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COUPE DU MONDE DE FOOTBALL BRÉSIL 2014:LE STATUT SOCIOPOLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DU FOOTBALL AFRICAIN PEUT-IL SERVIR LE PATRIOTISME ? par Thierry AMOUGOU

Les joueurs africains sont désormais aussi instables et volatiles patriotiquement que le capitalisme mondial dont ils sont les produits dérivés. Ils appartiennent à des fonds de pensions et à des entreprises multinationales où ce qui compte n’est point l’esprit patriotique, panafricain ou nationaliste mais les statistiques de leur performance et les valeurs ajoutées financières qui en découlent pour eux et leurs employeurs. A cela s’ajoutent des dirigeants africains eux-mêmes non patriotiques dans la manière dont ils dirigent leurs pays et traitent les joueurs africains de football.

En dehors de la débâcle camerounaise surprenante uniquement pour les non Camerounais qui en ignorent les fondements profonds et les Camerounais qui refusent de se convaincre que les Lions indomptables ne sont qu’un sous-ensemble d’un pays qui brille mondialement par la prospérité du vice, l’inconséquence et les malversations de toutes sortes, l’Afrique, au sens d’entité géographique, démographique, généalogique, politique et historique est encore très bien représentée au Brésil. Au sens diasporique, généalogique et historique, l’Afrique, en dehors du Nigéria et de l’Algérie qualifiés pour les 8ème de finales, est également présente en grande proportion dans les équipes française, brésilienne, colombienne, américaine et belge pour ne citer que celles-là. On trouve difficilement de nos jours une équipe nationale sans un joueur d’origine africaine même au sein de celles occidentales qui ont déjà été éliminées. En conséquence, l’âme, le corps, la force, le sang de l’Afrique et son talent enrichissent le football mondial si fortement que toutes les équipes africaines seraient éliminées de la coupe du monde que le continent noir serait toujours présent au Brésil.
Cependant, exalter et claironner l’âme immortelle de l’Afrique dans un football mondialisé ne suffit pas. Il semble, à notre humble avis, nécessaire de mettre en exergue l’archéologie du statut sociopolitique et économique du football africain afin de comprendre non seulement son évolution dans le temps, mais aussi pourquoi d’autres pays et institutions footballistiques font mieux que l’Afrique avec pourtant la même matière première.
* Le fondement colonial du football africain
Né en Chine et développé institutionnellement en Angleterre, le football, à l’instar s’autres sports est intimement lié à la politique du corps étant donné qu’il met en interactions le corps, l’esprit, le travail, le salaire et les classes sociales. Il est aussi intimement lié à la mondialisation économique dont une des dimensions historiques est le colonialisme au centre duquel se trouvent les corps des indigènes comme instances de matérialisation d’un pouvoir prédateur. Même si le football est un sport importé dans presque tous les pays en dehors de la Chine, son fondement colonial est la caractéristique initiale de son développement en Afrique.
En effet, l’administration coloniale, dans son besoin de contrôle des esprits et de domestication des corps, a ouvert la pratique du football aux indigènes alors que c’était un sport au départ réservé à l’élite coloniale en présence en Afrique. Dans cette première phase, le football resta ségrégationniste car les équipes indigènes ne jouaient jamais contre les équipes de colons mais entre elles uniquement question de marquer la séparation entre les races et ce que cela impliquait au quotidien dans les colonies. La fonction du football a été hautement politique, économique et culturelle dans l’Empire colonial. Sur le plan politique, le football a servi à rendre dociles la masse laborieuse indigène via un jeu qui devint tant un défouloir de ses frustrations quotidiennes qu’un « opium collectif » contribuant dans une certaine proportion à faire oublier sa condition de subalterne et de dominée à l’indigène. Sur le plan culturel, les missionnaires ont fait équipe avec les politiques et ont promu le football pour détourer les Africains des pratiques culturelles dites « non civilisées ». Sur le plan économique, la pratique du football comme outil de maintien des travailleurs indigènes en bonne santé physique a été l’objectif productiviste central d’une mise en valeur d’un domaine colonial où les corps devaient être robustes et en santé.
