«Sur l’échiquier politique national, ils jouent rarement les premiers
rôles, s’estiment trop souvent relégués à l’arrière-plan du jeu
politique, régulièrement ignorés, quelquefois méprisés et, pour tout
dire, marginalisés. Au Cameroun, les « Anglos », comme aiment encore les
appeler nombre de leurs compatriotes, ont décidé de se rappeler aux
bons souvenirs du pouvoir de Paul Biya, et ils placent la barre très
haut : l’indépendance ! Et voici le Cameroun ramené un demi-siècle en
arrière.
Edouard du Penhoat : A la veille du 1er octobre, annoncé par
ceux que l’on désigne déjà comme les séparatistes camerounais pour
proclamer l’indépendance de leur région, un couvre-feu préventif a été
instauré dans le Sud-ouest et le Nord-ouest du Cameroun. Comment
expliquer que cette date, qui symbolisa, en 1961, la réunification de ce
pays, en vienne, aujourd’hui, à marquer la discorde, sinon la
désintégration de l’unité nationale ?
S’il est vrai que personne ne croit ni à une indépendance ni à un
retour au fédéralisme, le fait même que l’on en soit à parler de risque
de remise en cause de l’unité nationale est un aveu d’échec pour ceux
qui, au pouvoir à Yaoundé, n’ont cessé de banaliser les souffrances et
les frustrations d’une partie de leur peuple. Et, voilà comment un
ministre, à mille lieues de la marginalisation que vit une partie de ses
concitoyens, en arrive à se laisser aller à des comparaisons
malheureuses, du genre de celles qui assimilent les revendications de
gens qui souffrent réellement aux pratiques des pires gangsters de notre
siècle, les terroristes.
Les dirigeants camerounais ne peuvent pas décemment continuer à
réagir comme si les frustrations qu’énoncent les anglophones, faits et
chiffres à l’appui, n’étaient que les caprices de gens jamais contents,
toujours insatisfaits, en dépit de toutes les faveurs que le pouvoir
peut leur accorder. Il y a des interrogations légitimes sur la place qui
est la leur dans cette République naguère fédérale, puis unie, et
désormais une.
La République a beau être une et indivisible, l’on ne peut pas
oublier qu’à ces anglophones, dans les années soixante et soixante-dix,
les dirigeants, francophones, du Cameroun, avaient dû faire une cour
assidue, pour les convaincre d’adhérer à une réunification, alors pleine
de nombreuses promesses. L’on ne peut pas faire, aujourd’hui, comme si
ces populations n’avaient jamais aucun autre choix.
D’autres entités, dans d’autres nations, ont des aspirations et des revendications similaires, en Afrique, et même au Cameroun…
Sauf que l’on ne peut pas traiter les anglophones camerounais comme
les populations d’autres nations, dans lesquelles il y aurait des
revendications régionales, indépendantistes, et autres, au sein de
républiques, à l’origine, unies. La fusion totale des anglophones dans
le Cameroun, tel que nous le connaissons aujourd’hui, a nécessité des
étapes diverses, avec les subtilités de langage appropriées à chaque
phase. République Fédérale, République unie, jusqu’à l’actuelle
République du Cameroun.
Les frustrations des anglophones, aujourd’hui, plongent donc leurs
racines dans les promesses non tenues des phases successives par
lesquelles ils ont été attirés dans… ce mariage !
Cela justifie-t-il, pour autant, que l’on veuille revenir en arrière ? L’unité est consommée…
L’unité, même consolidée, ne peut être viable, si elle fonctionne
comme un piège. Comme si, dès lors que vous y êtes entré, vous n’aviez
plus le choix. Comme si toute l’attention dont on vous a entouré avant
de vous y entraîner, disparaissait, comme dans un mariage contraint. Et
l’histoire du monde, même l’histoire récente du continent africain
montre que les populations qui se sentent mal dans une nation peuvent la
quitter, pour aller vivre leur destin ailleurs. Pour le meilleur, ou
pour le pire, comme on pourrait le dire pour le Soudan du Sud, par
exemple. Mais, voyez-vous, en dépit de l’enfer qu’ils vivent
aujourd’hui, les Soudanais du Sud, s’ils étaient consultés, vous
diraient probablement que pour rien au monde, ils ne retourneraient dans
le Soudan d’hier.
N’y aurait-il donc aucune solution, en dehors du fédéralisme ou de l’indépendance, pour les anglophones du Cameroun ?
Toutes les solutions restent possibles. Y compris le statu quo
institutionnel, mais avec quelques garanties solides d’y être mieux
traités. Ce peut aussi être avec des réaménagements institutionnels, qui
leur concèderaient un peu mieux, un peu plus que le cinquième rang,
dans le protocole d’Etat. Et, aussi, quelques autres petites garanties,
par rapport au bilinguisme, qui devrait être une richesse pour tous, et
non une corvée pour certains.
Le monde comptait quelque 159 Etats avant la chute du Mur de Berlin.
Les Nations unies affichent, aujourd’hui, pas moins de 193 Etats
membres, et les chiffres précis s’élèvent à 197. Les explorateurs n’ont
pourtant découvert aucune île nouvelle, aucun continent supplémentaire.
Outre l’accession de territoires et peuples sous domination à la
souveraineté internationale, la plupart des nouveaux Etats sont issus du
désossement d’Etats au sein desquels certains peuples se sentant à
l’étroit ont pris le large.
Même l’Afrique, après avoir chanté, trois décennies durant,
l’intangibilité des frontières issues de la colonisation, a fini par
concéder la naissance de trois ou quatre nouveaux Etats, dont
l’Erythrée, soustraite de l’Ethiopie, et le Soudan du Sud, déduit du
Soudan.
Car le mépris et la condescendance sont ce qu’il y a de plus friable,
comme ciment, pour l’unité nationale. Au Soudan, comme au Cameroun”.
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