Ils se
frottent certainement les mains, face aux difficultés de la Cour pénale
internationale (CPI). En effet, les dictateurs de tous les pays, puisque c’est
d’eux qu’il s’agit, boivent certainement leur petit lait en ce moment. Et il
faut dire qu’ils ont, hélas, des raisons de jubiler. On a fraîchement en mémoire
le non-lieu dans l’affaire Uhuru Kenyatta, conséquence de l’incapacité du
bureau de la Procureure Fatou Bensouda, d’apporter les preuves de l’implication
de l’actuel chef d’Etat kényan dans les violences postélectorales de 2008 dans
ce pays. Cette incapacité, comme l’a relevé la Procureure, a été la conséquence
du refus des autorités kényanes de coopérer avec les enquêteurs.
En d’autres
termes, ce fut un aveu d’impuissance de la CPI, dont la Procureure n’a pas de
moyens propres pour contraindre un ou des Etats à collaborer à une procédure de
la Cour. Du reste, bien d’autres affaires comme les demandes d’extradition de
Simone Gbagbo et de Seif-al Islam Kadhafi, restées jusque-là sans suite, témoignent
à souhait de cette impuissance.
Il faut craindre une plus grande dégradation de la
qualité de la gouvernance en Afrique
La récente
annonce de la suspension des enquêtes de la CPI au Darfour dans l’Ouest du
Soudan, en raison de l’absence de coopération des autorités du pays, relève de
cet état de fait. Et c’est bien dommage. Le Soudan, il est vrai, n’est pas
partie au Traité de Rome. C’est dire que ce pays ne se sent aucunement obligé
de collaborer avec les équipes de Bensouda. Ce, d’autant plus que son président,
Omar El Béchir, est sous le coup d’un mandat d’arrêt international de cette
cour. Mais le drame humain qui se joue dans ce pays, le fait que des milices
pro-gouvernementales continuent de commettre des exactions sur des populations
sans défense et que des combattants issus des rangs des tristement célèbres
janjawids sont toujours de service, commandent une action vigoureuse de la
communauté internationale.
Hélas, l’instrument
de la communauté internationale que constitue le Conseil de sécurité des
Nations-Unies, qui aurait pu régler l’affaire, est jusqu’à présent laxiste sur
la question. On peut ne pas être d’avis avec cette façon de Fatou Bensouda et
de la CPI, de jeter l’éponge. Mais il est évident que c’est lasse de lancer des
cris de détresse sans être entendue, que la magistrate gambienne a dû se résoudre
à laver ainsi le linge sale de la justice internationale en public. Cette
suspension des investigations au Darfour ne traduit ni plus ni moins que le dépit
de la Procureure qui se sent certainement abandonnée, quelque peu seule contre
tous ces dictateurs.
Seulement,
en agissant ainsi, la Justice internationale encourage les criminels du
continent. En principe, la menace CPI, tant qu’elle plane comme une épée de
Damoclès, contraint certains dirigeants à adopter une conduite plus ou moins en
phase avec les règles de protection des droits humains à l’échelle mondiale.
Pour paraphraser les Saintes Ecritures, on pourrait dire que « la crainte de la
CPI est le début de la sagesse « de bien des chefs d’Etat. Maintenant que cette
menace est en train de s’estomper sérieusement, il faut craindre une plus
grande dégradation de la qualité de la gouvernance en Afrique, les satrapes et
autres responsables d’exactions de tout poil pouvant se sentir plus à l’abri de
toute demande de comptes par rapport à leurs actes répréhensibles.
En effet, si
la communauté internationale ne rectifie pas illico presto le tir, on assistera
à la disparition de la CPI, au sens propre comme au sens figuré du terme. Déjà
on observe des initiatives comme la campagne indécente du président ougandais,
Yoweri Museveni, contre la CPI auprès de ses pairs africains. On se souvient d’ailleurs
de la levée de boucliers des chefs d’Etat de l’Union africaine (UA) contre les
récentes poursuites à l’encontre des chefs d’Etat en exercice et des velléités
de retrait du Kenya de la CPI, pour protester contre les récentes poursuites
engagées contre son président et son vice-président. C’est dire combien la CPI
est menacée dans son existence. Mais, bien plus que la disparition au sens
propre de cette Cour, c’est sa disparition au sens où elle ne serait plus qu’une
coquille vide, juste là pour meubler l’espace institutionnel international, qui
est le plus à craindre.
Il est impératif que la CPI soit mise dans les
conditions de relever la tête
En d’autres
termes, le risque existe bel et bien de voir les peuples de plus en plus
abandonnés à eux-mêmes, face aux machines répressives des gouvernants. Et Fatou
Bensouda ne peut évidemment rien sans la bonne volonté des Etats et surtout du
Conseil de sécurité. C’est à cet organe de l’Organisation des Nations Unies,
faut-il le rappeler, que revient la lourde charge et l’immense responsabilité
de veiller à garantir la paix dans le monde. Or, c’est un truisme de dire qu’il
ne saurait y avoir de paix véritable sans justice, sans capacité de punir les
criminels et de dissuader tous ceux qui seraient tentés de commettre des
exactions contre des populations. C’est le Conseil de sécurité qui peut déployer
les moyens pour permettre à cette Cour d’enquêter dans la quiétude, sur les
terrains où sa présence est rendue nécessaire par les crises.
Hélas, ce sont les populations qui payeront le
prix fort de ce laxisme du Conseil de sécurité, elles qui sont livrées à la
furie des dirigeants criminels qui profitent au maximum de l’impunité ambiante.
C’est dire à quel point les peuples font grise mine pendant que les dictateurs
pavoisent, face à cette impuissance de la CPI. Ce sont les populations
africaines surtout qui auront beaucoup plus à perdre de cette léthargie de la
Cour pénale internationale. Car s’il y a plus d’Africains dans le viseur du
bureau de Fatou Bensouda, c’est parce que c’est sur ce continent que la
mal-gouvernance sévit le plus, avec ses corollaires que sont les crises
politiques et leurs lots de violences. Il n’y a qu’à considérer le nombre de
foyers de tensions et de missions des Nations unies sur le continent noir, pour
s’en convaincre.
S’il
abandonnait ces populations à leur triste sort, le Conseil de sécurité se
rendrait coupable de non-assistance à peuples en danger. Il faudra rectifier
rapidement le tir. Il est impératif que la CPI, qui est une sorte de mauvaise
conscience des dirigeants sans conscience, soit mise dans les conditions de
relever au plus vite la tête. Il est difficile de comprendre la position des
pays qui s’affichent comme chantres de la démocratie et de la défense des
droits humains, comme les Etats-Unis d’Amérique, mais qui refusent d’être
membres de cette Cour et surtout, de lui offrir les moyens de faire son travail
comme il se doit. C’est une question de cohérence.
C’est
probablement à dessein que Fatou Bensouda a décidé de vider son sac en public
et de secouer le cocotier du Conseil de sécurité. Il faut espérer que cela produise
l’effet escompté, condition pour que la CPI et ses missions ne meurent pas de
leur belle mort. Il appartient également à l’opinion internationale, aux
organisations de la société civile à travers le monde, de soutenir le noble
combat de Fatou Bensouda et de son équipe, pour l’avènement d’une CPI disposant
des moyens de sa politique, de sa mission.
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