L’actualité du
8 janvier 2015, le directeur national de Campagne de Laurent Gbgabo, Dr ASSOA
Adou, a été mis aux arrêts en Côte d’Ivoire. Il était rentré d’exil le 25
novembre 2014 du Ghana pour prendre la tête du combat des pro-Gbagbo contre l’actuel
Président du FPI, Pascal Affi N’guessan. Il faut dire qu’il dirigeait avant son
retour d’exil la coordination des militants du FPI en exil
Alors, beaucoup
d’Africains en général et de Camerounais en particulier me demandent ce qui se
passe au FPI. Alors, que se passe-t-il au FPI? J’ai décidé d’en parler sans prétendre
avoir le monopole du savoir sur la question.
‘‘ Même combat, approches
divergentes ‘‘.
Pour rester le
plus neutre possible, je ne peux que dire que les militants du FPI ont l’intention
de mener le même combat, avec des approches qui divergent et s’opposent. Le même
combat est de façon générale celui de revenir au pouvoir (combat de tout parti
politique) et de façon spécifique, celui de la reconquête des droits politiques
perdus après la chute de Laurent Gbagbo qui passe par le retour des exilés et
des réfugiés, le dégel des avoirs, la levée des interdictions de voyager, la
libération des résidences privées occupées, l’abandon des procédures
judiciaires ou de la justice des vainqueurs, etc.
De façon générale,
tout le monde se dit pro-Gbagbo. Les cadres du parti pensent que pour revenir
au pouvoir (à l’immédiat), il faut être réaliste et utiliser le nom de Laurent
Gbagbo. Pourquoi? Parce que Laurent Gbagbo, malgré son emprisonnement à La Haye,
est devenu plus populaire en Côte d’Ivoire que jamais. Les enquêtes de l’ONUCI
le confirment. Est-ce que la masse est ‘‘bête’‘? Généralement, dans la logique électoraliste,
les hommes politiques ne se posent pas ce genre de questions lorsqu’ils veulent
gagner. Par exemple, depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011,
il n’a pas quitté la Une de la presse au quotidien. J’ai demandé à certains DP
pourquoi ils continuaient de mettre Laurent Ggagbo à la Une. Ils m’ont répondu
qu’ils ne vendent pas lorsqu’ils sortent Laurent Gbagbo de la Une : ‘‘ Vous
devez parler de lui en bien ou en mal pour vendre ‘‘. La ‘‘ titrologie ‘‘ est
très importante dans la vente de la presse en Côte d’Ivoire et ailleurs. A
titre d’illustration, Notre Voie, l’organe de presse du FPI, est dans une
situation de quasi faillite depuis que le Président du FPI, Affi N’guessan, a
remplacé Laurent Gbagbo à la Une. L’ancien DP, Etienne Souanga dit César Etou,
ne pouvant plus tenir cette configuration identitaire contraire aux principes
du journalisme, a été limogé par le Président Affi pour ‘‘fautes graves’‘. César
Etou dit: ‘‘ Je viens d’être limogé de toutes fonctions à Notre Voie pour avoir
écrit un article sur la candidature du président Gbagbo à la présidence du FPI.
‘‘ Il s’agit de Notre Voie du mercredi 5 novembre 2014.
Tout ceci pour
expliquer que Laurent Gbagbo reste une marque commerciale et politique. Les
presses Le temps et LG infos qui appartiennent à la journaliste Nady Bamba,
seconde épouse de Laurent Gbagbo, font les plus grosses ventes en Côte d’Ivoire.
Seul secret: laisser Laurent Gbagbo à la Une contre Affi N’guessan. Il faut
aussi rappeler que la presse est politique en Côte d’Ivoire contrairement à ce
qui se passe dans d’autres pays. L’essentiel de la presse a été créée après le
multipartisme par les partis politiques ou les hommes politiques. On peut donc
comprendre la dernière attaque d’Affi dirigée sur Nady Bamba qu’il désigne
comme étant la traîtresse du FPI et de Laurent Ggagbo en collusion avec Soro. J’y
reviendrais.
