Partir, c'est mourir un peu, nous apprend le poète. Autant partir, quitte à mourir, semblent lui rétorquer ces milliers de Camerounais toujours aussi nombreux aux portillons de l'Occident, qui n'en finit plus de se refermer sur lui-même contre la misère du monde. Un Occident ébranlé dans ses certitudes économiques par la bulle immobilière qui a débouché sur une crise économique féroce, créant un malaise social rarement expérimenté en Europe et aux Etats-Unis.
En réel état de crise, les sociétés occidentales ont enregistré la montée vertigineuse des «extrêmes droites» qui s'abreuvent au thème lapidaire de l'immigré envahisseur. Elles doivent aussi composer avec des envies de retour d'une tranche de cadres africains, bien informés de la saturation sociale et économique de ces pays dits développés qui peinent à se renouveler.
Bien conscients aussi des enjeux d'une Afrique qui se pose désormais comme un pôle économique porteur, de jeunes Camerounais ont délaissé le relatif confort d'une assurance salariale, pour se lancer dans le grand bain de l'entrepreneuriat en Afrique. «La boîte qui m'employait en Europe me donnait la possibilité de faire des voyages en Afrique et quand je me retrouvais surie continent, je me demandais toujours pourquoi ne pas reproduire ce qui se fait ailleurs ici chez nous», confie Idriss Nguepiang, promoteur d'une chaîne des restaurants au Cameroun.
Le désir d'entreprendre pour son pays, de faire la différence, est le principal ferment de cette vague de retours volontaires: «Je pouvais encore rester en Angleterre où j'ai été formé et où j'ai travaillé pendant plus de 10 ans, mais, à un moment, on se pose la question du comment être utile à son pays », indique Fred Bougna, qui a repris et développé une activité familiale de location de voitures de luxe.
Cet élan patriotique s'accompagne d'une plus-value managériale, d'une certaine ingénierie entrepreneuriale : « Ces immigrés qui reviennent sont des passeurs et des médiateurs de la modernité économique a, souligne le socio-politiste Mathias Owona Nguini. Cet apport en concept neufs est lisible dans les projets lancés par ces jeunes entrepreneurs qui osent un retour.
Tchop et Yamo
La chaîne de restaurants d'Idriss Nguepnang concilie les exigences d'un restaurant moderne et convivial avec des éléments culturels camerounais. Le produit phare de cette entreprise n'est rien d'autre que le «beignet/haricot», produit de grande consommation que le promoteur a réussi à sortir de la rue, pour un cadre plus confortable que le tournedos.
Sur son site internet, «Tchop et yamo» (mange et régale-toi en argot camerounais), décline la philosophie de sa cuisine: «une cuisine qui s'inspire d'une recette familiale, le plat tel que fait à la maison !...les recettes sont simples mais uniques. Tout est fait avec amour, expérience, service et dévouement pour le bonheur de tous». Du beignet-haricot dans un restaurant de luxe. L'idée est banale, mais il fallait y penser.
Contre vents et marées, défiant les pronostics pessimistes d'amis qui lui prédisaient un flop retentissant, ldriss a signé son retour au pays de fort belle manière. Et la potion magique a fait des émules. Si quelques restaurants plus ou moins huppés proposaient déjà la recette, aujourd'hui, les boulangeries sont entrées dans la danse et achalandent leurs étals de «beignet-haricot». Nos mamans qui garnissent rues et ruelles de la fameuse recette culinaire sont renvoyées à leurs fourneaux pour mieux se pourvoir.
La concurrence est de mise et débouche naturellement sur une saine émulation: "Nous sommes satisfaits d'avoir pu amener ce produit culinaire à ce niveau, ça suscite de nouvelles vocations", se réjouit encore ldriss, qui se félicite aussi de l'expansion rapide de son entrez prise désormais présente dans les villes de Yaoundé et Douala, avec une centaine d'emplois créés.
L'attitude de Fred Bougna n'est pas aussi jubilatoire, mais le jeune homme revenu de Londres n'est pas moins fier de l'œuvre entreprise depuis qu'il est rentré au pays il y a une dizaine d'années. «J'ai pu diversifier l'entreprise familiale en y apportant un volet touristique. Je propose des packs touriste pour ceux qui veulent visiter le Cameroun, j'attends une délégation d'Américains dans deux mois», déclare le jeune entrepreneur.
