Lorsqu’un professeur d’université applique sans scrupule le terme autochtone aux humains, comme s’il allait de soi, on imagine ce qu’il peut enseigner d’autres à ses étudiants et à ceux qu’ils côtoient. Non satisfaits de défendre égoïstement les intérêts de leur seule ethnie pourtant dans un Etat qui cherche encore à consolider sa cohésion sociale, ils ne se gênent pas de dresser, par leurs propos, une ethnie contre une autre. Ici et là, ils définissent qui sont « autochtones » et qui ne le sont pas.
Dans leurs explications filandreuses, on se perdrait à chercher à saisir le sens que chacun de ces hommes supposés être de sciences donnent au terme autochtone. Nous espérions quelques pensées lumineuses. Jusqu’ici ils n’ont débité que des discussions du niveau de café de commerce. Faudra-t-il que ce soit le citoyen lambda qui les instruise sur le fait que le terme est d’origine minéralogique et ne qualifie normalement que les couches géologiques qui ne se sont jamais déplacées depuis leur formation sur place ? Soulignons justement pour la suite de notre propos, cette idée qui l’emporte dans la définition scientifique originale. Autochtone : qui ne s’est pas déplacé du lieu de sa formation.
Quels sens nos universitaires filandreux attribuent-ils au terme autochtone ?
Ce que nous savons sur la question de l’origine de l’homme, nous les tenons de la science et/ou de la religion. Dans le premier cas, l’archéologie, l’anthropologie et l’histoire établissent que nous venons des couloirs nilotiques au Nord-est de l’Afrique, tandis que la religion situe le berceau de l’humanité en Mésopotamie et précisément à Eden, région d’Irak. Ayant en esprit qu’en botanique, une espèce déplacée (ou introduite) n’est plus autochtone, la question fondamentale sur l’autochtonie peut donc se poser ainsi : les descendants des premiers humains qui naquirent dans l’une ou l’autre de ces contrées et y vécurent s’y trouvent-ils encore ? Quel que soit le bord considéré, la réponse est négative puisqu’à partir du berceau initial, l’homme entama de longues migrations pendant des millénaires pour peupler le reste de la planète. D’ailleurs, c’est seulement récemment que l’homme s’est sédentarisé, du moins, pour la majorité. Se faisant, nous devinrent tous allogènes partout où nous nous établîmes. Donc, dans le sens étymologique du terme aucun peuple n’est autochtone. Dans ce cas, quels sens nos universitaires filandreux attribuent-ils au terme autochtone ?
Qu’ils parlent des autochtones en pensant aux premiers occupants d’une région donnée, la science, en l’état actuel des connaissances, est impossible de déterminer qui furent les premiers occupants de telle ou telle région ; et le sachant même, il ne fait aucun doute que ces premiers occupants sont eux-mêmes venus d’ailleurs comme nous le soulignions tantôt et y vivaient donc en allogènes et non en « autochtones », suivant le sens original du terme. Très souvent, ceux-ci furent massacrés par les nouveaux migrants, ou absorbés au moyen des mariages mixtes (comme c’est le cas des Pygmées qui autrefois étaient très présents dans toute l’Afrique) ou encore refoulés à la périphérie de la région qu’ils occupaient. Quoi qu’il en soit, cela fit d’eux tous, des allogènes.
L’ethnogenèse postule que souvent, à cause des rivalités internes, un clan se divisait en groupes restreints avant que ceux-ci ne s’agrandissent de nouveau grâce aux alliances avec d’autres groupes ainsi qu’aux naissances, pour constituer de nouveaux clans et former ensuite des communautés villageoises qui allaient se différentier du groupe initial avec le temps. Des siècles plus tard, ils apparaissent alors comme des ethnies distinctes avec des langues et des coutumes spécifiques. C’est
le cas des Bamilékés et Bamouns qui étaient autrefois indifférenciés, des Babimbis III et Bassas dont aucune différence n’était soulignée, des Dualas et Bantangas qui ont des ancêtres communs, etc.