Le désamour
pour Pascal Affi N’guessan est l’histoire d’une succession d’erreurs
politiques. La première erreur politique d’Affi N’guessan est d’avoir dit à l’une
des réunions que la page de Laurent Gbagbo devait être tournée. C’était violent
et de nature à révolter les proches de Gbagbo. Affi semblait penser que son
heure avait sonné d’une part et qu’il ne fallait plus confondre Laurent Gbagbo
et le FPI. En tant que président, Affi voulait probablement donner une nouvelle
image au FPI. Il voulait se défaire de l’image de ‘‘frontiste’‘ assimilée à la
violence. Sauf qu’il s’est mal pris. Il a suscité la colère de ses camarades
qui lui ont rappelé que sa ‘‘libération provisoire’‘ était le fruit de leur
combat et de leur résistance et qu’Affi lui-même avait le devoir moral de
continuer le combat pour faire libérer les autres camarades encore en prison ou
en exil. Devoir de solidarité! En communication institutionnelle, on dirait qu’Affi
s’est bâti une image non-désirée.
La deuxième
erreur politique est toujours commise en réunion où Affi ne supportait plus d’être
mis en minorité dans son propre parti. C’est un peu l’histoire d’Ahidjo et Biya
où le successeur fonctionne avec l’équipe du prédécesseur. Alors, Affi vire
tous les pro-Gbagbo et installe son équipe. Les pro-Gbabgo organisent une ‘‘révolte
interne’‘ et remporte la victoire le 4 juillet 2014. Affi les reconduit dans
leurs fonctions au sein du parti. Depuis ce jour, Affi est non seulement en
minorité mais, affaibli politiquement.
La troisième
erreur politique se déroule toujours en réunion. Les cadres se plaignent que le
FPI est endormi. Le parti ne mène plus des actions. Tout le monde est d’accord
sur le principe des actions. Mais lesquelles? Les uns disent sans ambages que
le ‘‘FPI est un parti de mobilisation’‘ et que par conséquent, il faut
recommencer les mobilisations pour ‘‘arrêter leurs droits politiques bafoués’‘.
Le camp Affi recommande d’utiliser la stratégie de Guillaume Soro. Qu’est-ce
que la stratégie Soro? Il faut entrer dans le ‘‘jeu politique’‘. Il faut
embrasser l’ennemi pour mieux l’étreindre. Guillaume Soro est entré dans le jeu
politique avec Laurent Gbagbo et a utilisé les moyens du gouvernement pour étreindre
Laurent Gbagbo. Pour le camp Affi, les manifestations connoteront encore l’esprit
‘‘frontiste’‘ qui n’est plus politiquement correct. Il faut montrer une autre
face pour susciter la sympathie et la clémence de la communauté internationale
et du gouvernement. Sauf que Laurent Gbagbo témoigne lui-même dans son livre
selon Mattéi (2014) qu’il est entré dans le jeu politique avec la France et la
rébellion de Soro pour ‘‘acheter la paix’‘ mais, qu’il n’a jamais eu la paix.
Les ‘‘résistants’‘ sont clairs: il ne faut pas caresser l’ennemi surtout si cet
ennemi s’appelle la ‘‘France coloniale’‘. Le camp Affi est tout aussi clair: il
faut entrer dans le jeu politique pour ne pas disparaître. Le président
Hollande l’a dit aussi à son passage en Côte d’Ivoire. De quoi énervé davantage
les résistants!
Que veut dire entrer dans le jeu
politique ?
(1) Siéger à la
Commission électorale (CEI) et aller aux élections. Affi semble très excité à être
le candidat. Mais, pour ses camarades, il y a des préalables à remplir. D’abord,
la CEI n’est pas indépendante. L’alliance du FPI n’a que 2 commissaires sur 17.
C’est une commission électorale à la camerounaise où le gouvernement a les
pleins pouvoirs. Au temps de Gbagbo, c’est l’opposition qui était majoritaire à
la CEI. Cela permettait à l’opposition d’alors d’avoir un vrai droit de regard.
Les cadres du FPI réclament la réciprocité au gouvernement Ouattara et à la
France qui était à la manoeuvre à Marcoussis. Ensuite, les résistants du FPI
demandent la libération de leurs camarades, le dégel de leurs avoirs, le retour
des exilés, l’abandon de la justice des vainqueurs avant d’entrer dans le jeu
politique. Pour eux, c’est trahir l’éthique de la résistance que d’aller servir
de caution au Président Ouattara pour dire que la démocratie est de retour en Côte
d’Ivoire.
