Les Observations préliminaires du Pr.James MOUANGUE KOBILA de l'université de
Douala au Cameroun à la suite de la Décision de la Cour suprême du Cameroun,
statuant comme Conseil Constitutionnel,ordonnant l’enregistrement et l’examen
par ELECAM (Elections Cameroon,Ndlr) des dossiers du Mouvement pour la
Renaissance du Cameroun (MRC), formation politique du Pr. Maurice Kamto, aux
élections législatives du 30 septembre 2013
La décision rendue par la Cour suprême statuant comme
Conseil constitutionnel le 14 août 2013, concernant les listes du MRC pour les
législatives du 30 septembre 2013 non déposées à ELECAM, est hâtivement
interprétée ici et là comme une décision de réhabilitation des listes en cause.
Certains veulent même y voir, sans inventaire, le désaveu officiel du contenu de
ma précédente tribune intitulée « Maurice Kamto à l’école de la pratique
politique et à l’heure du recyclage en droit électoral ». Alors même que le
principal concerné se réfugie dans un silence prudent.
En attendant l’arrêt rédigé, il urge de porter un premier
regard critique sur cette décision surprenante et d’en esquisser les
perspectives immédiates.
LA DECISION DE LA COUR SUPREME EST
SURPRENANTE
Des considérations de fait et de droit expliquent
l’étonnement qui a saisi tous ceux qui suivent l’affaire des listes du MRC aux
législatives après le prononcé de la Cour suprême.
1- Sur les faits
• Si l’on se fie aux divers comptes rendus d’audience, la
version des faits de Maurice Kamto, acceptée par la haute juridiction est
substantiellement que le MRC était à l’heure, mais ELECAM a refusé de prendre
ses dossiers le matin du 18 juillet, constat d’huissier à l’appui, parce que les
agents étaient fatigués et ont disparu. La Haute Cour suprême aurait donc «
donné raison » au requérant en estimant que la Direction générale d’ELECAM
n’était pas fondée à refuser d’enregistrer les dossiers de candidature du MRC,
même présentés hors délai.
Si le constat d’huissier produit aux débats pour
attester le refus des dossiers du MRC a été dressé le 18 juillet 2013,
c’est-à-dire après le délai, il ne saurait prouver que le dossier a été refusé
dans les délais. Il prouve seulement que le dossier a été refusé hors délai.
• Le MRC a-t-il tenté de faire enregistrer des dossiers incomplets le 17
juillet avant minuit ?
Le MRC n’a jamais tenté de déposer un dossier
incomplet dans les délais. Selon les aveux itératifs de ses dirigeants, ce parti
a attendu que le dossier soit complété le lendemain, « au petit matin », pour
tenter vainement de le faire enregistrer.
Ce parti politique a donc voulu
déposer des dossiers qu’il reconnaît lui-même avoir complété le lendemain de
l’expiration du délai légal, « au petit matin », « peu avant 8 heures ». Il s’en
déduit que la Direction générale d’ELECAM n’a jamais refusé d’enregistrer des
dossiers incomplets du MRC dans les délais, d’autant qu’elle a accepté
d’enregistrer plusieurs dossiers incomplets dans les délais et que ces dossiers
ont logiquement été rejetés par la suite, sur décision du Conseil électoral (1).
L’on devrait donc retenir que l’enregistrement d’un dossier ne vaut pas
acceptation de ce dossier et ne l’entraîne pas mécaniquement.
2- En droit
Deux questions principales retiennent l’attention sous
cette rubrique.
• La Direction générale d’ELECAM était-elle fondée à refuser
le dossier complet du MRC en cause hors délai, c’est-à-dire le 18 juillet 2013 ?
Assurément, oui. Car, ELECAM ne pouvait ni légalement ni raisonnablement
décider de recevoir des dossiers (complets ou incomplets) après le délai imparti
sans violer frontalement l’alinéa 1 de l’article 181 du Code électoral qui
l’autorise uniquement à recevoir les dossiers « dans les quinze (15) jours
suivant la convocation du corps électoral ».
