Le champs lexical dominant de ces deux dernières semaines est sans l’ombre d’aucun doute celui du «tribalisme» et ses corollaires. Il est devenu rare que l’actualité nationale nous en épargne, qu’un évènement majeur engageant la vie de la nation nous en départisse.
Aucune décision prise par l’ordre gouvernant, aucun voyage du chef de l’Etat à l’étranger n’est extérieur à la pratique. C’est peut-être compréhensible, au regard des options de développement choisies, qui font de l’ethnocratie un modèle de gouvernance, face à la complexe équation à 250 ethnies. Ce qui inquiète le plus, c’est le corps à corps perpétuel entre Béti et Bamiléké publiquement révélé à l’opinion, au début des années 90 par les «ethnos» et «Monofascistes».
L’échec de la construction de l’Etat-nation postcolonial n’est visiblement pas l’apanage d’une déconstruction structurelle des peuples qui voulaient se libérer du joug de l’intolérable et injuste oppression néocoloniale, mais, et malheureusement, de l’élite intellectuelle métapitancière qui avait la conviction égotiste de porter les aspirations de l’ethnie-nation à laquelle elle appartient. Les intellectuels (leaders d’opinion) sont d’abord des citoyens d’une nation. Des personnes qui se hissent au-delà du transcendantal pour servir de guide aux lanterniers dans le respect de ses propres valeurs et celles des autres. Ce ne sont donc pas des chefs religieux ou des parasentenciers qui ont une mission métasociale à accomplir, quelle qu’elle soit. La rivalité "fraternelicide" Béti-Bamiléké largement exacerbée et entretenue par l’élite intellectuelle, et qui vit son deuxième round après celui du début des années 90, trouve sa source dans le contrôle des leviers actuels du pouvoir et surtout pour sa dévolution, en ces moments de fin de règne où le leader central, de part son grand âge, s’expose à tout le moins aux réalités des effets de l’horloge biologique.
«Cessez le feu interdit» !
L’escalade verbale entre Nganang et Owona nguini est une gravissime occasion de chute dans l’espoir d’une organisation hétérogène et savante pour «les luttes» contre la sénilité dispendieuse gouvernante au Cameroun. Pourtant deux intellectuels, deux leaders d’opinion qui ont donné l’impression de se battre pour les mêmes causes, c’est-à-dire le système dominant en place à Yaoundé, nous montrent aujourd'hui très bien que le drame camerounais n’est pas éminemment celui des classes, celui des générations, mais sans doute celui de l’idéologie ethnocratico-hégémonique. Voilà pourquoi les cris d’orfraie du Père Lado, bien que sincères, ne seront jamais écoutés. Parce que ce type de débat, désormais, exige que l’on prenne clairement position quand on est un intellectuel-citoyen comme lui, pour fixer le cap, et non pas de renvoyer les gens dos à dos.
L’intellectuel-citoyen pour nous, est celui dont l’ascèse supplante les amphithéâtres. Celui dont les instruments du discours obéissent aux réalités endogènes des gens d’en bas, qui n’ont ni la capacité ni la capabilité d’en faire leur, les réalités de la «secte universitaire». C’est donc un homme du peuple dont la seule épreuve de questions/réponses à RFI et dans d’autres médias internationaux ne suffit plus. L’envoûtement collectif que nous essayons au fil des tribunes de théoriser vient encore de s’exprimer, par ce qu’on pourrait appeler le renversement de l’échelle des valeurs humaines dans la dialectique centre-périphérie.
Des personnes extérieures à nous, qui suivent ses échanges ethno-épistolaires, pourraient tomber à la renverse, pour peu qu’elles circulent dans nos villes et villages où se côtoient et se tutoient sans scandaleuses anicroches les quelques 250 ethnies que compte le pays. Peut-être aurions-nous le courage un jour de descendre de nos égotistes piédestaux, pour en apprendre davantage de ceux-là que nous sommes censés aider à parachever le processus de socialisation politique gage de participation réussie. L’ethno-bombe est plus que jamais entre les mains de l’élite intellectuelle.
