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UN PEUPLE A L’HISTOIRE TRONQUEE SE DOIT DE PRENDRE PAROLE par Le Collectif Mémoire 60

UN PEUPLE A L’HISTOIRE TRONQUEE SE DOIT DE PRENDRE PAROLE

Déclaration du Collectif « Mémoire 60 » contre les émissions perverses de RFI sur l’histoire des leaders de la guerre d’indépendance imposée par la France au Kamerun.
                         
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Le Collectif « Mémoire 60 » a pris connaissance des émissions diffusées récemment par Radio France Internationale (RFI) sur deux grandes figures du nationalisme kamerunais : Ruben Um Nyobe, secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun (UPC) et Félix Moumié, président de l’UPC. La vie et le combat de ces deux patriotes africains assassinés par la France ont fait l’objet d’une série d’émissions d’Archives d’Afrique en ce qui concerne Ruben Um Nyobe (novembre-décembre 2014) et Mémoire d’un continent (1er février 2015) pour ce qui est du Dr Moumié. Si l’on peut se satisfaire de cet intérêt d’un média au service du gouvernement français, il est inadmissible que de graves inexactitudes et commentaires blessants aient jalonné ces productions. Aussi convient-il, tout d’abord, de revenir sur quelques faits saillants des deux émissions.


1-L’invention d’une division entre les chefs de l’UPC
Archives d’Afrique (épisodes 3 et 4) soutient, par la voix de son animateur, que l’UPC comportait une « branche plus radicale ». L’historien Achille Mbembe déclare que Ruben Um Nyobe était opposé à la Proclamation Commune du 22 avril 1955 faite par l’UPC, la Jeunesse démocratique du Cameroun (JDC) et l’Union démocratique des femmes camerounaises (UDEFEC) pour la fin du régime de tutelle et pour l'édification d'un Etat camerounais souverain. Dans le même sillage, l’on apprend qu’Um Nyobe était également contre l’institution du Comité national d’organisation (CNO) formé par l’UPC pour continuer la lutte indépendantiste sous maquis. Toutes ces informations sont fausses.

2-L’imputation de crimes non élucidés
D’après Archives d’Afrique, ce sont des militants (sic) de ce même Comité national d’organisation (CNO) qui ont assassiné, dans la nuit du 18 au 19 décembre 1956, Samuel Mpouma et le Dr Daniel Delangue, candidats aux législatives de décembre 1956, auxquelles l’UPC interdite ne participe pas et contre lesquelles elle appelle au boycott. Cette imputation n’est en aucun cas justifiée.

3-Des pseudo-révélations
Mémoire d’un continent quant à elle prétend fournir « Une nouvelle enquête, de nouveaux documents », fournis par Karine Ramondy, « professeur, doctorante en histoire ». Ce qui donne l’occasion à Elikia Mbokolo, l’animateur de l’émission, de lui poser de but en blanc la question que se seraient posé, selon lui, des étudiants africains des années 1950-1960 sur les « fréquentations imprudentes » de Félix Moumié, lesquelles l’ont conduit à rencontrer son assassin, l’agent des services secrets français William Bechtel et une jeune genevoise peu recommandable liée à ce dernier selon Mme Ramondy. 

4-Des experts en question
Il est remarquable que durant les cinq diffusions d’Archives d’ Afrique consacrées à Ruben Um Nyobe, aucun upéciste n’a eu droit à la parole. La production, selon sa propre présentation, a choisi soit des anciens upécistes ralliés au pouvoir en place depuis 1960 (Eugène Wonyu et Augustin Frédéric Kodock, deux modèles du tribalisme politique), soit un individu présenté comme Moukoko Priso (intellectuel bien connu, ancien secrétaire général de l’Upc et militant depuis une quarantaine d’années), mais qui ne l’est pas ! Il s’agit donc d’un faux ! Un autre intellectuel, l’historien Kange Ewane a aussi été tantôt présenté comme militant upéciste, puis ancien militant upéciste, alors qu’il n’en a jamais fait partie et ne le réclame d’ailleurs pas. 

Ajoutées à quelques probables erreurs insolites (par exemple Mfon Ibrahim Njoya, souverain des Bamum, est mort en mai 1933, il n’a donc pas pu être sur le trône lors de l’agression de Um Nyobe à Foumban en 1953 comme le dit Archives d’Afrique; Kange Ewane n’a jamais été jugé et condamné à mort au Kamerun), les émissions de RFI en cause ici appellent quelques explications et l’interpellation qui suivent. 

