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RÉGULER LA VIOLENCE DANS L’EQUATION POLITIQUE CAMEROUNAISE (ACTE II) : L’URGENCE DE L’INNOVATION POLITIQUE par Thierry AMOUGOU

Le silence coupable de Paul Biya n’est d’ailleurs pas surprenant car les coupeurs de routes ont violé, dépouillé de leurs biens et assassinés des milliers de Camerounais à la frontière Cameroun/Centrafrique et Cameroun/Nigeria sans que le Renouveau National ne prenne des mesures à la dimension du mal et de la violence infligés aux populations d’années en années. Il faudra attendre que la violence des brigands transfrontaliers s’abatte sur les ressortissants occidentaux, l’élite camerounaise au pouvoir et ébranle la paix artificielle dont se prévaut le Renouveau National, pour que l’insécurité de nos frontières implique une déclaration de guerre à Boko Haram au sommet de Paris sur la sécurité.
L’innovation politique revient à mobiliser le politique et les forces armées autour de la défense de l’intégrité du pays et de l’intangibilité de ses frontières par un discours qui exalte l’unité nationale, renforce la citoyenneté camerounaise sans oublier de pointer du doigt les carences trentenaires du Renouveau National dans la gestion des frontières entre le Cameroun et la Centrafrique puis entre le Cameroun et le Nigeria. La classe politique camerounaise ne travaille cependant pas dans ce sens. Elle donne le spectacle d’un ensemble de chefs de clans dont chacun se préoccupe moins de la sécurité du pays tout entier que des piliers ethniques qui la maintiennent au sein du régime en place.
En effet, ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler l’Affaire Guerandi, les tirs croisés entre le président de l’Assemblé Nationale et le ministre délégué à la Présidence de la république chargé du contrôle supérieur de l’Etat, puis les incarcérations de Marafa et d’Iya Mohammed pour détournement de fonds, remettent l’axe nord-sud au-devant d’une scène politique camerounaise où, si les voies autorisées se taisent, les coulisses du pays bruissent des tractations relatives à la succession de Paul Biya à sa tête du Cameroun.
Par conséquent, ce n’est pas un hasard que l’axe nord/sud, géométrisation spatiale et ethnique du pouvoir politique au Cameroun depuis 1960, refasse surface dans un contexte où le régime en place a peur de lui-même, de ce qu’il est et de ce qui le caractérise, à savoir un tribalisme conglomérale à la tête de l’Etat-tontine. Ce dernier est en fait une grande tontine nationale dont les membres sont des têtes de pont des ethnies et des zones géographiques du pays jugées performantes dans l’extraction et le contrôle de la rente économique nationale dont la redistribution permet de réguler la violence. L’Etat-tontine camerounais tient la route tant que ses membres sont en équilibre instable dans l’extraction, la mobilisation et la redistribution de la rente économique via des postes de pouvoir au sein de l’Etat. 
C’est la satisfaction des intérêts interethniques et intraethniques qui installe une entente cordiale au sein de l’axe nord/sud et de ses ethnies et territoires satellites depuis plus de cinquante ans. Les attaques de Boko Haram viennent troubler cette paix des braves en jetant le doute et le soupçon entre les différents membres de la grande tontine nationale. Il n’est donc pas surprenant que le président de l’Assemblée Nationale réponde aux ministres camerounais de la jeunesse et du contrôle supérieur de l’Etat, non au nom de l’Etat camerounais dont il faut assurer la sécurité, mais au nom du Grand-Nord, base tribale de son positionnement performant dans la grande tontine nationale où les ministres en question mettent aussi sur la balance le poids politique de la Lékié. 
Non seulement le tribalisme est le lubrifiant des arcanes politiques qui donnent accès au pouvoir et à l’émancipation économique qu’il autorise, mais il est aussi le paravent ou l’alibi politique majeur au fameux équilibre régional à la camerounaise. C’est peut-être cette façon de se partager le pouvoir et d’en jouir à la camerounaise que Patrice Nganang appelle l’Etat-tribal. Mais dans la mesure où le tribalisme et la tribu sont des paramètres consubstantiels à l’Etat africain du 21ème siècle, ce dernier ne nous semble que la peau d’une architecture interne de pouvoir dont la logique de fond est celle de la tontine nationale dont la variante tribale est une des formes possibles et non la seule. En suivant Simon Achidi Achu, ancien premier ministre camerounais et produit authentique du régime camerounais en place, l’Etat-tontine prend sens car « politic na Njangui » est une célèbre phrase sortie de sa bouche alors qu’il était toujours en poste. 