Que ces universitaires médiatiques pensent plutôt aux premiers occupants « connus » d’une région donnée, là encore, il y a de gros soucis ; puisque certains peuples ont vécu dans une région après l’autre et ne comprendraient pas qu’on leur attribue une « autochtonie » dans des régions éloignées aujourd’hui de leur fief. Car l’histoire nous enseigne que souvent, des peuples différents sont connus pour avoir vécu dans une même région en des époques différentes, et, pour ce qui est attesté, que tous viennent souvent de Nubie ou d’Egypte, voire le long des couloirs nilotiques.
Cas des Bamilékés et Bamouns.
C’est d’ailleurs que venaient les Bamilékés et les Bamouns qui formaient à l’origine un seul groupe avant d’être stoppés au Moyen-âge par le Noun où ils vécurent dans sa vallée pendant au moins deux siècles, jusqu’à la fin du 15ème où ils perdirent leur dernier roi commun, Ndéh Yendé. Et lorsque ceux qui seront désignés Bamilékés en 1905 par les Allemands traversèrent ce fleuve en plusieurs vagues entre le 16ème et le 18ème siècle pour former des petits royaumes farouchement autonomes (laissant à l’autre rive ceux qu’on appellera par la suite les Bamouns, aujourd’hui différentiés), ils rencontrèrent de ce côté-ci (ouest du fleuve) des populations qui occupaient la région, selon ce qu’établissent les études préhistoriennes, archéologiques et même anthropologiques (E. Nveng) qui, toutes, apportent la preuve irréfutable que la région était habitée depuis 2 à 5000 ans avant. Les Bamilékés durent annexer souvent par la ruse ces occupants qu’ils rencontrèrent dans leur fief actuel pour former un melting-pot des peuples et parfois aussi, ils les combattirent. Faudra-t-il rappeler que la zone ouest et nord-ouest du Cameroun ainsi que l’est du Nigéria est considérée par tous les experts, linguistes et historiens (Jacquot, Greenberg, Elikia M’bokolo, etc.) comme le grand foyer de la civilisation bantoue d’où les Bantous sont partis pour peupler le reste de l’Afrique centrale et australe ? Cela signifie que sur le plan empirique, référence faite à la géologie et stricto sensu ‘étymologie), aussi difficile que cela puisse se concevoir aujourd’hui au sein d’un peuple que le regard du colonisateur a unifié, le Bamiléké n’est pas autochtone dans la région Ouest du Cameroun, qui n’est pas connu pour être le berceau de l’humanité, mais seulement le foyer de la civilisation bantoue. D’ailleurs, ne vantent-ils pas souvent leur antiquité égyptienne ?
Cas des Dualas, Bakokos, Bassas et Bétis-Fangs-Bulus.
Ce qui est formidable c’est qu’on peut en dire de même pour tous les autres peuple et donc pour les Duala aussi. Sont-ils « autochtones » à Douala ? Outre le fait que le terme n’est pas approprié pour l’homme, faisons remarquer qu’avant l’arrivée de ce peuple de pêcheurs au 17ème siècle, venant des côtes océaniques (Congo et ensuite des environs de Kribi), et leur installation surtout dans leurs quartiers traditionnels actuels que sont Akwa, Deido et Bell, puis Akwa II, le plateau Joss (où les Bakokos l’occupaient avant eux) et les quartiers au toponyme « bona » le long du fleuve Wouri et au sud-ouest de la ville, la question se serait posée justement plutôt aux Bakokos et aux Bassas qui les ont précédé à Douala un siècle auparavant. Et aujourd’hui encore, deux tiers, voire trois quarts de cette ville en expansion perpétuelle est située dans les cantons bassas délimités par les rivières Mboppi (frontière Deido-Akwa) et Besseké (frontière Akwa-Bell-Koumassi) et remarquables par les toponymes « Ndog » et « Log » (Ndokoti, Ndoghem, Ndogbong, Log-Baba, Log-pong), mais aussi : Cité Sic, Maképé, Yassa, et tous les Points Kilométriques allant de Pk 5 à Pk 30 et plus, etc. Ville majoritairement occupée aujourd’hui par les Bamilékés, ceux-ci s’installèrent d’abord à New-Bell
créé en 1913-1914 tout près du quartier Bell et dans l’axe de l’aéroport dans les quartiers sud de Bassa qu’étaient Kassalafam, Nkololoun, Nkolmintag, etc., puis toujours plus en périphérie (Nylon, Madagascar, Oyak, Bépanda, etc.), avant d’investir l’intérieur de la ville.
