Alors que le Cameroun a déployé ses forces militaires à sa frontière avec le Nigeria, dans l’extrême nord du pays, Boko Haram vient de perpétrer plusieurs attentats dans des villes camerounaises. C’est la première fois que la secte islamiste s’en prend avec autant d’ampleur à son habituelle base de repli. Face à ces actes, le Cameroun a effectué une réorganisation militaire. Mais l’inquiétude est de plus en plus palpable au sein de la population.
« La barbarie a franchi nos frontières », a déclaré le ministre camerounais de la Communication et porte-parole du gouvernement, après les attaques à répétitions de Boko Haram au Cameroun. L’armée et le Bataillon d'Intervention Rapide (BIR) camerounais qui, jusqu’ici, infligeaient de lourdes pertes aux membres de la secte islamiste (118 membres avaient été abattus par le BIR en juin dernier, selon le site Afrik.com), semblent un peu dépassés ces dernières semaines (lire notre article : Cameroun/Nigeria, une frontière sous haute tension)
Une nouvelle attaque des djihadistes vient d’être perpétrée dans la ville de Zigague, dans l’extrême nord du Cameroun, selon un responsable local de la gendarmerie. Dix personnes ont été tuées. Le 27 juillet dernier, la ville de Kolofata était attaquée par des militants présumés de Boko Haram. Quinze personnes sont mortes et plusieurs ont été enlevées, dont l’épouse du vice-Premier ministre camerounais. Deux jours avant, de violents combats entre l’armée camerounaise et les insurgés dans le village de Hile-Halifa avaient fait plusieurs morts côté militaire. « Il y a eu une période d’accalmie durant le ramadan. Depuis que c'est fini, les attaques sont de plus en plus nombreuses et beaucoup plus violentes », observe une source sécuritaire camerounaise souhaitant garder l’anonymat. « Pendant un mois, ils ont eu le temps de réfléchir, d’observer comment nous fonctionnons. Je ne suis pas surpris que leur organisation progresse », ajoute-t-elle.
Pourquoi ces attaques ?
Habituellement, le Nord du Cameroun servait de base arrière aux membres de Boko Haram et de lieu de passage pour les armes. Mais depuis quelques mois, des dispositifs militaires ont été mis en place à la frontière avec le Nigeria pour empêcher les islamistes de s’infiltrer au Cameroun. Malgré ces renforcements de sécurité à la frontière entre l’extrême Nord du Cameroun et le Nord Est du Nigeria, Boko Haram a attaqué à de nombreuses reprises des bases militaires. Au moment de la mise en place de ce dispositif, la secte a essuyé de lourdes pertes comme en juin dernier où plus d’une centaine de djihadistes a été tuée par l’armée camerounaise. Boko Haram multiplie-t-elle les exactions pour venger ses camarades ?
Seidik Abba, écrivain, journaliste et analyste de l'actualité africaine, relève trois autres explications. D’une part, la proximité géographique du Cameroun et la porosité des frontières entre les deux pays permettraient aux membres de l’organisation terroriste de se déplacer très facilement entre les deux Etats. « Comme dans beaucoup de pays africains, la surveillance de la frontière est une tâche très compliquée pour les forces de l'ordre », explique le journaliste d’origine nigérienne. Vient s’ajouter à ce facteur, la faiblesse de l’Etat camerounais puisque « les forces de l'ordre sont plus concentrées dans le Sud où se trouvent le pouvoir central et les administrations que dans le Nord du pays ». Enfin, la capacité matérielle, notamment en armement, de Boko Haram favoriserait les attaques terroristes contre le Cameroun. « Ces gens possèdent du matériel de guerre qu'ils ont récupéré en attaquant les casernes de l'armée nigériane. Il est difficile donc pour le Cameroun de s’opposer aux attaquants ».
Action du gouvernement
Face à ces événements, le président Paul Biya a annoncé la réorganisation du dispositif militaire dans la région. Mais selon Seidik Abba, écrivain, journaliste et analyste de l’actualité africaine, le Cameroun est totalement « impuissant face à Boko Haram. Pourtant, le Cameroun est un pays qui a beaucoup de moyens, beaucoup plus que d’autres pays de la zone comme le Niger ou le Tchad, mais ces derniers répondent beaucoup plus efficacement à la menace de Boko Haram ». Alors comment expliquer cette impuissance ? Pour le journaliste, « il y a un manque de volonté politique et de véritables problèmes de gouvernance ».
Ce n’est pas ce qu’a constaté Jean-Francis Belidi, jounaliste au Cameroon Tribune, lors d’un voyage de trois jours dans l’extrême Nord du pays pour observer les troupes sur place. Selon lui, « beaucoup de personnes sont déployées » et le gouvernement fait son possible pour lutter contre ce « phénomène complexe. Il ne s’agit pas d’un adversaire que vous pouvez voir. Les gens de Boko Haram sont partout dans la population. Si vous n’avez pas de renseignements, il est très difficile de les repérer ».
