Beaucoup d’entre nous lisons encore et pouvons donc prendre du recul pour nous interroger sur certains faits qui se sont produits chez nous dans un passé pas si lointain.
Il y a eu,
Cette émission « entretien avec… », présentée par Dora Eboa le 21 août 2015 pendant laquelle l’invité du soir Gabin Babagnak déclare : « le président Biya a fait du programme des logements sociaux un programme gouvernemental le 29 décembre 2009 – (…) 1695 logements entre Yaoundé et Douala (…) 25 milliards ont été mis à la disposition du maître d’ouvrage le 10 décembre 2010 et que rendu à ce jour les 25 milliards sont épuisés et qu’on n’a pu construire que 240 logements » - « 44 entreprises ont été mises à contribution sur des marchés de gré à gré avec un prix d’achat du mètre carré à 475 000 fr CFA – ce qui équivaut à 475 millions le logement social moyen dans ce programme. » !
En suivant l’analyse de monsieur Gabin Banagnak, l’argent débloqué aurait pu construire en moyenne 2 000 logements ; comment expliquer qu’au final nous n’ayons que 240 logements dont les coquins et les copains sont aussi devenus les propriétaires ? Comment se fait-il que le 4ème pouvoir que sont les médias n’ait pas pris le relais de Dora EBOA pour présenter aux Camerounais ce détournement à ciel ouvert à défaut d’obliger l’Etat à demander des explications ? Le parc immobilier du Cameroun tournerait donc autour de 1.850 000 logements et moins de 1 % de la population en contrôlerait 52 % ! Tout est donc mis en œuvre pour qu’il n’y ait pas de logements sociaux et surtout que ceux qui doivent espérer en avoir n’y ont jamais accès.
Il y a eu,
La désolation avec laquelle nous avons assisté à la descente dans la rue des soldats camerounais de la Misca ; nous avons été surpris d’apprendre que depuis des années (2 ans) au lieu d’une pension mensuelle de 750 000 fr CFA, ces soldats ne recevaient que 250 000 fr CFA. Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement, suivant la communication de son porte-parole débloque une somme de 6 milliards de francs CFA le 10 septembre 2015… Seulement, il est découvert que l’Etat ne doit qu’un milliard cinq cents millions, ou sont donc passés les autres 4 milliards cinq cents millions ? A quoi étaient-ils destinés ?
Il y a eu,
Le spectacle désolant des membres du gouvernement qui se rebellent de l’autorité du premier ministre Philomon Yang… Le ministre de la Culture, Ama Tutu Muna, le ministre des Travaux publics Amba Salla, n’obéissent plus, se rebellent et contestent vertement l’autorité du Premier ministre. L’homme de la rue est tous les matins devant les kiosques, lève les yeux vers le ciel qui se confond au Palais de l’Unité ; vers le Président de la République.
Et il y a enfin le dossier de la Fecafoot, institution qui gère le football dans ce pays de 22 millions d’habitants. Le professeur Joseph Owona agrégé de droit (constitutionnel ?) est proposé et nommé au Comité de normalisation de la Fecafoot, il faut remettre le football sur les rails. Pas moins de trois agrégés de droit sont appelés, mais les statuts proposés par les agrégés sont rejetés en cascade, on va de prorogation en prorogation. Les résultats des clubs dans les différentes compétitions continentales, ceux de l’équipe fanion les Lions Indomptables sont à la peine, à la Coupe du Monde au Brésil, le problème de primes de pose, les joueurs se bagarrent devant des millions de téléspectateurs… Le monde entier à travers le football peut enfin voir que le Cameroun est au fond du trou. A l’intérieur du pays, tout le monde dit « nous n’avons plus rien à cacher. » Qui ne se pose pas de questions sur les pas de danse de Tombi A Roco distribuant des enveloppes à chaque groupe de danse venu du Mbam natal pour son couronnement à la Fecafoot devenue FECAFOOD ? Deux jours après la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage CCA invalide les élections en jugeant que les statuts sont non-conformes ! Eh ! tout ça avec 4 agrégés de droit, des avocats de premier plan et voilà le Cameroun incapable de rédiger les statuts d’une association de droit national ?
Face à ces déraillements politico-militaires, le peuple boit la tasse. Le bateau tangue, prend l’eau de toute part, le président de la République est absent et se mure dans un silence qui pour une fois ne rassure pas. (C’est un coup d’œil à une thèse qui fait l’éloge du silence gouvernant !).
Nous sommes englués dans une grande torpeur. Même si un sentiment de colère nous habite, nous devons reconnaître que l’incapacité à agir et à s’exprimer a pris le dessus sur toute volonté de redresser la barque. Notre impression est-elle si loin de la réalité ? Les structures politiques décadentes dans leur pourrissement généralisé n’ont-elles pas fabriqué une dépossession de l’être, je veux parler d’un désossement ? D’où cette incapacité à agir, à penser, à se mettre debout ? Comment se mettre debout quand on n’a plus de colonne vertébrale ? Voilà pourquoi tout le monde veut sa part de beefsteak dans ce chimpanzé pourri (Eboal –wa’a).
Que faire ? Comment parler ? Que dire ? Comment dire autre chose que des choses convenues, etc. ?