Grâce aux avancées démocratiques réalisées par les peuples dominés d’Afrique et du Kamerun depuis le tournant des années 1990, les crimes coloniaux sont mieux étudiés au fur et à mesure que le temps passe. Les livres, enquêtes, documentaires, etc. produits par diverses sources éclairent légèrement mieux les Africains sur leur histoire récente dont ils ont été largement privés à dessein. Qu’on le veuille ou non, l’ignorance recule à cet égard. Les gouvernements qui se sont succédé en France l’ont bien compris et évitent les mensonges grossiers d’antan tout en niant l’essentiel. Voilà pourquoi l’on ne perçoit aucune différence entre les réponses données à deux députés français par le gouvernement français en 2011 (droite) et en 2013 (gauche) à la question de savoir si Paris a bien mené une guerre au Kamerun sur une période précise (1957-1963) :  

a- Réponse publiée au Journal officiel français le 13 décembre 2011, page 13052
« La France a reçu, en 1922, un mandat de la Société des nations pour administrer la plus grande partie de l'ancienne colonie allemande du Cameroun, qui a accédé à l'indépendance le 1er janvier 1960. C'est dans ce cadre que les autorités françaises de l'époque ont eu à assumer la responsabilité de la sécurité intérieure de ce territoire, afin de protéger la vie de la population. La France a ensuite assisté les forces camerounaises dans le cadre d'une coopération technique, prévue par l'accord du 13 novembre 1960, comme elle l'a fait avec plusieurs autres pays africains. Pour sa part, le gouvernement français est tourné vers l'avenir et travaille, conformément aux orientations fixées par le Président de la République, sur l'adaptation de notre dispositif militaire en Afrique. Ceci passe, en particulier, par la renégociation de ces accords de défense, qui seront orientés vers les actions de formation, notamment dans le cadre de la montée en puissance des brigades régionales de la force africaine en attente. L'accord de défense avec le Cameroun, signé en 2009, est en cours de ratification. Les détails de la période évoquée par l'honorable parlementaire appartiennent à l'Histoire. C'est aux historiens qu'il appartient désormais de se fonder sur les archives rendues disponibles pour apporter leur éclairage sur le rôle supposé de la France dans les évènements évoqués. »

b- Réponse publiée au Journal officiel français le 23 juillet 2013, page 7750
« La France a reçu, en 1922, un mandat de la société des nations pour administrer la plus grande partie de l'ancienne colonie allemande du Cameroun, qui a accédé à l'indépendance le 1er janvier 1960. C'est dans ce cadre que les autorités françaises de l'époque ont eu à assumer la responsabilité de la sécurité intérieure de ce territoire. La France a ensuite assisté les forces camerounaises dans le cadre d'une coopération technique, prévue par l'accord du 13 novembre 1960. Aujourd'hui, la renégociation des accords de défense existant entre la France et certains Etats africains a permis de fonder une coopération nouvelle et transparente. Reposant sur un partenariat de défense et de sécurité, cette coopération vise à soutenir la modernisation et la restructuration des forces armées et de sécurité des pays africains, principalement à travers des actions de formation. Elle a également pour objectif d'aider l'Afrique à bâtir son propre dispositif de sécurité collective, au moyen des brigades régionales de la force africaine en attente. Conclu le 21 mai 2009, l'accord de partenariat de défense entre la France et le Cameroun est entré en vigueur le 1er août 2012. Pour sa part, le ministère des affaires étrangères travaille au renforcement de la relation qui existe entre la France et ses partenaires africains, notamment le Cameroun, pays avec lequel la France entretient une coopération multiforme et dynamique, avec l'ambition d'appuyer son développement socio-économique. La période évoquée appartient à l'Histoire et aux historiens à qui il appartient désormais d'exploiter les archives rendues disponibles pour apporter leur éclairage sur la période. »
Il convient de relever que les deux députés interrogateurs avaient souligné dans leur interpellation, en plus de l’atrocité de la guerre franco-kamerunaise comparée à celle d’Algérie dont la reconnaissance ne fait plus l’objet d’aucun débat en France, une déclaration de François Fillon, alors Premier ministre français, interrogé sur la question à Yaoundé en 2009, qui avait qualifié ces faits de « pures inventions ». 

