Un quotidien en ligne français accuse l’ancien ministre aujourd’hui en prison d’être à la tête d’une insurrection armée. Des observateurs crédibles y voient une manipulation orchestrée dans les milieux tribaux autour de Paul Biya, engagés eux-mêmes dans une guerre de succession à la tête de l’État camerounais.
La semaine dernière, le site français Mediapart spécialiste des scandales d’État a publié sous la plume de la journaliste Fanny Pigeaud une information faisant de l’ancien ministre camerounais de l’Intérieur, Marafa Hamidou Yaya, détenu depuis plus de deux dans une prison de haute sécurité de Yaoundé, l’un des cerveaux d’une conspiration visant à renverser le régime camerounais. Il s’agit d’une tentative de manipulation si mal cousue qu’il n’est même pas nécessaire d’être expert en géostratégie ou en questions militaires pour en démontrer l’imposture. A-t-on en effet jamais vu le maître d’œuvre d’une tentative de renversement se laisser emprisonner par celui qu’il projetterait d’éliminer, avant d’ordonner l’assaut? A-t-on jamais vu un chasseur de loup se jeter dans la gueule du loup qu’il prétend combattre avant de déclencher les hostilités? C’est pourtant l’impression que laisse l’article.
L’histoire nous apprend que le premier réflexe de tout leader d’une insurrection est de se mettre à l’abri, pour coordonner ses troupes.
C’est depuis Londres où il s’était réfugié que le Général De Gaule lança aux Français sur les ondes de la BBC l’appel aux armes du 18 juin 1940, invitant ses compatriotes à ne pas cesser le combat contre les nazis. En riposte, le régime collaborationniste de Vichy le condamna à mort par décret et le déclara déchu de sa nationalité française. S’il n’avait pas quitté la France pour organiser la résistance, on se doute bien du sort qui lui aurait été réservé.
Plus proche des réalités africaines, tous les organisateurs de putschs de ces dernières décennies ont toujours pris la précaution de se retirer dans quelque pays complice avant de tenter leur coup de force:
C’est depuis Londres où il s’était réfugié que le Général De Gaule lança aux Français sur les ondes de la BBC l’appel aux armes du 18 juin 1940, invitant ses compatriotes à ne pas cesser le combat contre les nazis. En riposte, le régime collaborationniste de Vichy le condamna à mort par décret et le déclara déchu de sa nationalité française. S’il n’avait pas quitté la France pour organiser la résistance, on se doute bien du sort qui lui aurait été réservé.
Plus proche des réalités africaines, tous les organisateurs de putschs de ces dernières décennies ont toujours pris la précaution de se retirer dans quelque pays complice avant de tenter leur coup de force:
- En République Démocratique du Congo, Laurent-Désiré Kabila qui eut raison du Maréchal Mobutu Sesse Seko en mai 1997 lança sa rébellion depuis le Rwanda voisin où il avait obtenu un soutien militaire.
- En Centrafrique six ans plus tard, François Bozizé, ancien pilier du régime Patassé, décida de s’exiler au Tchad avant de déclencher un coup de force contre le président démocratiquement élu.
- Son successeur à la tête du pays, l’éphémère président Michel Djotodia adopta la même stratégie contre lui, et ne quitta le Bénin que lorsqu’il fut sûr que la rébellion hétéroclite baptisée Séléka était suffisamment forte pour le porter au pouvoir.
Comment veut-on donc faire croire que Marafa Hamidou Yaya qui a occupé les plus hautes fonctions dans l’appareil d’État camerounais soit suffisamment naïf pour tenter de s’emparer du pouvoir par la force depuis sa prison de haute sécurité? Il est clair qu’une telle idée ne saurait traverser la tête de cet homme en qui la communauté internationale, ainsi qu’une large frange de l’opinion camerounaise, continuent de voir comme l’un des successeurs les plus crédibles de Paul Biya. En temps normal, il craint déjà pour sa sécurité, et l’a déjà fait savoir par voie de presse, lorsqu’il indiquait qu’il n’était pas suicidaire, au cas où il lui arrivait quelque chose… Orchestrer une tentative de déstabilisation du pays dans ces conditions serait véritablement suicidaire.
Pour ceux qui ne le savent pas, le Secrétariat d’État à la Défense de Yaoundé (le SED de sinistre réputation) où il est enfermé est l’endroit le plus militarisé de la capitale camerounaise. Situé au cœur du quartier général des armées, il est environné par le ministère de la Défense, l’école militaire interarmes, le haut commandement de la gendarmerie et la principale poudrière du pays. Jour et nuit, ses moindres mouvements sont scrutés à la loupe. Et lorsqu’il est malade comme cela a été le cas par deux fois ces derniers mois, l’hôpital où on l’évacue prend l’allure d’une forteresse autour de laquelle pullulent des militaires lourdement armés.