(2) Un proche d’Affi
N’guessan aurait rapporté en réunion et la presse a relayé que le gouvernement
Ouattara avait proposé six (06) portefeuilles au FPI. Pour les résistants,
accepter d’entrer au gouvernement est synonyme de préférer la mangeoire à la
cause défendue par le parti et pour le camp Affi, il n’y a pas d’amalgames à
faire. Il faut utiliser la stratégie Soro. Il faut entrer au gouvernement pour
se ravitailler afin de mieux continuer le combat. En l’état, le parti et ses
cadres sont ruinés. Leurs biens sont gelés, leurs résidences sont occupées et
leurs déplacements sont restreints. Impossible de faire la politique dans ces
conditions. Impossible de faire des mobilisations géantes sans moyens. Pour les
résistants, il faut plutôt arracher ces droits politiques au lieu de ‘‘
supplier ‘‘ le gouvernement.
Les cadres du
FPI ne s’entendent donc pas sur la nouvelle ligne politique du parti. D’où la nécessité
d’aller au congrès pour trancher démocratiquement. Il fallait donner la parole
aux militants. Sauf qu’en allant au congrès, les uns sont plus confiants que
les autres. Les militants ne veulent qu’une seule chose : Laurent Gabgbo. D’où
la montée de la surenchère sur le nom de Laurent Gbagbo. Affi commence
lui-aussi à dire que sa priorité, c’est la libération de Laurent Gbagbo. Il
fait quelques gestes comme la création d’une vice-présidence chargée de la libération
de Laurent Gbagbo. Sauf que ses adversaires l’accusent de brandir le nom de
Laurent Gbagbo uniquement pour des raisons électoralistes.
Qui doit contrôler le parti ?
Aller au congrès
signifie aussi avoir une nouvelle direction du parti. Les résistants veulent dégager
Affi et son équipe et ce dernier veut se maintenir. Les résistants font face à
une difficulté. Les vrais caciques sont soit en prison soit en exil. Ceux qui
sont revenus d’exil sont soit silencieux (pro-Affi, c’est le prix de la liberté),
soit en prison comme Blé Goudé, Lida Kouassi ou dernièrement Assao Adou accusés
de complot contre l’Etat. Que faire ?
Un fédéral (équivalent
de président de section ailleurs) a eu l’idée de lancer l’appel de Mama pour
que Laurent Gbagbo soit leur candidat. Cet appel d’abord banal prend corps et
finalement retient l’attention. En effet, personne ne se fait d’illusion sur le
fait que Laurent Gbagbo est absent mais, son nom (marque politique) est l’assurance-tout-risque
pour chasser Affi : ‘‘ On ne prend pas de risque en mettant Gbagbo ‘‘,
entend-on. L’essentiel, c’est de chasser Affi accusé de collusion avec le
gouvernement.
Les carottes
sont cuites pour Affi sauf que ce dernier ne se laisse pas faire. Il attaque l’authenticité
de la candidature de Gbagbo et le tribunal lui donne raison. Cela renforce la
thèse de la collusion avec le gouvernement. Mais, Affi dit que ses camarades
sont des faussaires et qu’ils sont manipulés par Nady Bamba qui est de
collusion avec Guillaume Soro. Selon Affi, c’est Nady Bamba qui a fait chuter
Gbagbo. En effet, étant nordiste comme Soro, elle a convaincu sont mari Gbagbo
que Soro était un ami qui faisait entrer les armes en Côte d’Ivoire pour protéger
Gbagbo des Comzones avec qui, il (Soro) était en divergence en ce moment-là. A
l’époque, une partie des Forces Nouvelles (ex-rébellion) reprochait à Soro d’être
entré au gouvernement et d’avoir trahi la cause : ‘‘ Gbagbo est un boulanger ‘‘,
lui disait-on sauf qu’à la sortie, c’est Soro qui s’est avéré le vrai
boulanger, selon Affi. Il n’était pas question d’aller aux élections sans désarmement.
Mais, Nady Bamba aurait convaincu sont mari que la rébellion était une armée de
réserve pour lui. Affi témoigne que Nady Bamba avait organisé une rencontre
avec Soro afin que le FPI accompagne l’alliance Soro-Gbagbo.