Cet impératif juridique avait
conduit la même Cour suprême, par l’organe de sa Chambre administrative, lors de
précédentes élections, à repousser les demandes d’un requérant qui voulait faire
enregistrer ses dossiers de candidature après le délai imparti, dès lors qu’il
n’avait effectué aucune tentative de dépôt de dossier dans le délai légal. Il
s’agit de l’affaire ATANGANA Vincent, Département de la Lékié (Monatélé) c. Etat
du Cameroun (MINATD) (Commune de Monatélé), Jugement n° 014/06-07/CE du 12 juin
2007, où la Haute juridiction s’est définitivement prononcée en ces termes
:
« [a]ttendu que le requérant prétend que sa liste de candidats a été
refusée par les services extérieurs et centraux du MINATD, pour cause de retard
;
Attendu en effet que les services extérieurs du MINATD ont réceptionné les
dossiers de candidature au-delà du 14 mai 2007, date butoir de recevabilité
desdits dossiers ;
Qu’il y a lieu de relever que n’ayant fait aucune
tentative de dépôt de dossier, le requérant tente subrepticement d’amener
l’Auguste Chambre à valider sa liste de candidature » (italiques
ajoutés).
L’on est bien en présence d’un cas en tout point similaire à celui
du MRC, dans lequel le dossier a été « refusé […] pour cause de retard », alors
même qu’aucune tentative de dépôt du dossier dans les délais n’avait été
effectuée. Comment donc expliquer que la décision concernant Vincent Atangana
soit différente de la décision concernant Maurice Kamto ?
De deux choses
l’une. Soit la Cour suprême a opéré un revirement de jurisprudence assumé le 14
août 2013 en validant les tentatives de dépôt de dossier du MRC postérieures au
délai de dépôt des candidatures ; soit la Cour suprême a institué une tolérance
judiciaire inédite à jurisprudence constante, permettant le dépôt de
candidatures à titre dérogatoire après le délai, dans le cadre des municipales
et législatives du 30 septembre 2013.
• Est-ce une bonne décision ? Juridiquement non, car il est
constant que la Direction générale d’ELECAM a simplement appliqué la loi qui ne
l’autorise pas à recevoir des dossiers de candidature après l’expiration du
délai de 15 jours fixé par la loi.
En enjoignant la Direction générale des
élections à enregistrer les dossiers litigieux du MRC et à les faire examiner
par le Conseil électoral dans les prochains jours, la Cour suprême statuant
comme Conseil constitutionnel a fait preuve de subjectivité au profit du MRC.
Une subjectivité qui pourrait rappeler la « tolérance administrative » prescrite
par le Premier ministre chef du Gouvernement pendant le double scrutin du 22
juillet 2007. La mesure primo-ministérielle avait alors permis à tous les partis
politiques de faire enregistrer leurs dossiers de candidatures pour les
législatives et municipales jusqu’au 31 mai 2007, alors que le délai initial
était fixé au 14 mai 2007. Il se trouve cependant que la décision du Premier
ministre était générale et profitait à tous les partis politiques et à tous les
candidats aux deux scrutins, alors que celle prise par la Cour suprême le 14
août 2013 ne profite pas à tous les partis politiques. D’où l’intérêt d’en
dégager quelques conséquences immédiates.
LES PERSPECTIVES IMMEDIATES
Deux séries de perspectives immédiates se dégagent de la
décision du 14 août 2013. Elles s’articulent autour de ce que fera la Direction
générale des élections d’ELECAM et le Conseil électoral de cet organisme, puis
autour des suites logiques des décisions qui seront prises par les deux
structures faîtières d’ELECAM.
1- Que fera la Direction générale d’ELECAM
?
Il est hautement probable qu’en exécution de la décision du
14 août 2013 rendue par la Cour suprême statuant comme Conseil constitutionnel,
la Direction générale d’ELECAM s’emploiera à enregistrer les dossiers de
candidatures litigieux du MRC. Cependant, elle aura vraisemblablement soin de
préciser que ces dossiers ont été proposés pour enregistrement hors délai, « au
petit matin du 18 juillet 2013, vers huit heures », suivant les déclarations
itératives de Maurice Kamto.