Et même dans des domaines qui arrivent à saturation, l'inventivité est toujours possible. Rentré au Cameroun après une brillante carrière à Africa Ni et à la BBC, le journaliste Marcel Amoko a lancé Kalak FM en 2011. Dans un secteur où foisonnent tintamarre et amateurisme, Kalak (raconte en langue bassa) veut faire entendre un son différent: «la volonté d'informer, d'éduquer et de divertir, le souci de promouvoir le respect de l'éthique et de la déontologie journalistiques», anime Amoko, qui constate aussi avec désolation que «l'environnement médiatique semble avoir perdu le sens des valeurs essentielles que sont l'éthique, le respect de l'autre».
Animation décalée, information dépouillée, la nouvelle radio généraliste émettant à Yaoundé emploie une quinzaine de personnes et s'aménage progressivement un espace dans l'univers médiatique. Camerounais: «Notre cœur de cible ce sont les décideurs actuels ou en devenir, ceux qui ont la capacité d'analyser la société, d'insuffler une nouvelle façon de penser les choses, mais surtout d'agir», reconnait Amoko, qui n'est pas loin d'assumer le statut de radio élitiste qui colle à sa chaîne depuis sa création. «Mais nous restons proches des préoccupations du grand public et après deux ans, les annonceurs commencent à nous faire confiance», affirme-t-il.
Difficile insertion
Tous les Camerounais qui rentrent ne se risquent pas à l'entrepreneuriat. Diplômé en gestion, Roger Kenfack a flirté avec le monde de la haute finance en France et n'a pas eu trop de peine à trouver un emploi à son retour au Cameroun: «J'ai été recruté par une banque de 16 places qui me propose un salaire conséquent. Je n'ai pas de soucis financiers, mes problèmes sont ailleurs», raconte Kenfack.
Des problèmes, bien sûr qu'il y en a. Volontariste et débordant d'énergie, ce mouvement de retour au pays natal est loin d'être un conte de fée. Il bute sur des écueils dont la récurrence pourrait en décourager plus d'un: «j'ai d'abord été repoussé par une bonne frange de cadres de la banque qui se comportaient comme si je venais leur piquer leur place», révèle Roger Kenfack. «Il y a un grand problème de mentalité, poursuit Fred. Beaucoup de Camerounais sont complaisants dans leur travail, ils ne respectent pas les exigences de délais et d'excellence, c'est gênant d'être toujours derrière des gens pour qu'ils fassent leur travail».
Tous ces jeunes entrepreneurs qui ont eu le courage de se lancer dans le monde des affaires au Cameroun regrettent aussi une législation peu incitatrice et des tracasseries administratives à répétition. Pourtant, loin de lâcher prise, ils se disent convaincus d'avoir fait le bon choix: «Il m'est arrivé de perdre le moral et de vouloir rentrer à Londres. Mais dès que j'y retourne, mon pays me manque à nouveau. J'ai compris que c'est ici que je dois être, c'est ici que je dois me battre pour améliorer les choses», insiste Fred, comme s'il voulait rallier à cette cause noble, de nombreux Camerounais qui végètent en Europe.
«J'essaye de convaincre d'autres Camerounais de faire comme moi, dit-il. Beaucoup hésitent, certains ne sont pas préparés, ça prendra du temps, mais, ce mouvement de retour va s'intensifier», pense le jeune homme. Pour être plus efficace et plus profitable au Cameroun, ce retour doit être encadré, méthodique. Ainsi, Owona Nguini note que «cette diaspora qui est passeur de valeurs d'organisation doit travailler en commun (réseau) pour créer une synergie de compétences».
Des initiatives ont d'ores et déjà vu le jour pour accompagner ceux des Camerounais qui désirent rentrer. Depuis 1996, le Fonds national de l'emploi (Fne) a lancé le Programme d'appui au retour des immigrés camerounais (Paric), qui vise leur insertion et leur réinsertion socioprofessionnelle, à travers une multitude de mesures d'accompagnement, tant au niveau, des pays d'accueil qu'au Cameroun.
Depuis le lancement de ce projet, 3.150 expatriés en ont bénéficié. 101 ont reçu des appuis en équipements et 432 emplois ont été pourvus. Mais ces résultats, qui sont surtout le fait de l'engagement de la coopération internationale, sont bien modestes. Nombreux sont ceux des Camerounais aspirant au retour qui ne sont même pas au courant de cette initiative: « Nous en sommes bien conscients, indique Léopold Ngomezo'o qui coordonne ce programme.
