Retour sur le parcours de l'officier de l'armée de terre tombé au front de la guerre contre Boko Haram et qui sera inhumé ce samedi à Foumban.
"Maman, est ce que c'est vrai ce que je lis ? " Probablement la question la plus difficile à laquelle Myriam Njilié a jamais due répondre tout au long d'une existence pourtant jalonnée par une série de drames dont elle pensait que la récurrence avait fini par endurcir un coeur aujourd'hui définitivement brisé. Le mardi 19 avril 2016 au matin, elle a au bout du fil Judith, la fiancée de l'un de ses jumeaux engagé dans les rangs des forces de défense camerounaises aux prises avec la déclinaison subsaharienne de l'organisation terroriste pompeusement baptisée " Etat Islamique ".
Judith est complètement submergée par le flot de larmes qu'elle déverse depuis la France et qui semble pourtant parcourir les frontières pour venir se jeter à Foumbot dans l'esprit estomaqué de la mère de son " Fred ". Dans un premier temps, Myriam rassure la dulcinée de son rejeton en insistant sur le fait qu'il n'en est rien, sûrement une rumeur comme celles qui pullulent sur les réseaux sociaux. La révérende docteure de l'Eglise Evangélique du Cameroun va même se muer en apôtre Thomas, marquant son incrédulité quant à cette information dont elle n'a eu aucun vent et qui de toute façon ne s'aurait être vraie, son dernier fils étant au coeur de ses supplications quotidiennes vers l'être suprême dont elle est l'une des ouvrières en sa qualité de présidente de la région synodale du Noun.
Au fil de la conversation aux allures de récital de tristesse, le désarroi de Judith va finalement lever le voile sur ce qu'elle redoutait le plus et consacrer une hantise dont elle ne pourra désormais se dérober : Frédéric Olivier Njilié Fifen, son garçon, est mort. Dans la nuit du 18 au 19 avril, l'Officier Adjoint dans le secteur deWaza relevant de l'Opération Alpha et ses frères d'armes tombent sur une embuscade élaborée par les pantins meurtriers du gourou Abubakar Shekau.
Sur la route nationale numéro 1 située entre les localités de Zigagué et Salé dans le département du Logone et Chari, " Fred " va être assassiné par ces lugubres envoyés de la grande faucheuse qui prendront également les âmes des soldats de 2ème classe Delfranck Bakema et Moustapha Sadjo. Des dernières pensées du lieutenant du Bataillon d'Intervention Rapide (BIR), on ne peut en avoir qu'une perception empreinte d'imagination, son flashback dans le passé de sa trop courte vie ayant sûrement vu figurer aux premières loges l'enfant que Judith et lui devaient accueillir ensemble en juin prochain. Boko Haram a rendu ce jour maudit, orphelin ce bébé encore dans le ventre de sa mère de même qu'une famille, une compagne, des amis, des proches, une armée et surtout un pays dévasté devant une barbarie face à laquelle personne n'était préparé.
Né le 26 février 1991 à Douala, Frédéric a dû recevoir au berceau la visite de la fée clochette des comtes Disney dont le rôle est de venir donner une onction spéciale sur le parcours des petits nourrissons dont elle a la charge de suivre le cheminement. Il est le petitfils du prince Nji Njianga Ali qui n'est autre que l'un des nombreux enfants du mythique roi Njoya à qui l'on doit l'écriture du peuple Bamoun et la construction du palais du Sultan. Frédéric Olivier a reçu avec son frère jumeau des prénoms qui en disent beaucoup sur les espoirs placés en eux par leurs parents. Référence au roi macédonien Alexandre le Grand pour l'ainé et clin d'oeil au monarque conquérant Frédéric II de Prusse pour le second. Avec des prénoms pareils, Myriam et David Njilié voyaient grand pour leur progéniture.
Après une série d'accouchements difficiles, le couple pouvait une nouvelle foi goûter au bonheur même si Frédéric est sorti du ventre par les pieds, " preuve qu'il avait du caractère " selon sa mère.
Le rêve de Saint-Cyr
Nous recevant avec une dignité exceptionnelle dans sa résidence située au quartier Mendong à Yaoundé le 25 avril dernier, " la princesse " Myriam a bien voulu, moins d'une semaine après le drame, revenir sur les grandes étapes de la vie de " son bébé ". David, son époux n'a pas pu nous confier ses sentiments suite à la mort du fruit de ses entrailles, trop occupé à l'accueillir dans l'audelà où il se trouve depuis 2013. Administrateur civil principal passé par la préfectorale et la diplomatie, Njilié père a été pendant près de 10 ans l'adjoint de Bienvenu Obelabout à la direction générale à la recherche extérieure, les services de renseignements nationaux. La figure paternelle va guider le jeune Frédéric qui montrera très tôt un certain goût pour tout ce qui a trait à la sphère des militaires, son oncle le colonel Njingoumbe Tetmoun, aujourd'hui à la retraite, l'ayant précédé dans les effectifs de la grande muette.
Le déclic viendra d'après sa mère d'un séjour en France. Làbas, et par un concours de circonstance, les jumeaux vont se retrouver à faire une visite des grands monuments du coin. Vient alors un passage à la prestigieuse école spéciale militaire de Saint Cyr. Frédéric n'hésite plus et fait son choix : il veut ardemment rejoindre ces rangs. Dubitative, Myriam laisse faire mais voit d'unoeil un peu surpris cette passion de plus en plus grandissante de son bambin pour ce métier où la guerre n'est jamais loin. " Bachelier au Collège Vogt à 17 ans sans jamais avoir repris de classe " insiste la descendante du roi Njoya, il parvient à réaliser son rêve qui lui permettra de suivre les traces de ses illustres devanciers à Saint-Cyr dont les noms donnent une idée de son prestige : le français Charles de Gaulle, le tunisien Ben Ali, les généraux camerounais Pierre Semengue, Jean René Youmba, Joseph Fouda ainsi que le colonel de gendarmerie Akono Herman entre autres.