Par une demande d’interprétation de l’Arrêt du
14 août, la Direction générale des élections pourrait par la suite demander à la
Cour suprême de préciser si sa nouvelle ligne jurisprudentielle ne s’applique
qu’au MRC ou si elle devrait s’appliquer à tous les recalés se trouvant dans la
même situation que le MRC, en vertu des principes d’« impartialité » et d’«
objectivité » (2)vis-à-vis des autres candidats dont les dossiers de candidature
n’ont pas été déposés à bonne date, parce qu’ils étaient également en attente de
telle ou telle pièce dont l’établissement s’est avéré plus laborieux que
prévu.
2- Que fera le Conseil électoral
?
Le Conseil électoral aura à trancher deux questions pour
conclure à l’acceptation ou au rejet des dossiers du MRC.
• La question
cruciale de savoir à quel moment les dossiers du MRC doivent être considérés
comme complets
Les faits établissent à suffire que les dossiers du MRC
n’étaient pas complets au moment de l’expiration du délai de dépôt des dossiers,
le 17 juillet 2013 à minuit. Maurice Kamto a narré en détail les tribulations de
son parti au Trésor et au siège d’ELECAM dans le quotidien Mutations (dont il
est actionnaire), édition du 19 juillet 2013. Il y a déclaré que « [l]es
représentants du MRC sont arrivés à Elecam avant minuit ! Seulement, nous ne
pouvions pas déposer nos dossiers avant d’y avoir enjoint [sic] les récépissés
du versement des cautionnements ». En clair, le MRC avoue qu’il n’a même pas
essayé de déposer les dossiers en cause à bonne date, en raison de ce que
l’ensemble des pièces requises n’étaient pas prêtes avant minuit.
L’examen de ces dossiers par le Conseil électoral ne devrait
donc pas conduire à leur acceptation, ELECAM ne pouvant accepter des dossiers
que les mandants n’étaient pas disposés à lui remettre avant l’expiration du
délai légal.
• La question subsidiaire de la validité des certificats de
cautionnement produits par le MRC
En déclarant devant les médias que «
[c]ertains partis politiques sont arrivés avant nous. Donc on traite leurs
dossiers avant les nôtres. Il est évident qu’on ne pouvait pas avoir traité cela
avant minuit, puisque eux-mêmes sont arrivés presqu’à minuit », Maurice Kamto
suggère fortement que le MRC est arrivé au Trésor le 17 juillet 2013, après
minuit. Il est en effet tout à fait vraisemblable que le parti qui suit un autre
arrivé « presqu’à minuit » est nécessairement arrivé après minuit. Auquel cas,
l’on devrait se demander comment les certificats de versement du cautionnement
délivrés au MRC peuvent porter la date du 17 juillet 2013.
Sous cet angle,
une sous-question s’auto-présente : faut-il s’en tenir superficiellement à la
date du 17 juillet portée sur les certificats de cautionnement ou faut-il
rentrer dans les circonstances de l’établissement de ces documents de
cautionnement ? Si l’on s’en tient à la date du 17 juillet portée sur les
certificats de versement des cautionnements, ces documents seraient valables,
sans pour autant fonder l’acceptation des dossiers querellés, dès lors qu’ils
ont été présentés à l’enregistrement après les délais légaux. Par contre, il est
évident que, si l’on retient la seconde hypothèse, celle où le MRC se serait
présenté au trésor après minuit, les certificats de versements des
cautionnements datés du 17 juillet devraient être considérés comme des pièces
falsifiées. Ce qui aggraverait le cas des dossiers à l’examen.
3- Quelles sont les conséquences de la décision de
la Cour suprême statuant comme Conseil constitutionnel ?
• La conséquence la plus évidente est que le dossier
litigieux du MRC aux législatives sera enregistré par la Direction générale des
élections d’ELECAM et sera par la suite examiné par le Conseil
électoral.