Nous sommes en train de lancer des séminaires et des sessions d'information au Cameroun et à. l'étranger pour donner plus d'ampleur à notre action». Le Fne veut capitaliser le vivier de compétences élue constitue la diaspora camerounaise. «Le Paric a pris du plomb dans l'aile un moment, parce qu'il était phagocyté par des agences allemandes, mais le Fne a repris la main et veut donner une nouvelle dimension à cette structure», indique un employé du Fonds.
«Nous avons établi un fichier de compétences par pays et par métier, nous construisons une banque de données accessible aux employeurs », ajoute Ngomezo'o. Encore faut-il que tout le monde joue le jeu. Christian Happi, un jeune ingénieur en génie civil spécialisé dans la construction des ponts, veut définitivement rentrer au Cameroun. Il s'est rapproché du Paric, qui l'a référé à l'entreprise française Sogea-Satom qui construit actuellement le 2ème pont sur le Wouri.
«Mais les choses traînent et moi je veux être fixé, car dans le même temps, j'ai reçu une offre intéressante venant de la Russie où j'ai été formé», s'impatiente le jeune cadre. «Il a une offre ferme venant de Russie, mais il veut rentrer au Cameroun. Nous devons encourager ceux qui prennent cette décision lourde de sens et de conséquences et tout le monde doit s'impliquer, au risque de perdre cette main-d’œuvre hautement qualifiée», soutient Nguomezo'o.
Ces résultats encore bien modestes du Paric sont appuyés par l'action des associations qui s'installent progressivement sur ce segment. Le Club des amis d'Allemagne (Caa) s'illustre par des conférences et des causeries sur le thème de la participation de la diaspora au développement local.
En décembre 2012, Danielle-Jocelyne Ottou a organisé au Haut-Commissariat de Grande Bretagne au Cameroun une conférence, pour, disait-elle, «proposer des outils qui permettront aux jeunes de mieux s'impliquer dans leur pays d'origine, que ce soit en investissant dans des projets immobiliers, dans une association humanitaire». Dans son assemblée générale du 30 mai 2012, le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) a décidé de la création d'un guichet-chargé de l'accompagnement des entreprises de la diaspora qui souhaitent investir au Cameroun. Initiative bien accueillie par les Camerounais.
Ce mouvement de retour des Camerounais semble irréversible. S'il est vrai que bien de compatriotes expatriés hésitent encore à franchir le cap, ils pourraient être encouragés par les débuts prometteurs des plus téméraires qui ont osé le retour en dépit d'un contexte local toujours défavorable. Outre l'impact économique et le savoir, faire de cette ressource de choix, il convient aussi d'envisager l'important déclic psychologique que pourrait induire un retour massif d'immigrés camerounais.
On en finirait peut-être alors avec le mythe de l'eldorado européen. On en finirait peut-être avec ce spectacle effroyablement honteux de jeunes Camerounais qui jubilent de rejoindre des camps de réfugiés d'un pays comme l'Espagne où le chômage touche près de la moitié de la population jeune.
Préparer son retour au Cameroun
Le Fonds national de l'emploi a édité un guide pratique pour aider au retour des camerounais de la diaspora. Morceaux choisis.
Information sur le marché du travail au Cameroun
Les entreprises camerounaises cherchent des compétences dans de nombreux secteurs. Le Fne met en place un système de veille sur le marché de l'emploi par région et par secteur d'activité. Ces données sont accessibles sur le site du Fonds.
Modalités de création d'entreprise et aide au financement
Le Fonds offre une assistance à ceux des Camerounais intéressés par la création de leur propre entreprise. Le Fne leur offre toutes les informations relatives à la création d'entreprise en rapport avec leur secteur d'intérêt. Le Fonds propose aussi une brochure intitulée «500 idées de projets» pour guider leur choix.
Assistance matérielle et financière
Le Fne dispose d'un réseau très diversifié de partenaires, dont certains offrent des aides au retour volontaire des Camerounais arrivés en fin de séjour académique ou professionnel dans leurs pays d'accueil respectifs. Les principaux pays qui offrent ce type d'assistance sont: l'Allemagne à travers le Centre pour le développement (Cim) et la France, à travers l'Office français de l'immigration et l'intégration (Ofii). Le Cim offre des subventions salariales et des subventions en équipements. L'Ofii assiste dans le Montage et le financement de projets des candidats au retour volontaire.
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