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Une bonne année panafricaine : que peut l’Afrique face à Trump en 2017 ? par Thierry Amougou

L'Afrique peut habilement augmenter son pouvoir de négociation vis-à-vis de l'UE en profitant de la brêche ouverte par Donald Trump pour renégocier les accords de libre-échange avec l'UE.

Avec Vladimir Poutine en Russie, Recep Tayyip Erdogan en Turquie, le Brexit en Grande-Bretagne, l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis, les sondages très favorables au FN en France, une Chine plus que jamais en route vers la superpuissance autocentrée, et un Etat islamique toujours en quête de son Khalifa, l'année 2016 s'est achevée sur un raidissement nationaliste sur le plan politique, et un anti-internationalisme sur le plan économique. Deux dynamiques qui posent les bases d'un axe politique mondial dominé par la préférence nationale sur le cosmopolitisme, et d'un axe économique inféodé aux velléités protectionnistes. Le triptyque, " la nation d'abord ", " les étrangers chez eux " et " l'économie au service du patriotisme ", regroupe les trois tendances qui, désormais, prennent la place du libre-échange, du monétarisme et de la politique de l'offre, points cardinaux de la révolution conservatrice des années 1980. Il est par conséquent crucial, dans ces conditions politico-économiques, que l'Afrique pense à sa propre économie politique de peur de ne servir une fois de plus que les intérêts des autres parce que sans stratégie au service d'elle-même. La tïche majeure d'une économie politique panafricaine, au sens de meilleure intelligence des interactions entre politiques et économies panafricaines dans un monde marqué par un nationalisme politique et un patriotisme économique, est de tracer un cadre politico-économique pouvant lui permettre de tirer son épingle du jeu dans sa quête de développement. S'atteler à cette tâche de façon récurrente chaque nouvelle année est d'autant plus important qu'il n'est nullement question de l'Afrique dans les campagnes présidentielles américaine et française et encore moins dans les préoccupations impériales de la Turquie. Trump dans sa logorrhée préélectorale est resté coi et évasif sur l'Afrique, quand Vladimir Putine n'en parle guêre, et la Chine uniquement comme son réservoir de matières premières dans le cadre d'une coopération tiers-mondiste.

* Face à Donald Trump, quelle stratégie ?

Même si le cycle politico-économique, phase d'annonces populaires pour séduire l'électorat est pour beaucoup dans les promesses électorales de Donald Trump qui n'engagent que ceux qui y croient et non lui, l'équipe déjà constituée par le futur locataire de la maison Blanche se caractérise par son conservatisme radical, une lecture pro-Putine de la scène internationale, et une politique économique axée sur l'essor du business : le ministère du travail est occupé par un patron de chaînes de fast-food, le portefeuille de l'économie par un ancien banquier de Goldman Sachs, les Affaires étrangêres par un pro-Putine PDG d'Exxon Mobil, et celui du commerce par un investisseur expert en redressement d'entreprises et protectionniste sous Reagan.

Si l'Afrique peut profiter de la dimension pragmatique de cette équipe en sortant des idéologies des institutions financières internationales pour implémenter uniquement ce qui marche sur le terrain, ce gouvernement d'hommes d'affaires peut aussi être un problème pour elles s'il n'a aucune considération des précautions éthiques et sociales qui devraient encadrer les populations africaines vulnérables face au grand capital américain. Concernant la politique entrepreneuriale, Trump compte rendre les Etats-Unis encore plus attractifs fiscalement de façon à ce que les entreprises américaines investissent prioritairement sur le plan national. Il propose dès lors de baisser l'IS (l'impôt sur les sociétés) de 35 à 15% et d'appliquer une taxe de 10 % seulement au profit des entreprises américaines rapatriés aux Etats-Unis. C'est une politique fiscale susceptible de faire baisser le nombre d'entreprises américaines investissant en Afrique et une perte d'emplois si des entreprises américaines tirent plus d'avantages à le faire sur place aux Etats-Unis. L'avantage qu'a l'Afrique dans ce champ est son avantage comparatif naturel au sens où elle possède des matières premières qui n'existent pas sur place aux USA et que le différentiel fiscal favorable du territoire américain ne peut compenser le manque ou les coûts de leur importation d'Afrique pour alimenter la production américaine.