• Que se passera-t-il si le Conseil électoral décidait
malgré tout d’accepter les dossiers de candidature litigieux du MRC ?
La
conséquence implicite, mais nécessaire, de l’improbable acceptation des dossiers
de candidature du MRC non déposés à bonne date pour les élections législatives
est qu’ELECAM devrait accepter toutes les listes de candidats qui ont été
refusées parce que présentées hors délai, le lendemain voire quelques jours
après l’expiration du délai de dépôt des candidatures, en application de la
tolérance judiciaire décidée par les juges suprêmes ou du revirement de
jurisprudence opéré par la Haute juridiction.
Ces dossiers devraient
également être enregistrés par la Direction générale des élections et soumises à
l’examen du Conseil électoral, en vertu du principe d’égalité entre les
candidats à une élection.
Notes:
1- Cf. Résolution du Conseil électoral portant rejet des
listes de candidats à l’examen pour les élections des députés à l’Assemblée
nationale du 30 septembre 2013, in : Cameroon Tribune du vendredi, 2 août 2013,
Cahier spécial, pp. VIII-IX :
i) liste incomplète avec un seul candidat et
un seul suppléant dans une circonscription comptant sept sièges (liste du RSDC
dans le Mfoundi) ;
ii) absence de suppléants pour deux candidats titulaires
(liste de l’AFP dans le Mayo-Danay-Est) ;
iii) absence de certificat ou de
quittance de versement du cautionnement (listes SDF dans le Faro et Deo ainsi
que dans le Nyong et So’o puis dans la Kadey et dans le Logone et Chari, dans le
Mayo-Louti et dans le Noun-Centre ; liste de l’UDC dans le Mfoundi ; liste de
l’UPC dans le Mbéré ; liste du RCPU dans le Djerem ; liste du POUC dans la
Lékié-Ouest ; listes du RPD pour la Lékié-Est et Lékié-Ouest ; liste du BRIC
dans Wouri-Est ; listes de l’UNDP dans le Moungo-Nord, dans le Moungo-Sud et à
Wouri-Sud ; liste du CPSJ dans la Mezam-Centre ; liste de l’UMS dans la Menoua)
;
iv) absence d’extrait d’acte de naissance, de bulletin n° 3 du casier
judiciaire, d’attestation d’inscription sur une liste électorale et de
certificat de nationalité (liste du MERCI dans le Mbam et Kim ; liste du MDP du
Moungo-Sud et liste du SDF dans le Noun-Centre pour le premier et le troisième
motif ; liste de l’UMS dans la Menoua pour le dernier motif) ;
v) absence de
bulletin n° 3 du casier judiciaire (liste du SDF dans le Noun-Centre ; liste du
BRIC à Wouri-Est ; liste de l’UFDC à Wouri-Sud) ;
vi) absence du certificat
d’imposition ou de non-imposition entre autres griefs (liste du SDF dans le
Logone et Chari, ainsi que dans le Noun-Centre ; liste du MDP du Moungo-Sud ;
liste du MERCI de la Mefou et Akono ; liste de l’UMS dans la Menoua) ;
vii)
production d’une seule déclaration de candidature pour un candidat et absence de
déclaration de candidature pour une candidate (listes de l’UFDC à Wouri-Ouest et
à Wouri-Sud ainsi que la liste du SDF dans le Mayo-Louti et la liste de l’UMS
dans la Menoua pour le premier motif ; liste du PURS dans la Mefou et Akono pour
les deux motifs) ;
viii) production d’un seul exemplaire de déclaration de
candidature de surcroît non légalisé (liste du SDF dans le Mayo-Louti);
ix)
absence de certificat de nationalité et de déclaration sur l’honneur de certains
candidats (liste du SDF dans le Noun-Centre ; liste du MDP dans le
Moungo-Sud).
2-Alinéa 1 de l’article 10 du Code
électoral.
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/ James Mouangue Kobila : Affaire ELECAM- MRC: Les Observations préliminaires du Pr. James MOUANGUE KOBILA
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