Pas de coopération Cameroun-Nigeria
Le manque de coopération entre les deux pays frontaliers joue aussi en faveur des islamistes, et ils le savent. En effet, depuis les années 1990 et le conflit autour de l’Île de Bakassi dans le Golfe de Guinée (les deux pays se disputaient le territoire), Cameroun et Nigeria ne sont pas en bons termes.
Et aujourd’hui, malgré la menace qui pèse sur eux, aucun effort n’est fait d’un côté comme de l’autre. « A cause des séquelles de ce conflit, les deux pays peinent à asseoir une coopération. Or, pour répondre efficacement à Boko Haram, il faut qu'il y ait une coopération de part de d'autre de la frontière », affirme le journaliste Seidik Abba. Lors du Sommet de l’Elysée organisé par François Hollande en novembre 2013, les deux pays s’étaient pourtant engagés à « travailler ensemble ». Des échanges de renseignements entre le Nigeria et les pays voisins, dont le Cameroun avaient également été évoqués mais, visiblement, les projets n’ont pas aboutis. « On ne peut pas combattre une force asymétrique comme celle-là uniquement avec les échanges de renseignements. A mon avis, si les deux pays ne règlent pas ça, Boko Haram continuera à attaquer des gens. Aujourd'hui, pour la secte, le Cameroun est une passoire », souligne Seidik Abba.
Et aujourd’hui, malgré la menace qui pèse sur eux, aucun effort n’est fait d’un côté comme de l’autre. « A cause des séquelles de ce conflit, les deux pays peinent à asseoir une coopération. Or, pour répondre efficacement à Boko Haram, il faut qu'il y ait une coopération de part de d'autre de la frontière », affirme le journaliste Seidik Abba. Lors du Sommet de l’Elysée organisé par François Hollande en novembre 2013, les deux pays s’étaient pourtant engagés à « travailler ensemble ». Des échanges de renseignements entre le Nigeria et les pays voisins, dont le Cameroun avaient également été évoqués mais, visiblement, les projets n’ont pas aboutis. « On ne peut pas combattre une force asymétrique comme celle-là uniquement avec les échanges de renseignements. A mon avis, si les deux pays ne règlent pas ça, Boko Haram continuera à attaquer des gens. Aujourd'hui, pour la secte, le Cameroun est une passoire », souligne Seidik Abba.
Enrôlement de jeunes camerounais
De son côté, Boko Haram recrute de jeunes Camerounais au sein de leurs équipes (majoritairement nigérianes). Ces jeunes seraient recrutés dans la ville de Kolofata, dans l’extrême Nord du Cameroun. Ils sont entraînés pour combattre leur propre pays. On leur demanderait même de « faire leurs preuves chez eux ». Pour Seidik Abba, «les islamistes savent que dans le nord du Cameroun, il y a des problèmes de développement, de chômage. Pour eux, recruter des Camerounais, c'est recruter des gens qui connaissent le terrain, parlent la langue locale, ils sont beaucoup plus efficaces dans des opérations ponctuelles de Boko Haram que d'autres personnes ». Ces recrutements laissent présager de nouvelles attaques, mais cette fois-ci ailleurs pas que dans le Nord du pays.
Une population gagnée par l’inquiétude
Dans ce contexte de tensions, certains Camerounais accusent le Nigeria d’être « responsable » de ce qui arrive au pays. Le journaliste nigérien Seidik Abba raconte : « j’ai parlé au ministre camerounais de la Communication et il m’a dit : "nous sommes des victimes collatérales. Boko Haram est né au Nigeria et c’est le Nigeria qui l’exporte chez nous" ».
La situation inquiète aussi, de plus en plus, la société civile camerounaise qui voit le pays en proie à des attaques terroristes successives. Si Boko Haram n’est pas encore arrivé à Yaoundé, la capitale politique du Cameroun, les habitants « n’excluent pas cette hypothèse », rapporte Jean-Francis Belidi, journaliste au Cameroon Tribune. D'après un article du site d'information Afrik.com, les étudiants camerounais sont particulièrement inquiets par ces événements. Ils craignent que Boko Haram s'en prennent à leurs établissements scolaires, tout comme ils l'ont fait au Nigeria. Malgré tout, ils entretiennent une certaine confiance en l'armée camerounaise.
Lors du Sommet Etats-Unis / Afrique du 4 au 6 août à Washington, la question sécuritaire des pays africains a été évoquée. Barack Obama a promis de renforcer la coopération avec l’Afrique pour lutter contre le terrorisme. Le Nigeria devrait bénéficier d’un nouveau plan d’aide des Etats-Unis, mais pas le Cameroun. Boko Haram pourrait donc être tenté de rester au Cameroun où il gagne du terrain.
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