Après cette phase où le football a permis l’inscription de l’ordre colonial sur le corps et l’esprit des indigènes via le jeu, une deuxième phase a été celle des rencontres entre équipes indigènes comme moments de loisir de l’administration coloniale avant que des oppositions entre les équipes de colons et celles d’indigènes commencent à naître ici et là en Afrique coloniale britannique et plus tard française. Avec la naissance des luttes de libération et le développement de l’esprit nationaliste, les premiers clubs africains comme l’Espérance sportive de Tunis ont été des clubs de football avec un objectif clair de combat politique pour l’indépendance. Cela a été le cas aussi en Egypte et surtout en Algérie où les clubs de football ont été des branches du combat national de libération nationale du joug colonial français par promotion de l’esprit révolutionnaire via le football. Le caractère explosif des rencontres entre anciennes puissances coloniales et anciennes colonies ou encore la contestation en 2014 de la double nationalité aux Français d’origine algérienne suite aux quasi émeutes entraînées par la qualification de l’Algérie en huitième de finale du Mondial brésilien, sont des preuves que l’ordre du maître et de l’esclave du moment colonial structure encore largement l’imaginaire du football africain.
Ce bref rappel historique du statut sociopolitique et économique du football africain consiste en fait à poser des bases à des questions névralgiques dans la construction de nations africaines. Lorsque les joueurs camerounais refusent le drapeau au départ de Yaoundé, nous condamnons avec raison, leur manque de patriotisme et même de nationalisme. Nous omettons, volontairement ou non, de nous rendre compte que placer le football au rang de ciment du patriotisme et/ou de l’unité nationale d’un pays africain, revient non seulement à signer notre échec dans la recherche de fondements endogènes réels à ceux-ci, mais aussi à reconnaître qu’un sport colonial, en l’occurrence le football africain, est pour nous le fondement de l’unité nationale et même panafricaine. Comment est-ce que des choses exogènes et coloniales prennent-elles en lieu et place des choses endogènes, la place fondatrice du vivre ensemble dans les Etats africains ? Ne posons-nous pas les bases fondatrices d’une faible unité nationale lorsque le football, forme culturelle faible en Afrique car importée et coloniale, devient la chose qui unit le plus les Camerounais et rehausse le sentiment panafricain ? Est-ce à dire que les Africains ne peuvent jamais s’entendre sur des référents locaux qui fondent le patriotisme ? Sont-ce uniquement les choses venues d’ailleurs comme l’Etat, la citoyenneté et le football qui peuvent le faire ?
Nous formulons ici l’hypothèse que seules des « totems civiques » authentiquement africains pourraient, parce que non frelatés de relents exogènes et coloniaux, être stables et solides dans la construction d’un vivre ensemble national et/ou panafricain. Le Burkina Faso, pays des hommes intègres et/ou encore « Ujama » concepts fédérateurs popularisés respectivement par Thomas Sankara et Julius Nyerere semblent de cet acabit car le patriotisme et l’unité nationale se bâtissent sur des choses qui font sens localement et parlent profondément aux gens. Les pays africains et l’Afrique doivent s’inventer des objets ou personnages conceptuels qui concourent au renforcement de l’esprit patriotique : les mythes, la culture et l’histoire africaines constituent un puits sans fond de telles références.
* Les tares chroniques d’une appropriation ratée
L’échec du continent africain peut se résumer dans tous les domaines par l’échec de l’appropriation de l’Etat et de tous ses attributs. Le fait que le football soit exogène peut atténuer son rôle instable dans la construction de l’esprit patriotique si l’appropriation est réussie. Le cricket, sport colonial par excellence de l’élite anglaise en Inde alors colonie britannique est de nos jours complètement domestiqué par une Inde contemporaine désormais parmi les meilleures du monde dans sa pratique. L’Inde l’a fait grâce à son développement politique et économique qui a soutenu une politique efficace et sérieuse du développement de ce sport au sein d’un Etat souverain au sens plein de ce terme.