Un homme épris de paix
S’il n’a jamais caché son souhait de proposer aux Camerounais un projet d’alternance politique crédible, M. Marafa s’est toujours déclaré opposé à la violence comme moyen de conquête du pouvoir. Dans la lettre adressée à Mediapart peu après la publication du brûlot, Jeannette son épouse rappelle à ce propos qu’il a publié plusieurs tribunes dans la presse y compris Le Monde, le quotidien de référence français, pour condamner fermement les actions violentes de Boko Haram, et proposer des stratégies pour faire barrage à la secte islamiste. Ceux qui connaissent l’histoire de l’ancien ministre d’État savent qu’il fait partie de ces personnalités camerounaises qui ont gardé un profond traumatisme de la violence armée.
Petit, il connut les troubles qui accompagnèrent l’indépendance du pays, avec son cortège de maquisards décapités, dont les têtes étaient exposées sur des piques, sur la place publique. Lors de la tentative de coup d’État manqué du 06 avril 1984 contre Paul Biya, une purge orchestrée contre les intellectuels et dignitaires originaires du Nord-Cameroun le conduisit dans le camion des condamnés. Il manqua de peu d’être exécuté, ne devant la vie sauve qu’aux efforts acharnés de ses proches dont son épouse, qui réussirent in-extremis à prouver son innocence. Il a enfin vécu l’assassinat en début d’année de Mme Christiane Soppo qui fut sa secrétaire particulière pendant plus de deux décennies et qui lui était restée fidèle en dépit de sa détention comme un drame personnel duquel il peine encore à se révéler.
Manipulation
L’article de Mediapart qui le vise personnellement est arrivé comme le coup de clairon annonçant une purge politique. Dans la foulée de sa publication, des personnalités originaires du Nord-Cameroun ont été interpellés pour leur proximité supposée avec lui, tandis qu’un vent de panique secoue d’autres dignitaires de la région. Il s’agit de tout, sauf d’un travail journalistique sérieux et innocent.
Il faut le dire, la base argumentaire de Mme Pigeaud est des plus fragiles. Elle soutient en effet que la secte islamiste Boko Haram n’a pas le Cameroun pour terrain d’action, et que les attaques qui endeuillent depuis de nombreuses semaines le nord de ce pays sont en réalité le fait des élites locales engagées dans une tentative de déstabilisation du pays.
Il faut le dire, la base argumentaire de Mme Pigeaud est des plus fragiles. Elle soutient en effet que la secte islamiste Boko Haram n’a pas le Cameroun pour terrain d’action, et que les attaques qui endeuillent depuis de nombreuses semaines le nord de ce pays sont en réalité le fait des élites locales engagées dans une tentative de déstabilisation du pays.
Pour prouver sa thèse, la journaliste «free-lance» commence par faire le compte des enlèvements d’occidentaux dans le Nord-Cameroun, des actions non revendiqués selon elle par Boko Haram. Puis, elle évoque des armes de fabrication israélienne laissées lors de leur retrait par les assaillants, alors que seules deux unités d’élites camerounaises, la Brigade d’intervention rapide (BIR) et la garde présidentielle en sont dotées. Un lien a été établi «entre Marafa Hamidou Yaya et un journal accusé de chercher à provoquer les partisans de Boko Haram et à faire du gouvernement camerounais une cible», assure-t-elle, en citant un officiel camerounais qui se serait ouvert à elle sous le couvert de l’anonymat.
Enfin elle rappelle la misère qui sévit dans la partie septentrionale du Cameroun, où près de 40% de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté ce qui en fait un abondant vivier de recrutement pour d’éventuels putschistes. «Une analyse de façade», a commenté Germain Hervé Mbia Yebega, politologue et chercheur à l’université de Paris-Sorbonne. «Ayant parcouru avec beaucoup d'intérêt l'article de Fanny Pigeaud, j'en suis resté à ma soif de questionnement, n'ayant pu véritablement amorcer esquisse de découverte des fondements d'une argumentation», déplore-t-il. Dire en effet que les trafics d’armes sont légion dans le Nord-Cameroun est désormais banal, les services de sécurité l’ayant constaté depuis des années. Par ailleurs, la pauvreté qui y sévit n’épargne aucune région du pays.
Du coup, dans les milieux politiques et médiatiques camerounais, le caractère manipulatoire de l’article fait quasiment l’unanimité. Seule subsiste la quête du commanditaire. «Les anticolonialistes dogmatiques» ont tôt fait d’accuser la France, qui selon eux joue ses propres cartes dans les tractations sur l’après Paul Biya et qui pourrait tirer profit d’une généralisation des troubles à l’échelle du pays. Selon ces observateurs, Paris ne verrait pas d’un mauvais œil la disparition de M. Marafa qui lui permettrait de promouvoir son propre poulain.
Une analyse pareille, qui relève plus de la théorie du complot, ne tient pas la route. Tout d’abord parce que c’est depuis l’Hexagone où elle s’est retirée auprès de ses enfants, que l’épouse de l’ancien ministre organise sa défense. Me Jean-Pierre Mignard, un proche de François Hollande s’est d’ailleurs constitué pour sa défense. Ensuite, une déstabilisation du Cameroun ne profiterait en rien à la France qui y a des intérêts fermement établis. Paul Biya n’a jamais ménagé ses efforts pour protéger les intérêts français s’est ainsi naturellement tourné vers Paris pour demander de l’aide face à Boko Haram. Enfin, dans un communiqué de presse, l’ambassadrice de France à Yaoundé a expliqué que son pays n’avait rien à voir avec les troubles dans le nord du Cameroun.