De 2008 à 2014, " Fred " va choisir l'Infanterie et multiplier les brevets de spécialisation et certification, une bonne dizaine. En parallèle à sa formation à Saint- Cyr, il va entamer des études universitaires qui produiront une Licence en Histoire et un Master en Relations Internationales dont le mémoire a porté sur le panafricanisme obtenu à l'Université de Paris Ouest Nanterre La Défense. Souhaitant être un officier aussi apte sur les théâtres de combat que dans les amphithéâtres du savoir, son rêve était selon les propos de sa mère d'obtenir un doctorant qui lui aurait donné la possibilité d'enseigner la stratégie à l'Iric.
Un peu comme le Général Nganso Sunji Jean en son temps passé par l'Ecole polytechnique de Paris où il est sorti avec un diplôme d'ingénieur, le lieutenant Njilié souhaitait incarner une armée dont le rôle devait transcender la simple défense du territoire pour désormais contribuer de façon active, effective et décisive à son développement. Après un séjour hexagonal de six ans financé par une bourse de l'Etat du Cameroun, Frédéric Olivier va rentrer au bercail et rejoindre une autre institution prisée : le fameux BIR, cette unité qui fait rêver les hommes en tenue de chez nous et dont le mode de sélection est des plus rigoureux.
Du 1er décembre 2014 au 11 mars 2015, il sera commandant de compagnie au deuxième groupement d'instruction commando des BIR puis commandant de la 23ième compagnie d'instruction à Limbé du 30 mars au 11 septembre de la même année avant de plonger de plein pieds, moins d'un an après la fin de sa formation en France, dans la guerre contre Boko Haram comme officier adjoint à la deuxième unité légère d'intervention de l'Opération Alpha dans la zone sud à Amchidé.
Destin brisé
Trop tôt ? Sa mère en tout cas le pense. Son calme impérial dans une épreuve aussi difficile peine à masquer le chapelet de questions qu'elle se pose. " Si vraiment il voulait aller dans l'Extrême Nord, la hiérarchie aurait pu refuser. Il était trop jeune et n'était pas prêt pour moi. A mes yeux, il restait un enfant et je m'attendais plutôt qu'on envoie les anciens militaires qui ont connu le maquis, ont l'expérience pour aller là-bas. Je ne s'aurais dire s'il a voulu y aller ou si la hiérarchie l'a voulu mais je me demande toujours pourquoi lui.
Il a appris la guerre normale à l'école mais celle qu'il est allé faire n'a pas de règles " dit Myriam dans une voix qui sonne comme le cri de révolte d'une mère qui a reçu l'annonce de l'affectation de Frédéric sur le champ de bataille comme un uppercut. Sur les quatre enfants qu'a eu le couple Njilié, l'élément du BIR était le dernier. L'ainé de la fratrie Stéphane est décédé à l'âge de 34 ans il y a quelques années et le second Francis est actuellement délégué départemental du Ministère du Travail dans le département du Mungo.
Contre toute attente, c'est plutôt " Fred " qui sera désigné par le père de son vivant afin d'assurer le rôle de successeur, soit le nouveau chef de famille avec tous ce que cela implique comme responsabilités, surtout dans la culture Bamoun où les usages et coutumes traditionnels sont encore vivaces. Son entourage va lui suggérer à plusieurs reprises de solliciter une mutation vers un coin moins chaud du pays mais le lieutenant répondait toujours avec sérénité qu'il a l'obligation de servir la nation car : " Qui irait pour nous défendre ?(...) j'y vais pour que ces barbares ne viennent pas ici pour vous détruire " a-t-il même dit à sa fiancée Judith.
" Un jour, il a appelé de retour d'une opération. C'était chaud autour de 20 heures pour une patrouille à Waza avec des attaques simultanées. Il a frôlé de près une kamikaze, un de ses camarades l'a sauvé à temps car elle voulait activer sa charge " confesse le pasteur de l'Eglise Evangélique. La mort a plané sur le " petit Njilié " ce soir-là. Loin d'être apeuré, il a continué sa mission sans jamais confier le moindre état d'âme à sa mère. à l'une de ses cousines, il a pourtant écrit via le réseau social WhatsApp dans un style propre aux jeunes gens de sa génération dite " Androïde " qu'il y a " tjrs le risque qu'un de nous reste car c pas la blague ces choses ci (...) merci grande soeur pour ton soutien.
Tu n'imagines pas ça me fait plaisir que tu aies suivi mon appel. Qd on fait tt ca on se dit svt est ce que les gens en bas savent même de quoi il s'agit ? De quoi ou de quels types de barbares on les protège ? Et la regarde ce reportage, c'est vraiment réconfortant. Car la on se dit ah il y a au moins des gens qui s'intéressent ce qu'on fait ds leur propre pays. " Peut-on encore croire en un Dieu qui a tant de fois plongé une famille dans la douleur de la perte d'un être chère ? La foi d'une responsable de paroisse évangélique ne va-t-elle pas vaciller ? Ces interrogations légitimes, Myriam Njilié se les pose même si elle ne le dit pas. Les traits marqués par la tristesse que l'on peut déceler sur son visage traduisent les épreuves qui l'ont affecté.
Le Jour : William Oyono
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