En gros, les résistants
accusent Affi de collusion avec le gouvernement et Affi accusent les résistants
de collusion avec Soro à travers Nady Bamba. A préciser que c’est Nady Bamba
qui prend soin de Laurent Gbagbo à La Haye. Soro a-t-il des ambitions présidentielles
? Oui, selon son ami indiscret, Franklin Nyamsi par exemple. D’ailleurs,
personne ne se fait d’illusion en Côte d’Ivoire que 2020 est l’année de Soro. C’est
d’ailleurs la raison du trouble au PDCI d’Henri Konan Bédié. Les cadres savent
que pour que le PDCI revienne au pouvoir, il faut une candidature en 2015 en l’absence
de Soro. Pourquoi ? Parce que le RDR d’Alassane Ouattara n’est pas suffisamment
populaire pour remporter sans coalition les élections en Côte d’Ivoire. Dans un
marché de dupes, le RDR promet au PDCI de soutenir une candidature du PDCI en
2020 sauf que Guillaume Soro n’est pas militant du PDCI mais, du RDR. Une
alliance RDR-PDCI en 2015 signifie littéralement que le RDR demeure au pouvoir
jusqu’en 2030 au moins car, Soro est très jeune et pourra prétendre continuer à
l’africaine jusqu’en 2035 ou 2040 ! Les cadres du PDCI pensent donc que l’alliance
RDR-PDCI en 2015 est un suicide politique pour le PDCI. De son côté, le camp
Affi pense que l’absence du FPI aux élections en 2015 est un suicide politique
pour le FPI.
Pourquoi tant de peur ?
(1) la
popularité de Laurent Gbagbo n’a pas baissé depuis 2011. Une alliance avec une
aile du PDCI (celle de Kouadio Konan Bertin dit KKB par exemple) pourrait
permettre de remporter les élections. Cette alliance peut faire des ‘‘
mobilisations ‘‘ très géantes en Côte d’Ivoire, ce que redoute le gouvernement
populaire plutôt au sein de la communauté internationale. On peut comprendre le
déchaînement du député KKB ce 03 janvier 2015 face à l’interdiction de son
meeting avec le COJEB de Blé Goudé à Yopougon : ‘‘ c’est la dernière fois que
cela arrive ‘‘, a-t-il dit.
(2) Soro profite une fois de
plus des attributs de l’Etat pour se positionner. En tant que N°2 de Côte
d’Ivoire, il voyage à l’interne et à l’externe avec les attributs présidentiels.
En tant que ‘‘ député de la Nation ‘‘, il fait le tour du pays et se rapproche
des populations. Au sein du RHDP (coalition au pouvoir), personne ne se fait d’illusion
sur ses ambitions. Il est le mieux placé, démocratiquement, même si l’on peut à
tout moment remuer sa casquette d’ex-rebelle désirable à la CPI pour crime
contre l’humanité (et donc, indésirable à la tête de la Côte d’Ivoire).
Pour conclure,
il faut dire que la crise politique qui secoue la Côte d’Ivoire depuis 20 ans a
le même motif : l’instrumentalisation de la justice pour écarter l’adversaire
politique. Aucun des quatre présidents qu’a connu ce pays depuis la disparition
de Félix Houphouët-Boigny (si ce n’est Laurent Gbagbo) n’a voulu
consacrer une fois pour toute la libre compétition. Il est décevant qu’un libéral
comme Alassane Ouattara en soit encore à perpétuer les mêmes pratiques anti-démocratiques.
Pas de réconciliation nationale (vérité-mémoire-réconciliation) sans amnistie.
C’est une démarche élémentaire que tout le monde sait. Le Président Ivoirien
dit qu’il faudra d’abord la justice avant le pardon. Dans le langage politique,
cela lui permet de tenir à l’écart ses adversaires politiques. 82 cadres du FPI
sont en justice et d’autres sont en exil.
Qui se portera
donc candidat contre lui en supposant que la page de Laurent Gbagbo soit tournée
? On s’imagine que le Président Ouattara pardonnera à ses adversaires après les
élections de 2015. Sauf qu’en ce moment, il faudra résoudre le cas Soro dont la
justice pourrait être instrumentalisée (crime contre l’humanité) pour l’écarter
de la course de 2020. Non, si le Président ivoirien voulait démocratiser son
pays, alors il aurait déclaré l’amnistie dès 2011 car, dans une situation où
tout le monde a du sang sur la main, la solution est plus politique et que
judiciaire. Le Président Ouattara ne peut pas poursuivre les ex-rebelles et par
conséquent, il ne peut pas valablement dire ‘‘ justice avant pardon ‘‘. La
justice ne peut pas consister à poursuivre uniquement ses adversaires, sous prétexte,
comme le dit Soro, que la justice a toujours été celle des vainqueurs. Il faut
amnistier afin que les témoignages soient libres sans craintes de poursuites
judiciaires et que la réconciliation s’en suive. Mais, la Côte d’Ivoire est
loin de ce chemin. Les uns sont dressés contre les autres. Et c’est ce qui se
passe au FPI qui n’est pas un cas isolé.
Louis-Marie
KAKDEU
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