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MARCHE CONTRE LE TERRORISME: POURQUOI LE CHOIX DU 28 FÉVRIER EST PROBLÉMATIQUE par Boris Bertolt

Le 28 février 2015, les camerounais sur l’ensemble du territoire national et plus particulièrement dans les villes de Yaoundé et Douala sont appelés à sortir massivement pour manifester pacifiquement contre les atrocités perpétrées par la secte islamiste BokoHaram et réaffirmer leur soutien indéfectible aux forces armées camerounaises qui se battent maintenant depuis plus d’un an pour empêcher une horde de voyous, fanatiques d’un islam archaïque, de contrôler la moindre parcelle de notre territoire. 
Mouvement initié par le collectif UNI POUR LE CAMEROUN (principalement composé de journalistes), il devrait permettre à terme de renforcer la cohésion nationale autour de cette guerre. Ce projet ambitieux et louable, s’inscrit en droite ligne de la manifestation de Paris du 11 janvier dernier  à Paris,  suite aux attentats perpétrés  contre le journal satirique Charlie Hebdo et l’épicerie Hyper Cacher. Une manifestation qui avait rassemblée plus d’un million et demi de personnes à Paris et 4 millions dans toute la France pour dire « Non au terrorisme ». Les organisateurs de la marche du 28 février au Cameroun nourrissent secrètement l’ambition de réaliser ce même exploit. Ce qui me paraît tout à fait normal et encourageant d’un certain point de vue et prenant compte des considérations d’ordre politique qui pourront faire l’objet d’une autre réflexion.

Mais très vite les critiques ont fusé. Parmi celles-ci une première qui dénonce de manière générale ce que l’on peut ranger dans la catégorie du « mimétisme colonial ». Les tenants de cette thèse soutiennent qu’il apparait assez surprenant que les africains soient en permanence en train d’attendre que les initiatives viennent de l’occident pour les reproduire chez eux. Ils dénoncent à cet effet cette incapacité d’anticipation, d’innovation et de créativité, qui peuvent trouver leur fondement dans la psychanalyse du colonisé. Parmi l’une des plus illustres s’inscrivant dans ce registre, il faut noter cette sortie du chercheur en littérature, Maurice SimoDjom, qui sur les réseaux sociaux a dénoncé ce qu’il appelle « la maladie du cerveau africain postcolonial ». D’après lui, « le mimétisme est la maladie de certaines sociétés africaines postcoloniales. Depuis un siècle, quand on tousse en France, on éternue en Afrique. Des gestes parmi les plus habituels qui auraient pu être posés en néo-colonie, échappent complètement au bon sens, jusqu’à ce que le centre postcolonial tousse. Alors, dans les territoires satellite de l’ancienne puissance impériale, l’on entre en transe. Singer le maître jusqu’à organiser des marches contre le terrorisme en février 2015, alors que la guerre dans l’Extrême-nord du Cameroun fait des victimes depuis un an, voilà une nouvelle illustration du mimétisme, ancré dans le cerveau postcolonial. C’est que, entre temps, le centre colonial en a organisé une, quatre jours après l’attaque de Charlie Hebdo. C’est en ce moment-là que ça et là on a pu lire « Je suis l’armée camerounaise », en réaction à « Je suis Charlie ».
 
Empruntant une démarche psychanalytique proche de Frantz Fanon, considéré comme l’un des précurseurs des postcolonialstudies, l’ancien journaliste du quotidien Le Jour  ajoute : « en effet la marche contre le terrorisme est, non pas un geste pertinent, mais une routine en l’honneur du maître qui l’a inventé. Répéter le geste d’invention coloniale a toujours été une marque d’allégeance. Il s’agit pour le bon nègre de montrer qu’il a assimilé la leçon du maître et qu’il mérite un traitement différent de celui qui est réservé au reste du troupeau. Le slogan « Je suis l’armée camerounaise » n’est pas creux en lui-même, ni la marche contre le terrorisme mais leur agenda incite à penser que rien ne peut être inventé par le bon nègre et que la pertinence réside dans le centre postcolonial. En tropicalisant ce slogan, les bons nègres font preuve de psittacisme car les conditions d’énonciation de ce slogan précédaient largement l’énonciation de celui qu’il tropicalise ». Avant de conclure : « On est amené à penser que quatre siècles d’esclavage et un siècle de colonisation ont laissé des stigmates qui sont encore visibles et qu’il est nécessaire d’exorciser. Stigmatisé, dénié, objectivé, le cerveau postcolonial a fini par tourner au ralenti, il est rivé sur l’aiguille de l’Hexagone, posé en centre solaire de gravité. Ce cerveau est complètement rouillé par les mécanismes de déshumanisation et d’animalisation. Il faut reformater le cerveau africain postcolonial ».