Si une forme d'amnistie fiscale compte faire les beaux jours des entreprises américaines, les banques et la finance vont aussi bénéficier d'une nouvelle politique de dérégulation détricotant notamment la loi Dodd-Frank mise en place par l'administration Obama afin de réguler, dès 2010, les banques et d'éviter les pratiques ayant entraîné la crise des crédit hypothécaires de 2007. Dans la même veine, la loi Volker qui encadrait jusque-là la capacité des banques américaines à spéculer pour elles-mêmes sera aussi annulée. L'Afrique face à cela doit veiller à ce que son systême bancaire, três souvent constitué de filiales de banques internationales, ne se cantonnent encore plus à faire des placements rémunérateurs à travers le monde et à servir de plaque tournante aux capitaux flottants sans soutenir l'activité économique africaine via le canal du crédit. L'Afrique souffre déjà beaucoup de l'anomalie économique chronique d'avoir des banques commerciales surliquides qui n'accordent aucun crédit aux investisseurs africains mais font toutes des placements spéculatifs hors d'Afrique qui, ainsi, ne sert que de zone de transit des capitaux flottants. Exiger aux banques internationales qui veulent développer leurs activités en Afrique à accorder un certain pourcentage de crédit aux investisseurs africains crédibles, serait une mesure capable de soutenir l'économie réelle africaine face à cette situation.



Le paradoxe dans le programme de Trump est qu'il souffle à la fois le chaud et le froid. Comment encourager la spéculation internationale des banques américaines et ne pas appliquer les accords de libre-échange signés par les Etats-Unis ? L'idée de Donald Trump est de gagner à tous les coups en renégociant pied à pied les accords de libre-échange et utiliser la puissance des banques américaines pour soutenir le levier national des affaires via le canal large du crédit. Un des aspects sur lesquels l'Afrique doit être attentive est celui de la coopération au développement et du respect des résolutions des accords de Paris sur le développement durable (COP21). L'Afrique qui a bénéficié d'une hausse de l'aide américaine au développement sous Obama, verra certainement celle-ci diminuer drastiquement ou disparaitre sous Donald Trump axé plus sur les affaires que sur l'aide. Est-ce un mal pour un bien ?

Il ne peut en être ainsi que si l'Afrique utilise la présence de la Chine, autre Etat pro business dans son approche de l'aide, pour construire une coopération économique où seul le mieux disant sur le plan économique, social, environnemental et du développement aura ses faveurs. L'Afrique a actuellement la main car elle est pratiquement en situation de monopole dans l'offre de certaines matiêres premiêres. A elle d'utiliser cette force du monopole pour exiger en retour des contreparties capables d'assurer son développement écologique, économique et social. La Chine, principal partenaire de l'Afrique ces derniers temps, exige aux Occidentaux de lui laisser leur technologie en guise de prix à payer par eux pour intégrer son vaste marché. Rien n'empêche à l'Afrique d'exiger le même type de contreparties aux Chinois et aux Occidentaux qui veulent ses matiêres premiêres.

Par ailleurs, face à un Trump à un Trump climato sceptique, la défense des aspects favorables pour elle dans les objectifs de développement durable fixés à la COP21 à Paris est três importante car l'Afrique ne doit pas accepter de se livrer au monde des affaires sans protéger son capital naturel sur lequel repose à la fois ses économies et une durabilité à construire comme avantage comparatif en qualité de vie par rapport à un Occident désormais dans sa phase de rendements décroissants sur le plan environnemental. Etant donné que Trump veut aller en guerre contre la Chine, c'est à l'Afrique d'exploiter cette rivalité pour mieux se vendre et tirer profit de ses atouts convoités par ces deux pays continents car sa valeur ajoutée sera en hausse dans cette rivalité au sommet.