Dès lors, l’on peut constater que la France refuse toujours de reconnaître qu’elle a imposé une guerre et des dizaines de milliers de morts au peuple du Kamerun, ou tout au moins à ceux qui y étaient favorables, pour éviter une réelle indépendance. Logiquement, les instruments dont elle dispose, à l’exemple de RFI, sont mis à contribution pour continuer de brouiller les pistes et semer la confusion là où c’est encore possible. En effet, l’analyse sommaire des émissions querellées permet de comprendre que leur but ultime est de dénaturer ou d’édulcorer le combat des nationalistes contre la colonisation française. Sinon, comment comprendre que :

- RFI puisse affirmer, sans la moindre preuve, que l’UPC était divisée en branches plus ou moins radicales (entendez partisans de la violence irréfléchie), preuve d’autant plus facile à fournir qu’elle n’existe que dans la tête des officines néocoloniales françaises qui tentent de fabriquer des oppositions africaines (tribalistes) là où la discussion et la décision démocratiques régnaient malgré les différences d’analyse?

- qu’une chaîne se disant mondiale et donc sérieuse comme RFI ait pu porter des accusations graves comme celles de la responsabilité de l’assassinat de Samuel Mpouma et Daniel Delangue sur l’UPC, alors que la question est encore largement ouverte et les témoignages discordants ? 

- que la méconnaissance de la nature criminelle d’un interlocuteur et de ses complices éventuels puisse servir à justifier des crimes odieux tels que l’empoisonnement par les services secrets français du Dr Moumié ?
- que des renégats de longue date de l’UPC comme Eugène Wonyu et Augustin Frédéric Kodock, dont les comportements et la morale politiques divergent de fond en comble avec ceux de Ruben Um Nyobe, soient préférés à d’autres Kamerunais, upécistes ou non, qui par leur comportement peuvent effectivement témoigner plus sainement du combat du grand révolutionnaire ?

Globalement, l’on se rend effectivement compte que faute de pouvoir ignorer Um Nyobe et ses compagnons comme RFI l’a fait jusqu’ici (admirés de toute l’Afrique, de Gamal Abdel Nasser à Nelson Mandela, ils n’ont eu droit à la parole sur Archives d’Afrique que plus de 20 ans après le lancement de cette émission qui prétend ne pas effacer la mémoire des peuples), la tentative de masquer la responsabilité exclusive de la France dans le déclenchement de la guerre du Kamerun est bien organisée. En essayant, comme le font RFI et ses experts malhonnêtes (A. Mbembe), de démontrer qu’Um Nyobe a été « débordé » par des camarades violents qui n’avaient pas pris la mesure de la situation, la France et ses obligés commettent une forfaiture indigne d’un pays qui a connu, lui aussi, l’occupation coloniale et la guerre de libération nationale. Dès lors, de quel droit RFI peut-il dire que l’UPC était divisée entre des aveugles radicaux violents et militants plus avisés, mus par le bon sens ? Peut-on dire en France, en comparant les parcours du général Charles De Gaulle et du maréchal Philippe Pétain, patriote avant de devenir traître à sa patrie, que le premier était un radical qui a débordé le deuxième par sa volonté de libérer son pays au prix de millions de vies dont des milliers de Kamerunais ?

S’il est indéniable qu’une telle attitude méprisante de la France et de sa radio traduit un rapport de forces en défaveur des Africains partisans de l’indépendance, il n’en demeure pas moins vrai qu’aucun peuple au monde ne saurait demeurer muet face à cette réalité. A la différence de William Bechtel, espion français se passant pour un journaliste, RFI ne peut pas attaquer de manière aussi vile le combat nationaliste et prétendre à la victoire sur le front médiatique. 

Voilà pourquoi le Collectif « Mémoire 60 » en appelle à tous les patriotes Kamerunais et Africains et à tous les hommes épris de justice. Il est toujours temps de se pencher sur l’histoire de l’Afrique, son histoire récente comme celle des origines. Elles seules édifieront sur les causes actuelles des difficultés et l’avenir des peuples du continent et même du monde noir. C’est un apprentissage et une responsabilité essentielle qui peuvent commencer par une dénonciation systématique des menées mystificatrices des médias de la nouvelle colonisation.


Fait à Douala, le 10 avril 2015
Pour le Collectif Mémoire 60
David Ekambi Dibongué et Théophile Nono 
Pour contacter le Collectif « Mémoire 60 » :
Bafoussam : Tél. +237 6 99 91 21 39 / +237 699 78 08 77
Douala : +237 6 99 73 08 52/ + 237 6 99 56 53 02
Yaoundé : +237 6 55 75 53 37
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