Bien qu’il soit possible d’arguer trivialement comme nous le faisons régulièrement que « quand c’est bon on copie chez le voisin » (une marque manifeste de paresse intellectuelle chez bon nombre de camerounais), l’intérêt de cette critique est de mettre à nu le niveau d’attentisme, d’immobilisme et peut-être de mépris de notre société. Car comment comprendre que nous puissions nous inspirer des évènements de Paris afin d’organiser une marche de soutien aux forces armées et populations alors que depuis plus d’un an des dizaines de soldats camerounais meurent sur le champ de bataille sans que cela ne puisse susciter une émotion générale. Plus grave, selon les organisations des droits de l’homme, BokoHaram a déjà fait plus de 13 000 victimes civiles. Dont des milliers de camerounais. Où étions-nous depuis ? Ceci en passant sous silence le fait que le chef de l’Etat, chef suprême des armées et qui incarne à l’international cette lutte ne s’est pas recueillit sur le cercueil d’un militaire mort au combat ou en chef de guerre ne s’est nullement rendu sur le terrain comme le fait Barack Obama, François Hollande ou Uhuru Kenyatta. Autant d’écueils qui amènent à s’interroger.
Une deuxième critique et qui constitue le creuset de ce texte porte sur la question de la mémoire.
Réagissant aux questions sur le choix de la date, 28 février.  Certains organisateurs ont tenu à préciser que la démarche ne s’inscrivait pas dans le registre «  de la concurrence des mémoires ». Arguant simplement qu’il s’est agi pour eux de célébrer les soldats décédés sur le front. Si de prime à bord  l’intention est tout à fait crédible, il ne fait aucun doute que les questionnements sur le choix de la date restent pertinents. Car les repères historiques sont les marques de fabrique d’une société. Elles permettent à celle-ci non seulement de se repenser, mais également de définir l’avenir et les choix nécessaires pour éviter que certaines situations se reproduisent.
Les premières traces d’une obligation de se souvenir apparaissent dans L’Ancien Testament avec l’épisode de l’esclavage des Juifs en Égypte. On retrouve également des éléments  liés aux soldats morts aux champs d’honneur, se sacrifiant pour la nation et la patrie. Dans la période contemporaine, les militances mémorielles étaient pensées et exprimées au départ comme une demande pressante adressée à la République, d'être honnête avec elle-même, de reconnaître les graves fautes commises en son sein et en son nom, et d'y remédier en termes de rétablissement de la vérité, à tout le moins, au nom des valeurs universalistes partagées.
 
Ce devoir de reconnaissance passe par la reconnaissance des violences perpétrées contre des personnes désarmées, la reconnaissance des morts qui manifestaient au nom des libertés publiques  contenues dans la constitution de 1996, la reconnaissance envers ces mères qui sont sorties ce 28 février parce qu’elles n’avaient plus de quoi bouillir leurs marmites, la reconnaissance en vers ces étudiants incarcérés pendant plusieurs mois parce qu’ils avaient simplement voulu exercer un droit qui leur ait enseigné à l’école, la reconnaissance de ces personnes décédées ce jour à Bamenda, Bafoussam, Douala, Yaoundé et autres, dont l’identité n’a jamais été communiqué. La République a également le devoir de les célébrer et de demander pardon s’il l’en faut. C’est comme cela qu’une nation se construit. Qu’un peuple s’unit et définit de manière commune et consensuelle ses ambitions. L’enjeu c’est de dire « PLUS JAMAIS CA ». Plus jamais on ne tirera sur des citoyens désarmés. Plus jamais des corps ne disparaîtront sans qu’on ne retrouve leurs traces dans le cadre d’une manifestation ; Plus jamais des unités spéciales de l’armée (BIR, GP et autres) ne seront mobilisées contre leurs « frères ». On ne fait pas la guerre contre son propre peuple.
Aucune nation ne s’est construite sur l’oubli. Aucun peuple n’a renoncé à son passé. Aucune société ne tient à bafouer ses valeurs.
Aux Etats-Unis, en France, en Allemagne ou de manière générale dans ce qui est considéré comme « le monde occidental », la mémoire est le socle de certaines luttes menées actuellement.  La shoah a constitué un évènement tellement traumatisant dans l’histoire du peuple juif que tout est fait aujourd’hui pour que cela ne se reproduise plus jamais. A travers les journées Martin Luther King, la République aux Etats-Unis demande pardon à la communauté noire pour les tords perpétrés contre elle. Les célébrations de la grande guerre en Europe ont pour objectif d’empêcher à jamais que ce type de violence ne se produise à nouveau sur le vieux continent.
Qu’est-ce que nous avons au Cameroun qui nous permette d’entretenir notre conscience collective ? Quelles célébrations permettent à la nation camerounaise de se retrouver dans toutes ses composantes et de penser ses plaies ? L’oubli ne peut pas réguler éternellement notre existence. Le Cameroun ne peut pas continuer à se bâtir comme si nous n’avons aucun passé. Comme si des hommes ne s’étaient jamais battus pour nos libertés, pour notre émancipation. On ne peut pas continuer à exister sans socle unificateur. Un peuple qui n’a pas de mémoire collective est un peuple perdu, divisé, fracturé.