Les prétextes de l’activation des clivages
Le devoir de mémoire est utile pour les sociétés en construction comme les nôtres. Mais il a un éclat encore plus rehaussé lorsqu’il est fait en présence des témoins avec les preuves irréfutables afin que les générations futures s’en saisissent pour le bien de l’humanité toute entière. Forcer la reconnaissance nationale à Lapiro de Mbanga au point de s’engager à «mourir debout» même après les inoxydables sons de cloche ecclésiales, est un prétexte tout trouvé pour relancer la machine ethnico-hégémonique, qui pense perdre ses graisses seulement à l’idée d’imaginer qu’un corps étranger qui aurait rouillé son mécanisme il y a une vingtaine d’années est en passe de devenir le «principal du moteur».
C’est d’autant plus un prétexte que la concomitance des accusations qui fusent aujourd’hui de part et d’autre faisant d’Ateba Eyéné le principal bourreau de ses camarades tombés au champ de l’honneur, essentiellement post mortem, est dénuée de toutes substances, parce que ces accusations sont très pauvres en preuves qui auraient pu confondre ses encenseurs et ces milliers de jeunes qui, aux dires de la presse, se sont rarement autant mobilisés. Même pas pour suivre des distributeurs automatiques de billets de banque ou des feymen. C’est ensuite un prétexte parce que Lapiro de Mbanga qui n’est pas le contemporain de ces jeunes, a délibérément imposé à ses proches que ses restes ne reviennent pas au Cameroun. Même pas dans son Mbanga natal. Bien que des processions mortuaires sans corps gagnent du terrain dans notre environnement, force est de reconnaitre qu’elles sont des pratiques exogènes à la socio-anthropologie africaine.
Nous pouvons tous devenir des héros !
Le clivage ethnico-intellectuel qui s’exprime actuellement, doit nous amener à nous inquiéter des futurs rapports entre les leaders locaux et ceux de la diaspora. Tout s’explique aujourd’hui par la constitution des Etats majors dans le but ultime d’indiquer par des théories parfois rébarbatives, que le vrai bourreau c’est le non-moi. La grande moralité à tirer de cette violence verbale est que les plaies de 90 sont restés béantes et méritent que le pansement soit administré par la collectivité, parce que ce fut l’un des points focaux de notre démocratie naissante.
Cependant, le souhaitable devoir de mémoire et la réhabilitation des ex étudiants dits du «parlement»se feront mal s'ils se font avec la confusion sélective des prétendus bourreaux qu’on recruterait aussi du coté de l’élite Bamiléké qui avait quand-même pris sur elle de dire qu’il y a pas eu de mort. A cet effet, Kakdeu avait bien raison de faire remarquer que le drame qui est soulevé ici, est celui des classes et non des ethnies qui seraient toutes manichéennes. Bien que l’ampleur de la violence et le caractère disproportionné des destructions soient des déterminants majeurs en matière de droit de l’Homme, il serait par exemple difficile de convaincre la famille de Djongoué Kamga Collins qu’il n’y avait que des saints au«Parlement». Quand on dit au Général Semengue qu’il a «coupé les têtes…», il répond: «je n’avais pas des enfants de cœur en face…». Question: Peut-on vouer Ahidjo aux gémonies avec la bénédiction des populations du Nord ?
Dans l’histoire de l’humanité, les potentats se sont généralement radicalisés face aux radicaux. Le style Nelson Mandela devrait nous communiquer la sagesse éternelle de l’histoire, qui implique aussi la théorie inverse de la victimisation des bourreaux identifiables et identifiés. Il implique enfin que l’on s’approprie subtilement le syndrome de Stockholm, parce que, comme nous l’enseigne la sagesse Eton, deux sages ne peuvent pas marcher ensemble sinon, qui va se laisser tromper par l’autre !
S’il s’avère un jour que les preuves de l’implication de Charles Ateba Eyéné dans les tueries de 90 soient inéluctables, il recevra notre pardon parce qu’il se serait durant ses deux dernières décennies, largement épuré de ses transgressions. En attendant, il reste pour nous un héros !
Narcis Bangmo
nubangmo@yahoo.com
Louvain-la-Neuve (Belgique)
nubangmo@yahoo.com
Louvain-la-Neuve (Belgique)
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