17 personnes enlevées et quinze morts au cours d’une attaque de Boko Haram.
Au téléphone, le vice-Premier ministre Amadou Ali entend les implorations du chef de canton de Kolofata et maire de la ville de Kolofata, Seini Boukar Lamine. «Ils sont passés chez toi et ont fait des dégâts. Ils sont en train de défoncer ma porte, ils défoncent ma porte…». L’ingénieur agronome retraité appelle visiblement à l’aide. Et la conversation s’interrompt. La porte s’est entrouverte. D’après les déclarations du vice-Premier ministre, il devait être 5h40 ce 27 juillet 2014. Le chef traditionnel, son épouse, ses cinq enfants et sa nièce sont pris en otages.
Deux personnes sont tuées au cours de cette attaque dont son petit-frère, Mamadou Boukar, et son marabout connu sous le nom de Malloum. Entre-temps, Amadou Ali réactive ses contacts. Il téléphone aux autorités administratives et militaires locales dont le gouverneur de la région de l’Extrême-Nord et un haut responsable du Bataillon d’intervention rapide (BIR). Puis, en désespoir de cause, il se tourne vers Yaoundé. Il appelle ceux qui peuvent forcer le destin…
C’est la énième fois en cette matinée que l’ancien patron de la Défense, un des barons politiques des régions septentrionales, est scotché au téléphone, remuant ciel et terre pour sauver les siens. Dix minutes avant l’appel de détresse du chef de canton de Kolofata, celui-ci lui avait déjà donné l’alerte… le vice-Premier ministre ignore à ce moment le carnage qui s’est déroulé dans sa résidence, cible prioritaire des assaillants, située à environ 500 m de la maison du chef de canton de Kolofata.
L’attaque lancée contre sa résidence par les assaillants, a été en effet d’une violence inouïe. Ceux-ci n’ont pas hésité à tirer à la roquette et à faire usage de grenades. Sept personnes au total y ont laissé leur vie. Parmi elles, de nombreux proches du vice-Premier ministre dont son petit-frère Alhadji Malloum (mort calciné à la suite de l’explosion d’une grenade), son cousin Mohamadou Djougoudoum), son homme à tout faire à Kolofata et à Maroua, Madi Talba, et la soeur de son épouse retrouvée calcinée dans sa cachette.
Trois personnes travaillant chez lui ont également perdu la vie. Il s’agit de son maître d’hôtel Moussa, du vigile Dasta, et d’un menuisier répondant au nom de François. Aussi, deux gendarmes de garde ce jour, Gaiwé et Adamou, sont tombés les armes à la main. Les éléments de Boko Haram amènent avec eux les survivants qui se terraient ici et là dans la résidence. Soit au total, 09 personnes dont l’épouse du vice-Premier ministre.
Les dégâts matériels sont tout aussi importants chez Amadou Ali. Une partie de sa résidence est partie en fumée. Des quatre véhicules stationnés dans son parking, les assaillants en ont emporté trois, le dernier n’ayant pu l’être que parce que son chauffeur ne se trouvait pas sur les lieux de l’attaque. Deux autres personnes ont perdu la vie au cours de cette attaque. L’infirmier en service à l’hôpital de Kolofata, Issa Plata, a été tué devant sa maison alors qu’il se rendait à son lieu de travail.
De même, l’élève Woleya Julien, 16 ans, arrivé la veille pour célébrer son succès à l’examen du Bepc, a été fauché par les assaillants qui ont aussi emporté sur leur chemin un véhicule de l’armée et un pickup d’une société de téléphonie.
OBJECTIF
De sources concordantes, les éléments de Boko Haram sont arrivés à Kolofata aux alentours de 5h du matin, ce 27 juillet 2014. «Ils sont arrivés à bord de huit véhicules pick-up et à bord de plusieurs motos», confirme une source locale. Le dispositif de l’armée sur place était allégé et la brigade de gendarmerie en cours de transfèrement. «Le camp du BIR a été isolé par un grand nombre d’assaillants qui l’ont maintenu sous des tirs nourris. Les militaires ont riposté vaillamment pu se dégager et porter assistance au chef de canton et aux habitants de la résidence du vice-Premier ministre.
Le sous-préfet qui a trouvé refuge trop tôt au camp, en compagnie de sa famille, a pu, lui, être protégé», renseigne Boukar, un riverain. Sur le nombre d’assaillants, les sources le situent entre 250 et 300. C’est en partie grâce à ce grand nombre, affirment-elles, qu’ils ont pu attaquer plusieurs objectifs à la fois. Toutefois, ils se sont heurtés à la solidité du BIR, et n’ont pu piller le camp.
Pour plusieurs spécialistes, il ne fait aucun doute que la cible principale de l’attaque de Boko Haram était Amadou Ali. «Le vice-Premier ministre reste un objectif prioritaire pour la secte dès lors qu’il gêne son recrutement. D’ethnie Kanuri comme une très grande partie de ses membres, je pense que celle-ci ne lui pardonne pas ses tentatives d’endiguer le départ des jeunes vers ses camps d’entraînement. Il se peut aussi qu’elle le soupçonne de n’être pas étranger à la vague d’arrestations qui la frappe depuis plusieurs mois sur la base des informations fournies par des membres de Boko Haram retournés par lui ou obtenues dans le processus de libération des otages conduit par son homme de main, Abba Malla», affirme un bon connaisseur du dossier.
Cet argumentaire se fonde essentiellement sur l’intérêt porté par les assaillants au chef de canton de Kolofata, un proche du vice-Premier ministre. «Seini Lamine est une autorité traditionnelle Kanuri. Il a été pris avec sa famille parce que la secte estime qu’il est un maillon clé dans le dispositif mis en place par le vice- Premier ministre. Son sort est lié aux pressions que la secte souhaite exercer sur Amadou Ali», affirme un proche de la chefferie de Kolofata. Et de poursuivre : «Oui elle a brisé le baron, le dignitaire, le symbole, l’homme connu et reconnu pour être un acteur important du renseignement et de la sécurité dans notre pays. Elle a peut-être coulé sa carrière politique parce que les gens vont le regarder désormais autrement. Elle a distillé la peur ici et là, chez les chefs traditionnels en particulier. Mais elle ne peut nous imposer ses vues. Nous ne nous soumettrons pas, jamais. Personne ne peut se soumettre à ces gens».
Leur cible, Amadou Ali, l’aura échappé belle. Venu comme à l’accoutumée passer la fête de ramadan dans son village, lui, ses proches et sa famille s’étaient retrouvés à Maroua le 26 juillet 2014. Le vice-Premier ministre était arrivé le même jour directement de Yaoundé, tandis que son épouse, elle, avait débarqué la veille à Garoua. C’est donc dans l’après-midi du 26 juillet 2014 qu’elle prend la direction de Kolofata avec dans ses valises, des cadeaux divers destinés à quelque 300 personnes. Et vingt millions Fcfa à partager aux nécessiteux.
Elle et sa délégation concoctée depuis Garoua arrivent à Kolofata dans les alentours de 18h30. Amadou Ali, selon l’agenda convenu et pour diverses raisons, ne doit la rejoindre seulement que le lendemain au matin. Il reste donc à Maroua en compagnie de son fils. La suite est connue : l’attaque du petit matin… «Ils ont pensé qu’il était là. S’il avait su que ce n’était pas le cas, ils auraient sans aucun doute patienté, quitte à le faire le jour de la fête», indique une source sécuritaire locale.
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