L'Afrique, dans le champ politique, stricto sensu, risque de perdre le grand apport moralisateur d'Obama pour l'installation de valeurs pro-démocratie au cœur du jeu politique du continent noir. Barack Obama, volens nolens, a été d'une modernité politique positive pour le renforcement des principes électifs en Afrique en martelant chaque fois que l'Afrique n'avait pas besoin d'hommes fort mais plutôt d'institutions fortes. Cette caution pro-démocratique qu'il représentait à chacun de ses voyages en Afrique, risque de se perdre dans un monde dominé par la Russie qui n'est pas un parangon de démocratie, la Chine toujours en mode parti unique, et les USA version Trump orientés uniquement vers le business. Si plusieurs dictatures africaines peuvent se sentir fort à l'aise dans ce nouveau monde rétif aux valeurs démocratiques, les populations africaines peuvent le payer au prix fort. D'où l'importance de la société civile panafricaine qui doit veiller à la consolidation des quelques marges de manœuvres politiques grignotées par les populations africaines depuis les années 1990.

* Comment utiliser la stratégie de Trump pour renégocier avec l'UE ?

Lorsqu'on sait le rôle que jouit le nationalisme panafricain dans l'éveil du continent noir au XXême siêcle, l'Afrique peut être favorablement sensible à un monde qui, en 2017, semble s'orienter vers le nationalisme politique et un patriotisme économique. Il ne faut cependant pas oublier deux dangers consubstantiels à un tel monde.

Premièrement, le conservatisme qui se dessine ici et là n'est pas favorable à une Afrique qui a besoin de mouvement dans tous les domaines pour son développement économique, politique, social et écologique. Les politiques conservatrices sont des politiques favorables aux classes sociales aisées et aux pays qui estiment primordial de préserver leurs acquis. Les classes sociales et aisées et la préservation des acquis ne sont pas deux objectifs primordiaux dans une Afrique où la pauvreté reste massive, les économies à diversifier, la répartition des richesses à parfaire et la démocratie à conquérir.


Deuxièmement, l'UE reste une construction à encourager par l'Afrique malgré le Brexit. La réponse des peuples occidentaux à la crise des surprimes semble un raidissement identitaire après une crise économique, et rappelle, toutes proportions gardées, de sombres moments pour le monde aux lendemains de la crise de 1930. L'UE comme rempart contre les chemins possibles d'un rejet du multiculturalisme, du libre-échange et des accords multilatéraux par les acteurs les plus à même de les renforcer. Les conjonctures de crise économique, de pauvreté massive suite au chômage et de peur suite à l'insécurité liée aux attentats terroristes, sont toujours une conjoncture en or pour le protectionnisme et le nationalisme comme dans les années 1930.

Cela étant dit, le fait que Donald Trump veuille renégocier les accords de libre-échange, notamment CETA et TAFTA, de façon à favoriser son pays, est une occasion en or à saisir par l'Afrique pour renégocier à son tour les APE dont plusieurs points sont peu satisfaisants par rapport à son développement. L'Afrique peut habilement augmenter son pouvoir de négociation vis-à-vis de l'UE en profitant de la brèche ouverte par Donald Trump pour renégocier les accords de libre-échange avec l'UE et, ainsi, tirer la couverture de son côté en exploitant de façon adaptée les arguments de Trump. Le pragmatisme politique exige que l'Afrique s'accroche à la puissance des Etats-Unis pour renégocier les accords de libre-échange avec l'UE qui lui sont défavorables par rapport à son développement en examinant si ce que Trump demandera en retour de son soutien mérite la renégociation des APE.

Se protéger par rapport aux aspects coûteux du libre-échange tout en restant ouverte est crucial pour une Afrique qui vise " l'émergence ". Cette dernière ne peut se construire de façon crédible qu'en étant à la fois ouvert aux dynamiques économiques globales et autonome par rapport au degré d'ouverture à celles-ci. Ce à quoi doit se préparer l'Afrique sous l'êre Trump est une guerre commerciale car si le libre-échange peut être coûteux, le protectionnisme est du domaine de la guerre économique. Tout ce qu'on peut espérer est que son pendant politique, le nationalisme, ne devienne la flamme proche du baril de poudre

Thierry Amougou, Macroéconomiste Hétérodoxe Du Développement, Pr. Université Catholique De Louvain, Fondateur Et Animateur Du CRESPOL, Cercle De Réflexions Economiques, Sociales Et Politiques. Cercle_crespol@yahoo.be



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