Bref, question « autochtonie », venus des environs de Grand Batanga dans le département de l’Océan, les Dualas retrouvèrent sur les berges du Wouri les Bakoko d’abord, puis les Bassa qui arrivèrent par Hickory (qui deviendra Bonabéri) et qui, tous, occupaient les lieux avant eux. Et ces derniers n’étaient pas les premiers occupants de la région depuis la création du monde. Ceci dit, ils offrirent l’hospitalité aux Dualas avant d’être par la suite refoulés par ceux-ci de l’autre côté des rivières Besseké et Mboppi.
Faisons remarquer que si nos universitaires filandreux pensent aux premiers occupants « connus » lorsqu’ils définissent leur « autochtonie », alors à coup sûr Bakokos et Bassas se revendiqueraient l’« autochtonie » de toute la ville qui comprend les villages et quartiers situés sur la berge du Wouri, parmi lesquels Bonanjo, Bell, Akwa, Bonabéri, etc. Et ils pourraient tout aussi bien revendiquer des « autochtonies » ailleurs, avant et après cet épisode. Car Remontant le passé, les Bassa par exemple avaient occupé eux-mêmes les environs du mont-Cameroun (et ils ne furent pas les premiers si l’on pouvait sonder les profondeurs de l’histoire), et auparavant encore, les environs des monts-Mandara où ils ne furent pas non plus les premiers. Comme tous les peuples du monde, Bassas et Bakokos ont entamés de longues migrations, en provenance des régions tchadiques, nubiennes et probablement égyptiennes. Déplacés, comment pourraient-ils encore être « autochtones » au Cameroun, dans le strict respect de l’étymologie de cette terminologie d’origine minéralogique ?
Ainsi aussi, après Ngog Lituba devenu aujourd’hui leur haut-lieu sacré, une partie des Bassas estimée à 168 personnes (9 familles) devaient prendre possession du territoire qu’ils occupent actuellement après la traversée de la Sanaga en combattant des populations locales qui y vivaient et qui les avaient précédées dans la région, sans qu’on puisse non plus en parler comme des « autochtones », car ceux qu’ils avaient trouvé dans les environs de cette pierre creuse (ngog littuba) n’étaient certainement pas les premiers dans l’histoire des migrations à les occuper. Et si au 17ème siècle les Bassas allaient occuper aussi Yaoundé un siècle avant le groupe Ewondo, il n’en reste pas moins vrai qu’ils renvoyèrent auparavant les occupants qu’ils y trouvèrent dans les environs d’Oyomabang et de Nsimalen, lesquels peuples eux-mêmes n’étaient pas les premiers occupants de cette espace, et même ; avant d’être à leur tour repoussés environ un siècle plus tard par l’occupant actuel (Ewondo) dans les villages limitrophes du département du Nfoundi : Nyong et Kelé.
Clairement donc, les Ewondos ne sont pas non plus « autochtones » à Yaoundé, malgré la « déclaration du Nfoundi » signée par quelques-uns de leurs élites qui tend à le faire croire en ordonnant à quelques autres ethnies de rentrer chez eux. Étant dans la longue migration des peuple parmi les tous derniers à arriver au Cameroun, c’est souvent en bousculant les autres qu’ils se sont fait une place pour se sédentariser au début du 19ème siècle. Donc, comme les Bassas après Ngog Lituba et les Bamilékés après le Noun, ils durent parfois prendre de force les terres sur lesquelles ils s’installèrent. Dans ce cas, y sont-ils autochtones, étymologiquement parlant ?
Cas des Mofus, Guizigas, Peuls, Bororos, Vutés, Baboutés, Pygmées, etc.
