Ebola, sida, cyberarnaques, rapts ou immigration clandestine : à en croire
les "spécialistes" autoproclamés, le continent serait le géniteur des
problèmes les plus graves de l’Humanité. Est-ce avec les aprioris qu’il faut en
finir ou avec l’Afrique elle-même ?
Si octobre n’était pas, en 2014, le mois de la quête spirituelle, il serait
permis de se demander si le Tout-puissant n’a pas concentré en Afrique toutes
les tares imaginées par son pendant diabolique. Pour peu qu’on ingurgite avec
crédulité les analyses de pseudo-spécialistes qui nourrissent (et que nourrit)
la pensée populaire occidentale, le continent noir mériterait la triste
distinction de fléau intégral. Pas besoin de creuser longtemps : des
rodomontades autorisées aux forums sur internet jaillissent une bonne dizaine
de reproches récurrents, faciles à jeter à la cantonade…
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L’Afrique serait insalubre. Les Occidentaux paranoïaques n’ont pas fini de
cauchemarder sur un virus hémorragique aussi volatile qu’une horde de zombies
que le site américain "Science" publie une étude de
l’université britannique d’Oxford sur l'origine du Sida.
"Anus" horribilis présumé de la pandémie : la République démocratique
du Congo…
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L’Afrique serait arnaqueuse. Sinon pourquoi deux Guinéens
viennent-ils d’être gardés à vue à Douai, dans le nord de la France,
pour avoir voulu payer leurs emplettes avec un billet de 500 euros ?…
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L’Afrique serait corrompue, les biens y étant soit non acquis (par les
va-nu-pieds faméliques) soit mal acquis (par leur classe supérieure). Un a
priori qui devait rassurer sur l’authenticité du billet
"guinéo-ch’ti" de 500 euros, mais inquiéter sur son origine censément
mafieuse…
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L’Afrique serait pique-assiette. Y évolueraient d’invétérés parasites
organisant leurs existences aux crochets de frères qui vivraient aux crochets
de cousins qui vivraient aux crochets de parents éloignés bien placés qui
vivraient aux crochets d’une diaspora qui vivrait aux crochets de prestations
sociales étrangères usurpées. "Les étrangers viennent en France parce que
les prestations sociales y sont plus élevées", rappelait jeudi l’ex-futur
ou futur-ex président Nicolas Sarkozy au Figaro magazine. Les profiteurs en
chef auraient même offensé une brochette de prix Nobel par pure cupidité
sinophile…
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L’Afrique serait bête car analphabète. Ses limites intellectuelles ne
seraient compensées que par une force physique indécente à force d’être
spectaculaire, qu’il s’agisse de la taille moyenne du membre viril ou de la
prédisposition d’un mollet à briller sur les stades…
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L’Afrique serait misogyne, ne laissant à la femme pourtant courageuse ni intégrité
des organes sexuels, ni perspectives professionnelles comparables aux mâles
dominants.
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L’Afrique serait puérile. Crédules et superstitieux, les "nègres"
du continent seraient de grands enfants qui inspireraient une jovialité
agréable, avant de dévoiler le manque de maturité qui explique que cette partie
du monde ne soit pas suffisamment "entrée dans l’Histoire" …
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L’Afrique serait violente. Qu’il se tourne vers l’Est, l’Ouest, le Nord ou
le Sud, le pacifiste pleure face à Boko Haram, Al-Shabbaab, Jund al-Khalifa ou
l’Armée de résistance du Seigneur. Le continent serait un anachronique suppôt
du Moyen-âge.
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L’Afrique serait dépravée. Les prudes occidentaux se laisseraient-ils
exceptionnellement aller à quelque expérience sulfureuse si le lupanar touristique
africain n’était pas évoqué dans des témoignages médiatiques sur le libertinage
de Marrakech, la dépravation de la Grand Baie mauricienne, les amours
prépubères de Banjul ou la débauche de Monbasa ? Les gens du Nord, eux, ont au
moins la décence de ne pas alimenter, par leur copulation débridée, une
démographie incontrôlable…
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Car l’Afrique, enfin, serait irresponsable. Au lieu de surfer avec courage
sur les taux de croissance enthousiasmants de leurs P.I.B., les ressortissants
du continent n’auraient de cesse de glisser sur les flots méditerranéens, de
s’écraser le minois sur les grillages de frontières européennes, non sans avoir
peuplé leurs cours d’origine de mouflets difficiles à nourrir. L’ambition d’un
développement modeste laisserait la place aux fantasmes de smartphones
connectés à haut débit…
Face à ce tableau d’horreur non-exhaustif, certains tentent de repousser le
plus loin possible toute manifestation de l’identité africaine (sauf dans le
spectacle d’un terrain de football ou dans le parfum de l’or noir). Plus
radicaux, d’autres ne dédaigneraient pas qu’on efface une bonne fois pour toute
cette zone géographique à problèmes.
Gageons que l’on prie, ici ou là, pour qu’un astéroïde fonde sur la planète bleue, dessinant une trajectoire certainement influencée par l’aspirateur à cataclysmes que représente le trou noir africain. Mais attention, la mauvaise volonté instinctive du continent noir pourrait dérouter la météorite vers des contrées moins blâmables. Et ça serait encore de la faute de l’Afrique…
L’afropessimisme n’est pas interdit, ni aux journalistes américains
documentés qui rédigent une "Négrologie", ni aux artistes africains
légitimes qui rappent "Peine perdue". Si refuser la pensée unique,
c’est refuser un afropessimisme systématique, c’est aussi réfuter le refus
catégorique de l’afropessimisme et sa pudeur aussi mal placée que stérile.
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