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PAUL BIYA, APRÈS PLUS DE TRENTE ANS DE RÈGNE, EST CONFRONTÉ À UNE RÉBELLION par FANNY PIGEAUD

« Terrorisme ou complot politique ? », « Infos et intox autour de Boko Haram »… La presse camerounaise n’en finit pas de s’interroger sur l’insécurité sans précédent qui touche le nord du Cameroun, près de la frontière avec le Nigeria. Dans cette région, des hommes armés mènent depuis plusieurs mois de multiples attaques meurtrières. Le mouvement islamiste nigérian Boko Haram est officiellement mis en cause. Mais de plus en plus d’éléments montrent que le Cameroun, dirigé depuis trente-deux ans par Paul Biya, est en réalité aux prises avec une rébellion. 

Le premier coup d’éclat attribué à Boko Haram a eu lieu en février 2013 : une famille de sept Français, les Moulin-Fournier, a été enlevée dans le nord. Restée otage pendant près de deux mois, elle a été libérée contre rançon. Pour tout le monde, Boko Haram était l’auteur unique du forfait. Jusque-là, le groupe nigérian n’avait pourtant guère fait parler de lui au Cameroun. Tout juste disait-on que certains de ses membres faisaient des allées et venues entre le Nigeria et le nord. Les frontières sont très poreuses dans la région. Des trafiquants de carburant et d’armes, des « coupeurs de route », qui attaquent et rançonnent les voyageurs, profitent de la situation depuis longtemps. 
Boko Haram a de nouveau été accusé lors du rapt du père Georges Vandenbeusch, kidnappé en octobre 2013 et relâché fin décembre. Des détails troublants indiquaient cependant une autre piste. Ainsi, le commando qui a enlevé le prêtre a laissé derrière lui des munitions d’origine israélienne. Or, dans la région, seuls le Bataillon d’intervention rapide (BIR) et la Garde présidentielle, deux unités d’élite camerounaises, utilisent ce type de munitions. Y a-t-il eu des complicités au sein de l’armée camerounaise ? Les autorités n’en ont jamais rien dit. 
Après l’enlèvement du père Vandenbeusch, le régime a augmenté ses effectifs militaires dans le nord. Mais il y a eu de nouveaux événements : en avril, trois Occidentaux (deux prêtres italiens et une religieuse canadienne) ont été kidnappés et gardés otages pendant un mois. À la même période, c’est un campement d’ouvriers chinois qui a été violemment pris d’assaut à Waza. Les assaillants sont repartis avec 20 tonnes d’explosifs, 12 000 têtes allumeuses, enlevant par la même occasion dix ressortissants chinois, toujours détenus. Là encore, le déroulement de l’attaque a laissé dubitatifs les observateurs : « Des centaines d’hommes en armes, avec des véhicules blindés, viennent attaquer un camp de Chinois, enlèvent dix personnes et dérobent plusieurs véhicules, dont des camions ; puis circulent sur le territoire camerounais, au vu et au su de tout le monde… et personne n’a rien vu, rien dit ? » commente un expatrié français établi de longue date dans le pays.
De nouveau, le président Biya a envoyé des renforts : environ 2 000 soldats seraient désormais déployés dans le nord. Fin juillet, dix d’entre eux ont été tués dans des affrontements dans le village de Bagaran. Deux jours plus tard, un raid spectaculaire mené par 200 hommes a visé Kolofata, localité d’origine du vice-premier ministre Amadou Ali, vieille figure politique. Lui était absent, mais sa femme a été enlevée avec une quinzaine d’autres personnes. Une quinzaine de civils et militaires ont été tués. Dans les jours qui ont suivi, au moins dix autres soldats et des civils, dont un imam, ont trouvé la mort dans plusieurs embuscades.
Particularité de toutes ces opérations : Boko Haram n’en a revendiqué aucune ! Le gouvernement continue toutefois de l’accuser publiquement, sans jamais donner de détails. Mais en coulisses, le discours est tout autre. « En privé, les autorités parlent ouvertement de rébellion. Mais elles attendent que ladite rébellion annonce elle-même la couleur et son identité », explique une source proche des services de sécurité. 
Un officiel a tout de même brisé l’omerta. En juin, le président de l’Assemblée nationale et membre du parti au pouvoir, Djibril Cavaye Yeguié, a déclaré que Boko Haram comptait des « complices » au Cameroun. Devant les députés et de nombreux ministres médusés, ce ressortissant du nord du pays a précisé : « Nous le savons, beaucoup sont parmi nous, les uns tapis dans l’ombre, les autres très actifs mais dans l’hypocrisie, faisant semblant d’apporter leur aide aux autorités, leur objectif étant de brouiller les pistes, certainement pour mettre le pays à feu et à sang. » Personne n’a osé ensuite interroger publiquement le député, président de l’Assemblée nationale depuis vingt-deux ans, sur ses propos. Sollicité par Mediapart pour une demande d’interview, il n’a pas donné suite.