Pour ce qui est connu, Maroua fut occupée dès le 14ème siècle par les Mofus qui furent refoulés ensuite dans les Monts Mandara au 16ème siècle par les Guizigas venus de 60 kilomètres du sud, vers
les petites montagnes de Zagara aux environs de Muturwa, selon l’ethnologue Guy Pointié, ou, selon une version contradictoire de l’historien Eldridge Mohammadou, venant plutôt du nord, soit des monts Mandara, soit du Baguirmi. Au 18ème siècle, les Mofus seront rejoints dans leurs montagnes-refuges par ceux-là même qui les y avaient refoulé (les Guizigas) lorsque les pasteurs peuls (Foulbés), venus des plaines du Massina (Mali), mais auparavant de l’Egypte puisqu’ils « font partie de ces nombreuses tribus d’où sont sortis les pharaons » (Anta Diop, Nations nègres et cultures, p. 361), envahirent la ville fondée par Bi-Marva, un chef Guiziga. Il serait d’ailleurs choquant que les Peuls puissent se considérer « autochtones » dans une ville qui porte aujourd’hui encore le nom du chef d’une communauté rivale voisine. Et bien sûr, les Bororos qui font partis des Peuls sont allogènes comme les autres peuples du Cameroun.
C’est à dessein que nous insistons sur l’égalité de traitement entre tous ces peuples parce que l’Organisation des Nations Unies tente, malgré leur incapacité à donner une définition, de classer les Bororos et les Pygmées comme seuls peuples « autochtones » du Cameroun. N’ayant pas d’autres référentiels valables, nous nous arrêtons à celle originale fournie par la science qui qualifie une roche ou une couche minéralogique qui n’a jamais été déplacée de son emplacement depuis sa formation. Bien qu’une application aux hommes ne sied pas, si l’on devait s’entêter de le faire, l’on devrait au tant que faire se peut respecter le sens original profond en reconnaissant que du moment où le Cameroun n’est pas connu pour être le berceau de l’humanité, tous les peuples qui y vivent sont venu d’ailleurs. Se faisant, ils se sont déplacés et donc perdus leur « autochtonie ».
On peut en dire de même des Vuté, des Arabes Choa, des Baboutés et de toutes nos ethnies. Même les plus anciens connus, les Pygmées, sont venus du Haut-Nil (qui est le sud du Nil) vers la frontière entre l’Ouganda et le Congo. Outre la chosification, l’inertie et l’immobilisme qui caractérisent ce qui est autochtone, il y a dans cette notion, lorsqu’elle est appliquée aux humains, le caractère justement humain qui est dénié à notre espèce. L’humain, ce n’est pas une roche inamovible. Il est plus que de l’animé ; c’est du vivant. Il possède des jambes pour se déplacer et sa sédentarisation ne date que d’hier. D’ailleurs, certains peuples sont encore à l’étape du semi-nomadisme. C’est encore le cas des Bororos pour ne prendre qu’un exemple camerounais.
Forçant sur la notion géologique comme le font nos universitaires filandreux en attribuant la notion aux humains, tout au plus ils arriveraient à prouver avec un peu plus de scrupule que nous sommes tous allogènes, aussi bien du point de vue de l’histoire que de la religion (Livre de Genèse).
Comment comprendre que des universitaires dont la rationalité est ailleurs saluée, qui en principe peuvent prévoir l’impact des idées dangereuses sur la stabilité d’un pays, s’expriment dans les médias au Cameroun sur des questions aussi sensibles avec une légèreté si déconcertante ? Nous pensions que le devoir intellectuel des universitaires était de formuler des constructions intelligentes qui tendraient à éteindre les foyers de tensions ethniques dans un pays miné par le tribalisme. Au contraire, certains y jettent du souffre. Décidément, les diplômes ne font pas l’intellectuel et encore moins l’intelligence. Il est urgent que cette notion controversée qui figure dans la Loi Fondamentale du Cameroun et qui est une source importante cristallisant l’exclusion de l’autre, en soit supprimée afin, nous osons l’espérer, d’empêcher qu’une conception erronée et haineuse ne se perpétue dans une tacite légitimation. Gouverner, dit le philosophe, c’est aussi prévoir.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Laissez nous un commentaire sur cet opinion.