Nous pouvons tous le constater, les hommes, les femmes, les catégories socio-professionnelles sont à la course, tout le monde veut l’argent, plus on va en prendre à la République mieux c’est. Qui plus est, cette République qui agonise, qui se meurt. La une des journaux nous le démontre de plus en plus, elles (les unes) puent le gombo, les magistrats torpillent le droit, les policiers arnaquent, les ministres spolient les militaires, les gestionnaires de crédit se sauvent avec la caisse, les enseignants violent les étudiants et prostituent les étudiantes pour une note pour un diplôme, les intellectuels ont disparu et il n’est plus question de parler de leur silence puisqu’ils ont disparu, ils sont morts. Voici le règne du silence, celui dont Jean-Marc Mozom fait l’éloge dans une thèse consacrée au Président Biya. L’espace médiatico-intellectuel est la meilleure vitrine aujourd’hui pour confirmer le degré de pourrissement de l’espace public camerounais. La raréfaction de la parole critique a une explication, elle est dans les nombreuses campagnes de diffamation dont les quelques figures intellectuelles qui nous restent font l’objet depuis les années 2000. Souvenons-nous de ces images des journalistes brandissant un passeport (pourtant faux) de Mongo Beti et affirmant qu’il n’est pas Camerounais ! Souvenons-nous de l’évacuation des seuls auteurs camerounais des programmes scolaires ! Souvenons-
nous de la paupérisation des enseignants camerounais ! Souvenons-nous des étudiants camerounais bastonnés en public et obligés de chanter « ton CEP dépasse et nourrit mon bac » ! Le monde littéraire et intellectuel tel qu’il est constitué aujourd’hui est lui-même un produit de l’injure ; voilà qui justifie ce climat d’insultes à l’infini, cette insulte qui décourage, muselle toutes les énergies dissidentes.
Nous nous surprenons à devenir un peuple de commémoration (autour de la tombe supposée de Ruben Um Nyobè et des autres martyrs), mais pas un peuple d’héritiers ! Le cri de Jean-Marc Ela dans La plume et la pioche ne passe plus, ne s’entend plus. Oui, tout le monde a compris que :
« Le pouvoir permet d'être riche. Donc il faut écarter toute autre ambition, faire la chasse à tout ce qui pourrait vous empêcher de «manger» tranquillement, en toute sécurité. On a inventé des idéologies pour essayer de justifier cette manière de faire. »
Je sais mieux que quiconque que nous ne pouvons pas nous contenter de faire des constats et de tourner le dos en laissant ce peuple agonisant ! La politique n’est pas désengagement, elle n’est pas jeu de pitre à plaire, à dire une chose et son contraire, c’est un risque permanent, c’est une foi sans faille. Non, tout espoir n’est pas perdu, il y en a qui s’échinent, qui s’acharnent avec la dernière énergie à rendre possible un avenir pour tous. Nous devons transformer l’espace public, nous devons transformer la scène intellectuelle et politique, nous nous devons d’adopter d’autres principes éthiques, mieux nous devons à la fois mettre ensemble ce que nous pensons et ce que nous faisons ; c’est ce que j’appelle co-engendrement pensée et action pour le devenir de nos peuples qui sont multiples et divers.
1 – imposons dans l’espace public cette culture du débat qui a fait la force de ceux qui nous gouvernent aujourd’hui. C’est eux qui ont mis en place Abbia, Ozila, Abolgué et autres qui ont été des grands foyers d’échanges et de débats. C’est à nous de refuser par notre vivacité intellectuelle et par notre force créative à nous imposer comme interlocuteurs, c’est à nous de choisir des thèmes et à les imposer dans l’espace public, dans l’espace d’échange, dans les médias.
2 – C’est à nous aujourd’hui de définir et de modeler l’espace public. Il y a longtemps qu’il n’est plus celui créé en 1844 par Alfred Saker et Joseph Merrick. Il est dans les réseaux sociaux et non plus dans les médias de masse, le réveil du peuple Burkinabè nous l’a prouvé il y a quelques jours encore. Le silence des radios, la duplicité de la
presse ne doivent plus nous inquiéter ainsi que l’affirme Tjadé Eonè, ce temps est révolu pour 76 % de Camerounais qui se reconnaissent comme « androïdes ». C’est vrai, l’espace public traditionnel habermassien est mort, il n’est plus lieu unifié de délibération. Aucun sujet n’est plus tabou, le peuple, la Nation, l’ethnie comme la tribu doivent être questionnés. C’est à nous d’imposer dans nos échanges le problème de l’argent et de la monnaie, celui de l’héritage et du transfert des biens entre générations, la parenté et la parentalité, l’école et ses programmes, la nationalité et la bi-nationalité ; nous devons proclamer la mort de l’hégémonie du silence et ne plus dire « mieux vaut se taire qu’être complices ». Car se taire c’est justement être complice.
3 – En investissant les réseaux sociaux, refusons d’être traqués comme des bêtes de cirque. Ainsi, nous devons apprendre à nous présenter comme nous sommes, nous nommer tels que nous sommes et refuser toutes ces identités que nous nous fabriquons et qui font croire à l’oppresseur que nous n’existons pas.
4 – Nous avons appris en regardant les autres, mais nous ne sommes pas les autres ; voilà pourquoi nous devons refuser que l’autre s’impose à nous comme sujet et unique sujet de débat. Nous ne pouvons pas aimer d’autres pays plus que nous aimons le nôtre. Les idéologues de la perpétuité du pouvoir ne doivent pas prendre le dessus sur tout, partout et avec tout.
Je voudrais terminer par une conviction qui m’habite, c’est celle de tous les hommes de foi : nous devons retrouver la capacité de résister à la structuration actuelle de la société dans l’injustice. Nous devons comprendre que cette résistance est constitutive de la foi, de la vie elle-même. Il doit y avoir en nous ce besoin d’articuler foi et résistance, cette foi qui est en nous, qui ne doit pas être prise chez le voisin. Refusons la fatalité en nous rappelant que l’acceptation de l’injustice et de la misère est un déni de notre foi, un déni de soi, un déni de l’humain.
Dr Vincent-Sosthène FOUDA
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