Le vieux sioux, prudemment mais sûrement, pousse ses pions. Brouillant par moment les pistes, mais restant toujours fixé sur l'objectif : rester ad vitam aeternam au pouvoir.
Depuis le 10 mars 2016, date de l'ouverture de la première session parlementaire de l'année législative, les élus du peuple, aussi bien à la Chambre des représentants, qu'à l'Assemblée nationale, le répètent à l'envie, la moue parfois faussement désabusée : " il y aura bien révision de la Constitution". Une assurance qui ne diverge qu'au niveau du timing, certains affirmant que la Constitution sera relue au cours de la présente session, d'autres, plus prudents soutenant juste que cela sera fait cette année. Mais la constante est là : la refonte de la loi fondamentale est bien sur les rails.
" Il faudra bien donner un contenu républicain à cette mobilisation partisane ", commentait quelques jours plus tôt un responsable du palais des verres de Ngoa-Ekelle, faisant référence aux " appels " à la candidature du président Paul Biya. " On y est enfin !", s'est récrié un député du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), le parti au pouvoir, mardi dernier dans la salle des "pas perdus" de l'Assemblée nationale, en marge des opérations de renouvellement du bureau qui se tenait dans l'hémicycle.
L'exécutif met en effet la dernière touche à une révision constitutionnelle au petit poil, et qui va selon toute vraisemblance faire la part belle à l'organisation d'un scrutin présidentiel anticipé. Si le projet fait partie de la conversation depuis quelques mois seulement, selon certaines officines, c'est aux lendemains de l'élection présidentielle de 2011 que le président Paul Biya fraîchement réélu, a demandé à ses conseillers politiques de gamberger sur un scénario qui lui permettrait de préparer sa retraite tout en restant bien aux commandes. Depuis lors, on a cravaché dur à Etoudi, et dès 2012, les premières notes de l'orchestre se faisaient entendre. D'abord sous les lambris dorés de la République, et de plus en plus dans l'opinion. Une stratégie de communication dont le Renouveau maîtrise l'art : la rumeur.
Et plus, la cantonade suppute sur ces bruits de couloirs, moins l'opinion y croit, tant la ficelle est énorme. " Une élection présidentielle anticipée est difficilement justifiable au plan constitutionnel et institutionnel ", martelait alors le politologue Mathias Eric Owona Nguini, suivi dans cette analyse par Ayah Paul Abine, transfuge du Rdpc, devenu président du People action party (Pap), une formation de l'opposition, puis nommé avocat général à la Cour suprême en 2014 par décret présidentiel.
Le magistrat expliquait alors doctement : " qu'il n'y a que trois hypothèses d'élection présidentielle au Cameroun d'après la loi fondamentale du pays qu'est la Constitution ! [-] la première hypothèse n'a lieu que si le président de la République en fonction meurt. [-] La deuxième hypothèse d'élection présidentielle anticipée, c'est le cas ou le président de la République en fonction démissionne. [-]
Finalement, une élection présidentielle anticipée est provoquée dans le troisième cas par constat du Conseil constitutionnel que le président de la République en fonction se trouve dans l'incapacité d'exercer ses fonctions". Ces trois éléments fondamentaux n'étant pas réunis, Ayah Paul Abine envoyait aux orties l'idée même d'un scrutin présidentiel anticipé.
Maître d'orchestre
Des embûches constitutionnelles et institutionnelles qui ne résistent pourtant pas à la " volonté du peuple ", c'est du moins la voie choisie par les stratèges du président de la République, qui ont remis au goût du jour, une vieille recette déjà expérimentée en 2008, pour la révision de la Constitution qui a fait sauter l'article sur la limitation de mandats présidentiels, et en 2011, pour la candidature de Paul Biya. Janvier 2016, c'est donc Martin Belinga Eboutou, directeur du Cabinet civil du président de la République, un proche parmi les proches, qui s'empare du clairon et sonne le début des " appels ".
Les partisans sont dès lors entrés en transe pour rythmer la vie politique de la nation autour de ces motions d'une obséquiosité d'un autre âge, supposées être une clameur émanant du peuple, avec à chaque mouvement une graduation dans la stratégie.
Seulement, pour certains observateurs, il ne s'agit ni plus ni moins que des " prébendiers du régime ", prêts à tout pour garantir leurs avantages, le président de la République n'étant qu'un otage, " agit plus qu'il n'agit ", comme présenté par Urbain Olanguena Awono dans son dernier brûlot.
Une opinion battue en brèche par certains affidés du pouvoir. Ceux-ci affirment en effet que le seul maître d'orchestre de toute cette stratégie est bel et bien le président Paul Biya. " A chaque appel important, qui devait apporter un élément nouveau, le président lui-même donnait son "ok' au document.
Cela a été le cas pour l'appel de Bamenda, coordonné par le ministre Atanga Nji, pour l'appel de la Lékié, et également pour l'appel de l'Ouest, mais aussi celui de l'Est ", chuchotte, un membre du bureau politique du Rdpc. A la question de savoir si le président de la République peut répondre non à tous ces appels, notre interlocuteur part d'un grand rire, et lâche simplement : " ce n'est pas envisageable".
Le Messager : Ludovic AMARA
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