Dès lors, la mort de nos braves soldats sur le front de l’Extrême-Nord est déplorable, doit être dénoncée et doit susciter un sursaut républicain et patriotique en faveur de cette institution qu’est l’armée. Ainsi, comme l’a relevé à juste titre Mathieu Youbi dans son billet du mardi dans ‘’le Cameroun c’est le Cameroun’’, forum citoyen, sur le principe, cette marche peut être « un sursaut qui montrera que ce pays peut encore être une nation. La nation à nous tous. Ceux qui vont descendre dans la rue, seront des camerounais sans ethnie, sans connotation politique, des citoyens d’un pays unie (pour un temps) et soudés derrière ceux qui défendent notre territoire ». Cependant, cela doit-il se faire dans l’obstruction d’autres référents mémoriaux ? Car depuis sept années, des organisations de la société civile, des partis politiques, des familles, des universitaires se mobilisent tous les 28 février pour honorer la mémoire des camerounais morts le 28 février2008 dans le cadre de ce qui est continentalement connu sous l’appellation « émeutes de la faim ». Ils baptisé cette journée « la journée des martyrs ». Car derrière ces violences qui ont secoué notre pays, se jouait également en toile de fond les aspirations d’une jeunesse à plus de liberté, plus de démocratie et une gouvernance plus juste, plus égalitaire et plus équitable.
Certains camerounais, dans une posture cynique inquiétante ont cru bon de remettre en cause l’existence d’une « journée de martyrs » au Cameroun arguant qu’elle n’a jamais été institutionnalisée. Une posture d’une froideur déconcertante. C’est dans la mesure où les mobilisations sociales et politiques de ces dernières années pour commémorer cet évènement et qui ont parfois été brutalement réprimées ont été largement relayé dans les médias. 
Dans une République, des citoyens ont à la fois des droits et des devoirs. Les libertés d’expression, de manifester, de revendiquer font partie des droits de chaque citoyen. L’accomplissement de cette citoyenneté passe par des luttes permanentes pour que ces droits soient respectés par la République. Dès lors, quelque soit notre obédience politique, notre classe sociale, si l’Etat au sens « Bourdieusien » du terme viole les droits de certains citoyens, le devoir de solidarité s’impose à nous. Car si cet Etat peut violer les droits d’une catégorie de citoyens, il peut également s’attaquer à tout moment à nos libertés fondamentales.
Plus grave. Comment vouloir qu’un pouvoir qui a ordonné à l’armée de tirer sur son peuple puisse lui-même reconnaître ces massacres ? C’était comme demander à Hitler de reconnaître la Shoah. On ne doit pas et on ne peut pas rester éternellement insensible aux souffrances d’autrui. Les tenants de cette posture auraient-ils eu le même raisonnement si l’un des leurs avait perdu la vie ? L’indifférence ne saurait être une culture politique.
Ainsi le véritable problème ne se situe pas sur le principe de la marche, mais sur le choix de la date. Les dates sont des marqueurs, des référents dans l’histoire d’une société. Elles regorgent en permanence un passif qu’on ne saurait gommer. Pour nombre de jeunes camerounais, le 28 février représente ce jour où certains ont vu leurs frères, leurs camarades, leurs amis abattus froidement par cette armée que nous devons encourager malgré tout dans la guerre contre les fanatiques écervelés de l’islam. Un jour où des hélicoptères survolaient les grandes villes et lançaient des bombes lacrymogènes sur une jeunesse qui tenait à exprimer un mécontentement visible et généralisée. Un jour où certaines mamans ont perdu leur seul enfant dans ces manifestations. Un jour où des étudiants de la cité universitaire de l’université de Yaoundé 1 ont vu des militaires pénétrés au sein du campus universitaire dans la nuit, casser des portes et tabasser leurs camarades. Ces faits ne sauraient disparaître du jour au lendemain.
Dans un pays où les marches autorisées sont celles acquises au pouvoir en place et en majorité organisées par le parti-Etat, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), il y’a lieu de s’interroger sur le choix de cette date. C’est un secret de polichinelle que le pouvoir en place à Yaoundé redoute toute manifestation potentiellement de grande envergure à caractère politique. Les multiples interdictions de manifester délivrées par les autorités administratives l’attestent à juste titre. Car la guerre, loin de se limiter sur le front militaire, recèle toujours des enjeux politiques énormes, qui très régulièrement sont méconnus de la masse. 
Une autre date aurait certainement été plus fédératrice et attirer le minimum de critiques. En temps de guerre, une nation a besoin d’être unie et prête à se battre pour garantir et assurer sa souveraineté. La lutte contre la secte islamiste BokoHaram peut également servir de tremplin pour réconcilier ce peuple avec son histoire. Cette réconciliation ne saurait se faire sur la base d’une mémoire sélective. 
Mais dans un contexte où les uns sont régulièrement opposés au autres, dans un environnement où certains s’estiment plus patriotes que d’autres, dans un pays où historiquement les familles, les villages, les ethnies se battent au quotidien sous le regard de l’élite gouvernante, ce vœu d’unité reste à construire. La République doit être  repensée.
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