Le complot des cercles tribaux autour de Paul Biya
Il faudrait peut-être aller chercher la main manipulatrice dans les cercles tribaux établis autour de Paul Biya. On sait que si ceux-ci lui ont permis de pérenniser son pouvoir, ils sont depuis longtemps engagés dans l’élimination systématique de tout concurrent sérieux dans la course successorale. Ils n’ont pas hésité pour cela à instrumentaliser l’opération anti-corruption baptisée «Epervier» par la presse locale. C’est ainsi que M. Marafa a pu écoper de 25 ans de prison alors même que le tribunal qui l'a condamné a reconnu explicitement qu'il n'était coupable d'aucun fait de corruption.
« Je crois que vous vous êtes laissé entraîner aux grands principes du machiavélisme: ruinez qui pourrait un jour vous ruiner ; assassinez votre voisin qui pourrait devenir assez fort pour vous tuer », écrivait Voltaire (1694-1778) dans Politique et législation. «Vous cherchez à mettre hors-jeu une des seules personnalités qui soient à même de mettre le Cameroun sur le chemin de la confiance et du changement », répond en écho, Jeannette Marafa, dans la lettre qu’elle a adressée à la collaboratrice de Mediapart.
Il apparaît de plus en plus clairement que les sources de Fanny Pigeaud se trouvent dans l’entourage proche de Paul Biya, impatient de voir son heure venir. Selon l’Œil du Sahel, un journal camerounais paraissant dans le nord du pays, certaines personnalités des cercles biyaistes ont tenu ce week- end deux conciliabules discrets à Yaoundé. Un dignitaire nordiste cité par le journal explique que leur manœuvre a d’ores et déjà échoué. «Le chef de l’Etat et les services de sécurité savent que nous avons affaire à Boko Haram et non à une rébellion. Nous savons cependant que l’article de Fanny Pigeaud a été conçu à Yaoundé par des petites mains de l’entourage du Président de la République pour préparer l’opinion à des purges et justifier l’exécution d’une action planifiée de longue date. Dieu merci, nous avons identifié ceux qui manœuvrent ainsi en coulisses pour mettre le pays à feu et à sang en dressant les Camerounais les uns contre les autres au lieu de se mobiliser contre la menace Boko Haram. Nous allons informer le chef de l’Etat, garant de l’unité du pays».
La caution blanche
Eu égard au complexe colonial qui continue de les habiter plus de cinquante ans après l’indépendance, les acteurs de ce milieu, une fois leur projet ficelé, n’avaient plus qu’à trouver leur caution blanche pour lancer la rumeur. Fanny Pigeaud et Mediapart faisaient ainsi bien l’affaire. Fanny Pigeaud est en effet la seule journaliste française à avoir commis un livre au vitriol sur la gestion calamiteuse du Cameroun par Paul Biya. Là où un de ses confères, François Mattei, auteur du très dithyrambique «Code Biya» avait préféré se jeter pieds et poings liés dans la soupe généreusement servi par le président camerounais à ses thuriféraires. Mediapart est d’autre part reconnu pour sa grande capacité à déclencher des scandales d’États, dont certains ont entraîné la démission de ministres en France. Accusé par le site de posséder des fonds non déclarés sur un compte en Suisse puis à Singapour, l’ancien ministre délégué chargé du Budget, Jérôme Cahuzac avait fini par quitter le gouvernement du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, dont il était l’un des piliers.
Cependant, certains scoops du patron de Mediapart, le journaliste Edwy Plenel, se sont révélés après coup être de faux grossiers, l’obligeant à se dédire. Cela avait le cas en fin d’année dernière lorsque dans un billet diffusé sur France Culture, le journaliste avait longuement cité une lettre attribué à Nelson Mandela et datant de 2001, dans laquelle l’ancien dirigeant sud-africain condamnait sévèrement l’attitude d’Israël envers les Palestiniens. La lettre s’était révélée être un faux écrit par un journaliste palestinien vivant aux Pays-Bas nommé Arjan el-Fassed, qui en avait réclamé la paternité. Le même Edwy Plenel s’était déjà auparavant rétracté dans une autre affaire, lorsqu’il avait écrit par erreur que le Parti socialiste français avait reçu des financements du dictateur panaméen.
Quoi qu’il en soit les Camerounais qui vivent dans une ambiance de transition politique malgré le silence de Paul Biya, tiennent majoritairement à la paix; et ne veulent pas que le spectre du Rwanda ne touche leur pays. En réalité vu de Yaoundé, un nouveau complot contre Marafa vient d’être éventré.
Quoi qu’il en soit les Camerounais qui vivent dans une ambiance de transition politique malgré le silence de Paul Biya, tiennent majoritairement à la paix; et ne veulent pas que le spectre du Rwanda ne touche leur pays. En réalité vu de Yaoundé, un nouveau complot contre Marafa vient d’être éventré.
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