Opinions Nouvelles

Opinions Nouvelles
Opinions pour mieux comprendre où va le monde

L’EPERVIER AVEUGLE DU CAMEROUN par Vincent Hugeux

Que vaut vraiment un épervier atteint de myopie, sinon de cécité, et dont les serres acérées ont la vigueur arbitraire ?  En 2006, lorsqu’il lance une ample opération anti-corruption censée purger le Cameroun de ses miasmes -concussion, vénalité, pillage des coffres de l’Etat, le président Paul Biya la baptise du nom de cet oiseau de proie au port altier. Depuis, le noble volatile s’acquitte de sa tâche avec un zèle aussi acharné que sélectif : il frappe avant tout les témoins gênants, les seconds-couteaux et les rivaux réels ou supposés de Sa Majesté Paul-1er, hanté jusqu’à la paranoïa par le souvenir du putsch avorté d’avril 1984.

Vendredi, le Tribunal criminel spécial (TCS) de Yaoundé a ainsi condamné  la Franco-Camerounaise Lydienne Yen-Eyoum à 25 ans de prison pour « détournement de fonds publics ». Aux sources de cette ténébreuse affaire, un contentieux entre le ministère des Finances et la SGBC, filiale locale de la Société Générale, relatif au recouvrement d’une substantielle créance. Avocate de l’Etat du Cameroun, Me Yen-Eyoum est accusée d’avoir distrait à son profit la moitié du montant récupéré, soit l’équivalent d’1,5 million d’euros. Une certitude : à Yaoundé, la justice piétine le droit.
En théorie, une garde à vue ne peut excéder 18 mois. Or, voilà plus de quatre ans que l’intéressée, arrêtée en janvier 2010, croupit dans une cellule insalubre de l’infecte prison de Kondengui. Il y a pire. Son sort a été scellé par ce que ses amis appellent non sans raison une « lettre de cachet » : un courrier adressé le 29 décembre 2009 par le Secrétaire général de la présidence au ministre de la Justice, « notifiant » à ce dernier « « l’Accord du chef de l’Etat » quant à l’interpellation de Lydienne et de quatre autres personnes incriminées, ainsi que  l’engagement à leur encontre d’une procédure judiciaire.
« Vous voudrez bien me faire connaître, lit-on en conclusion, pour la Très Haute Information du chef de l’Etat, l’exécution de ces diligences ». Pour l’anecdote, l’auteur de cette missive, Laurent Esso, assume désormais la charge de Garde des Sceaux. On relèvera en outre que le « magistrat hors hiérarchie » Yap Abdou, président du TCS, fut dans une vie pas si antérieure que cela chargé de mission au palais d’Etoudi, le siège de la présidence.
Ce lundi, à la faveur d’un point de presse,  le sénateur socialiste Jean-Yves Leconte, représentant les Français établis hors de France, et Caroline Wassermann, avocate de la consoeur embastillée, ont dénoncé ce énième fait du prince, figure de style classique des prétoires camerounais. Qu’espérer désormais ? Le succès du pourvoi en cassation introduit par Me Yondo Black, le conseil de Lydienne Yen-Eyoum sur place ? Hautement improbable.
Un scénario analogue à celui qui permit, en février dernier, la « grâce » et le retour à la liberté, après 17 ans d’une détention inique, de Michel Thierry Atangana, lui aussi titulaire de la double nationalité ? Peut-être, à condition que la mobilisation soit fermement appuyée au plus haut niveau ; en clair, par les locataires de l’Elysée et du Quai d’Orsay.  Et tant pis si une telle issue doit moins à la balance de Thémis qu’à la tardive « mansuétude » du chef.
Deux mauvais procès pour le prix d’un…
On entend déjà d’ici les griefs que ne manquera pas de susciter l’opiniâtre plaidoyer du Comité de soutien à Lydienne Eyoum : celle-ci devrait à sa nationalité d’adoption un « traitement de faveur » dont ne bénéficient nullement des milliers d’inconnus  détenus sans jugement. Pas si simple : le calvaire de l’avocate permet au contraire d’éclairer d’une lueur implacable le sort des naufragés reclus dans les prisons-cloaques de Yaoundé est d’ailleurs.
Une question, en guise de conclusion. Lorsqu’ils coiffent leur perruque permanentée, à l’instant où ils revêtent leur toge écarlate frangée d’hermine et parée de soie noire ainsi que leur jabot de dentelle, à quoi songent les magistrats du TCS ? A la déesse de la Justice ou au desiderata présumés du demi-dieu d’Etoudi ?
Partagez sur Google Plus

About BIGDeals

This is a short description in the author block about the author. You edit it by entering text in the "Biographical Info" field in the user admin panel.
    Blogger Comment
    Facebook Comment

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Laissez nous un commentaire sur cet opinion.