En Afrique le passage du football de son statut d’instrument de domination coloniale à celui d’instrument de contestation de l’ordre colonial par la révolution, n’a pas fait de lui un instrument culturel domestiqué par l’Afrique parce que le développement économique, monétaire et politique de l’Afrique est à la traîne depuis les indépendances. Cela entraîne que la division du travail centre/périphérie entre fournisseurs de matières premières (anciennes colonies) et fournisseurs de produits finis (anciennes puissances coloniales) se reproduit dans un football africain qui sert, comme sur le plan économique, de réservoir de matières premières au capitalisme mondial à qui, in fine, appartiennent les joueurs africains de football. S’approprier sa matière première revient à l’exploiter et à la transformer sur place en produits finis dont nous maîtrisons la valeur d’usage et la valeur d’échange. Le Brésil est en train de perdre son football samba et son rôle fédérateur de jadis parce que ses joueurs sont aspirés par le capitalisme mondial à qui ils appartiennent : « un éducateur vaut plus que Neymar » disent les manifestants brésiliens en bordure des stades.
L’Afrique n’est aujourd’hui qu’une pépinière de talents dont la transformation en produits finis et la participation à la valeur ajoutée de l’industrie footballistique mondiale se font hors d’une Afrique où, en dehors de quelques exceptions qui confirment la règle, le football reste sous-développé en organisations, en infrastructures, en politiques efficientes et en moyens de financement comme l’est le continent sur le plan économique et politique. Si on y ajoute le fait que le football africain assure au sein de plusieurs familles la sécurité économique, sociale et financière qu’aurait dû assurer l’Etat africain, alors l’Afrique a affaire à un football-providence qui ne peut en aucun cas être patriotique ou servir le patriotisme : c’est un instrument de sécurisation socioéconomique dans un continent où l’Etat ne le fait pas.
Si les joueurs africains se couvrent des drapeaux de leurs pays dans leurs clubs lorsqu’ils gagnent des titres avec ceux-ci, cela veut dire qu’ils aiment et pensent à leurs pays. Par contre si le non paiement de primes est ce qui a semé la zizanie dans de nombreuses équipes africaines dans ce mondial il faut peut-être, au lieu de condamner les joueurs, se demander si les dirigeants africains sont animés eux-mêmes par l’esprit patriotique ou alors ils veulent utiliser celui-ci pour éviter de payer des joueurs qui n’ont que leur football pour vivre. On arrive à un football pris en tenailles entre des dirigeants africains dont les incuries de la gouvernance condamnent le football africain à l’exploit permanent et des joueurs qui se méfient d’eux et réclament leur salaire avant de jouer. Un tel football ne peut plus être le ciment de l’esprit patriotique du pays ou du panafricanisme car en dehors de ces incuries chroniques marquées d’amateurisme et d’improvisations récurrentes, les joueurs africains sont désormais aussi instables et volatiles patriotiquement que le capitalisme mondial dont ils sont les produits dérivés. Ils appartiennent à des fonds de pensions et à des entreprises où ce qui compte n’est point l’esprit patriotique, panafricain ou nationaliste mais les statistiques de leur performance et les valeurs ajoutées financières qui en découlent pour eux et leurs employeurs. Certains joueurs sont même des pièces détachées du capitalisme mondial car le pied gauche, le pied droit, la tête et les bras ont parfois des propriétaires différents lorsqu’on examine les montages financiers dont ils sont la base matérielle.
La patrie du footballeur moderne et son maître est le grand capital à qui Karl Marx avait donné le nom peut réjouissant de « prostituée universelle ». Gardons à l’esprit que sans appropriation, ce sport et ses joueurs ne peuvent en aucun cas être une fondation de l’unité nationale, du patriotisme, du nationalisme ou du panafricanisme. Une prostituée a des services à vendre moyennant de l’argent et non des valeurs patriotiques. Le capitalisme mondial et ses produits dérives n’ont pas de patrie en dehors de leurs terrains de profits. A cela s’ajoutent des dirigeants africains eux-mêmes non patriotiques dans la manière dont ils traitent les joueurs africains de football.
Il anime également un blog personnel disponible sur ce lien
Thierry AMOUGOU, Animateur et Fondateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques. cercle_crepol@yahoo.be
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