Cela fait de l’Etat-tribal dont parle Nganang une forme parmi d’autres de l’Etat-tontine camerounais au sein duquel « le pays organisateur », contrairement à ce que pensait le feu Charles Ateba Eyene, n’est pas mono ethnique mais pluriethnique. Raison pour laquelle dès que la confiance se fissure entre les membres de la grande tontine nationale, la violence verbale réapparait. Les membres de la grande tontine nationale montrent chacun comment leurs muscles sont grands et puissants, question de mettre en exergue la force déstabilisatrice ou stabilisatrice que représente son ethnie pour le régime en place. 
Il en résulte que l’élite au pouvoir s’inquiète non pour le Cameroun et les Camerounais, mais pour elle-même. Elle défend ses positions comme d’habitude en s’adossant sur les ethnies via des discours primordialistes qui aiguisent la lame tribale et la brandissent chacun à son interlocuteur afin qu’il voit combien elle est tranchante et peut tout couper sur son passage.
La cacophonie, l’égoïsme et l’amateurisme qui caractérise ces échanges entre ministres camerounais et le président de l’Assemblé Nationale sont à la hauteur de l’Etat-tontine mais certainement pas à celle de la sécurité supérieure du pays. Ces responsables politiques et leurs groupes sont de piètres généraux car ils installent une fissure au sein du pays au moment où celui-ci doit vibrer à l’unisson contre son agression par un groupe terroriste. Leur comportement nombriliste fait des citoyens camerounais des otages d’un jeu politique malsain entre élites dites de la Lékié et celles dites du Grand-Nord en reléguant le reste des Camerounais au rang de  moutons de panurge qui doivent intégrer l’enclos politique circonscrit par l’axe nord/sud.
En pareilles circonstances et dans un pays normal, le Président la République prend la parole pour remettre les points sur les i et cadrer tout le monde vers la mobilisation totale contre l’ennemi. Au Cameroun, Paul Biya qui tire profit d’un Etat-tontine qu’il connaît assez bien, ne donne d’explications ni sur l’affaire Guerandi qui porte pourtant un coup à la réputation du pays, ni des instructions de recadrage de ses ministres et du président de l’Assemblée nationale. Le pays est donc en guerre contre Boko Haram sans que sa population soit soudée sur le plan interne car l’élite se dispute le pouvoir par base ethniques interposées. Le silence coupable de Paul Biya n’est d’ailleurs pas surprenant car les coupeurs de routes ont violé, dépouillé de leurs biens et assassinés des milliers de Camerounais à la frontière Cameroun/Centrafrique et Cameroun/Nigeria sans que le Renouveau National ne prenne des mesures à la dimension du mal et de la violence infligés aux populations d’années en années. Il faudra attendre que la violence des brigands transfrontaliers s’abatte sur les ressortissants occidentaux, l’élite camerounaise au pouvoir et ébranle la paix artificielle dont se prévaut le Renouveau National, pour que l’insécurité de nos frontières implique une déclaration de guerre à Boko Haram au sommet de Paris sur la sécurité.
Quelques propositions
L’urgence de l’innovation politique veut donc que des modes de régulation de nos frontières soient inventés et à expérimentés en tenant compte de nos incuries du passé. Parmi ces innovations à entreprendre une fois la situation stabilisée, on peut signaler : le développement économique de ces zones frontalières longtemps abandonnées par le Renouveau National aux brigands transfrontaliers. Ce serait une façon d’y réinstaller la République en garantissant ainsi la sécurité humaine au sens large ;
Assurer un équipement conséquent et adapté à la lutte antiterroriste pour les troupes camerounaises qui assurent l’intangibilité de ces frontières : ce n’est pas la garde présidentielle qui doit être la section la mieux équipée des forces armées camerounaises mais les unités qui protègent le territoire et les populations car si le territoire et les populations sont en sécurité alors la Présidence de la République l’est aussi ; l’instauration d’une coopération sécuritaire entre le Cameroun et la Centrafrique et le Nigeria par la constitution de brigades/patrouilles mixtes ou binationales de part et d’autres des frontières ;
La formation continue des populations riveraines des frontières aux techniques de défense, de diplomatie transfrontalière et d’autodéfense ;
Sanctionner l’élite politique auteure d’éléments de langage qui visent à diviser le peuple camerounais et à le transformer en factions rivales pour les intérêts égoïstes des politiciens véreux sans esprit d’Etat et encore moins républicain.
Instaurer le service militaire pour tous les Camerounais dès l’âge de 20 ans afin d’avoir une réserve à mobiliser à tout moment en cas de besoin : qui veut la paix prépare la guerre etc.
Au lieu de se livrer à une concurrence des forces de frappe ethniques pour préserver ses intérêts et acquis au sein de l’Etat-tontine, l’élite camerounaise au pouvoir devrait penser à ce type de politiques qui, entre autres idées, visent l’offre de la sécurité aux populations comme un bien public inaliénable.
Thierry AMOUGOU, Fondateur et animateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques, cercle_crespol@yahoo.be
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