Les indices montrant qu’une rébellion est en cours se font de plus en plus nombreux. Des responsables de la police ont affirmé à l’Agence France-Presse que des centaines de jeunes de Kolofata avaient été recrutés ces derniers mois. « Après l’attaque de Bagaran, les assaillants ont entouré les corps de leurs victimes militaires de centaines de fusils d’assaut. C’était une manière d’indiquer qu’ils n’attaquent pas pour prendre des armes », explique une source proche des services de renseignements. Selon cette source, la rébellion « sous-traite à Boko Haram la garde des otages, l’entraînement des recrues et la fourniture en équipement. Il y a des camps d’entraînement dans des villages nigérians proches de la frontière : Palka, Jagoura et Bushra. Le camp de Bushra compte un commando de trente-cinq Camerounais, ce sont eux qui gardent les dix Chinois enlevés à Waza. »
Quant aux initiateurs et financiers de ce mouvement, ils seraient à chercher du côté des « politiciens originaires du nord » et membres du parti au pouvoir. Leur objectif serait de déstabiliser Biya, voire de le renverser. Sur le terrain, les « assaillants » ont d’ailleurs récemment déclaré à un officier camerounais qu’ils avaient les moyens de « marcher » sur Yaoundé.
Plusieurs noms, dont ceux de ministres et d’ex-ministres, circulent. L’un d’entre eux, Marafa Hamidou Yaya, a été cité dès 2013 dans une discussion entre un haut responsable de la présidence camerounaise et un ambassadeur américain : selon un câble diplomatique américain daté du 15 janvier 2013, cet officiel camerounais a établi un lien entre Marafa Hamidou Yaya et un journal accusé de chercher à « provoquer les partisans de Boko Haram et à faire du gouvernement camerounais une cible ».
Longtemps très proche collaborateur de Biya avant de tomber en disgrâce, Marafa Hamidou Yaya a été condamné en septembre 2012 à 25 ans de prison pour corruption, à l’issue d’un procès jugé éminemment politique par la diplomatie américaine. Avant sa condamnation et alors que Boko Haram n’avait encore mené aucune action au Cameroun, ses soutiens assuraient à des journalistes français qu’il était « considéré par les chancelleries occidentales comme un successeur crédible de Biya » et, surtout, que le condamner « aurait pour conséquences de favoriser la progression de Boko Haram dans la région, et aussi de susciter des actions terroristes ».
Cette hypothèse d’une rébellion orchestrée par un ou des barons du régime est plausible : beaucoup d’entre eux ont acquis des fortunes colossales en détournant des fonds publics. Beaucoup ont aussi des vues sur le fauteuil présidentiel. Or une alternance par les urnes paraît aujourd’hui improbable alors que Biya a été réélu pour sept ans en 2011 : les processus électoraux sont tous truqués. 
Le nord du Cameroun est un terreau fertile pour un mouvement armé : il est facile d’y recruter, pour quelques poignées de francs CFA, de jeunes chômeurs et de les armer. Les trois régions qui composent le nord sont parmi les plus pauvres du pays, 40 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Les habitants de cette zone, très éloignée du pouvoir central installé à Yaoundé (sud), se sentent délaissés par les gouvernants. Il faut dire que ces derniers ont toujours montré beaucoup d’entrain pour piller le pays et n'ont rien fait pour le développer. En outre, Paul Biya, 81 ans, s’est entouré de ressortissants de sa région d’origine, le sud. Depuis qu’une tentative de coup d’État fomentée par des officiers nordistes a failli l’emporter en 1984, il s’est replié sur son clan, lui donnant l’avantage dans l’administration et dans l’armée. 
Pour Paul Biya, l’équation s’annonce très complexe après plus de trente ans de règne. Mi-août, il a de nouveau renforcé le dispositif militaire mis en place dans le nord. Mais l’armée est à l’image du pays et de ses dirigeants : elle est minée par le tribalisme, l’incompétence et la corruption. La coordination des opérations est mauvaise, la gestion de l’argent aussi. Pour les militaires envoyés sur le terrain, c’est le cauchemar : ils manquent d’eau et de nourriture, n’ont aucun matériel de campement, pas de dispositif pour combattre de nuit. Début août, l’état-major a fait partir vers le nord 50 camions et des hommes en renfort. Et a très vite fait revenir les 50 chauffeurs des véhicules à Yaoundé : il n’y avait pas de quoi les nourrir sur place.
Source: http://www.mediapart.fr/journal/international/260814/cameroun-paul-biya-apres-plus-de-trente-ans-de-regne-est-confronte-une-rebellion
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