la chaleur de la salle bondée et mal aérée, je grelottais de froid au même rythme que Jack. Mes dents claquaient en phase avec les siennes, et mes bras couverts de sueur agrippaient le banc devant moi pour lui permettre de mieux s’agripper au débris qui le maintenait à la surface. Oui, je l’avoue, au moment où Leonardo Di Caprio alias Jack Dawson a sombré au fond du Pacifique, mes yeux se sont embués et deux larmes ont coulé dans la pénombre, ce dans l’indifférence totale d’un public qui n’arrêtait pas de se demander « c’est quoi ce film qui dure comme ça? » et de ma compagne qui mâchait son chewing-gum en déclarant «on ment trop dans le film ci ».
Ce jour là, j’ai su que les choses avaient changé et qu’une époque était bel et bien révolue.
Peace Jack !
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