Le slogan de campagne du Président camerounais à la dernière élection
présidentielle était : « Paul Biya, le choix du peuple ». De quel peuple
s'agit-il ? Le peuple acquis à sa cause? le peuple des prébendiers et éternels
affamés ou des calculateurs qui rôdent autour du cercle ésotérique du pouvoir de
l'homme fort de Yaoundé ? Pour essayer de répondre à ces quelques questions,
nous avons jugé fort indiqué de vous présenter ce que le « Biyaïsme » fait du
peuple camerounais d’après Thierry AMOUGOU dans son riche et récent ouvrage.
Ci-après, un extrait de son analyse. "L’approche théocratique, l’approche
misérabiliste et l’approche ventriloque du peuple camerounais. Il est
intéressant d’analyser comment les élites camerounaises de l’intelligence
approchent le peuple camerounais dans leurs montages politiques au service de la
gouvernance comme consommation et jouissance des privilèges du pouvoir
politique.
Une mise en examen du discours de l’élite camerounaise de
l’intelligence permet de mieux cerner, non seulement le rapport que celle-ci a
avec le peuple camerounais, mais aussi comment elle l’analyse et ce que cela
peut donner pour sortir le pays du magma politique dans lequel il se trouve
actuellement empêtré. Jacques Fame Ndongo, figure de proue de cette élite
camerounaise de l’intelligence, ministre de l’enseignement supérieur, secrétaire
à la communication du parti aux pouvoir et chef de village, est le type idéal,
tant d’un peuple infiltré du haut à la base de sa structure, que d’un populisme
politique qui oscille entre l’approche théocratique du peuple camerounais,
l’approche misérabiliste du peuple camerounais et l’approche ventriloque du
peuple camerounais. Ces approches surgissent et se succèdent suivant les
conjonctures et les intérêts du régime dont il est un des caciques. Même s’il
faut placer ses discours dans le cadre de la propagande du parti au pouvoir, il
ne faut pas oublier que le discours fait état d’un rapport social (voir Lacan)
et que le parti au pouvoir (RDPC), représente, en tant qu’ancien parti unique
dominant, un échantillon non négligeable du peuple camerounais, et de la façon
dont il est traité historiquement par son élite de l’intelligence.
Pour ce qui est de l’approche théocratique du peuple
camerounais, nous avons souvenance des discours de Jacques Fame Ndongo
assimilant des Camerounais à des « créatures » du Président Biya qui en devient
automatiquement le « créateur » quand il ne devient pas le « dieu terrestre des
Camerounais » en opposition au « Dieu du ciel » des chrétiens. Lorsqu’on sait
que les Chrétiens doivent une obéissance au doigt et à l’œil à leur Dieu parce
que celui-ci les aurait sauvé de l’enfer en devenant homme et acceptant se
sacrifier pour eux d’après la Bible, il devient évident que le peuple
camerounais, pour Jacques Fame Ndongo, n’a aucun pouvoir comme entité sociale
historique créatrice des conditions de son existence. Ce n’est pas un peuple
camerounais debout pour faire son histoire mais un peuple camerounais à genoux
parce que devant, comme toute « créature », prier son « créateur », le Président
de la République. Le peuple camerounais revêt ainsi l’identité d’un conglomérat
de « pêcheurs » qui, non seulement n’existeraient pas sans son « créateur » Paul
Biya, mais aussi, iraient directement en enfer sans son « sauveur » du pêché, le
même Paul Biya. Des discours renvoyant à une telle symbolique ont été prononcés
dans les meetings politiques et les médias camerounais sans aucune contestation
publique des autres membres de cette élite camerounaise de l’intelligence. Seul
un petit groupe d’intellectuels et certains militants du parti au pouvoir se
sont plaints et se sont désolidarisés de cette symbolique politique méprisante
et infantilisante . Cela est très inquiétant pour la majeure partie de notre
élite de l’intelligence car qui ne dit rien consent. Etant donné qu’être créé et
être sauvé est socio anthropologiquement plus pesant qu’être le créateur et le
sauveur, le peuple camerounais devient une entité qui perd automatiquement son
pouvoir contestataire et son rôle de défiance car les exercer équivaudrait, dans
un tel état du monde (théocratie), à pêcher et donc, à courir le risque extrême
d’aller en enfer. Cette analyse symbolique devient l’incarnation réelle du
discours et de la pratique politique d’une autocratie concrète où des
manifestations de Camerounais pour contester le pouvoir sont réprimées dans le
sang comme en mars 2008. Effectivement, en pareilles circonstances, Paul Biya
devient le « dieu terrestre » et le contester, un enfer pour ses « créatures
».
L’approche misérabiliste du peuple camerounais peut aussi
être conceptualisée en exploitant les discours du même ministre, tenez-vous
tranquilles, de l’enseignement supérieur ! Dans cette approche, des Camerounais
sont tout simplement assimilés à des « esclaves » du Président Paul Biya lors de
certains meetings du RDPC. Or, dans une Afrique ayant connu la traite négrière
et la colonisation, le terme esclave est lourd de sens parce que tristement
célèbre dans notre imaginaire collectif. Il n’y a pas mieux qu’un Africain pour
imaginer les contours et les formes que prennent sa condition au monde une fois
qu’il est fait esclave : un esclave est une chose pour son propriétaire. Il
n’est pas un sujet mais une chose qui respire et peut travailler sans que ni son
corps, ni sa force, ni son travail, ni le fruit de son travail et encore moins
sa vie ne lui appartiennent un seul instant. Ils appartiennent à son maître qui,
dans le cas d’espèce, ne peut être que Paul Biya si nous suivons la logique du
raisonnement de son ministre de l’enseignement supérieur. Pas de surprise qu’il
en soit ainsi dans une autocratie car, sous l’esclavage gît toujours la question
du pouvoir et de son inégale répartition dans une société. La relation
maître-esclave fournit le modèle le plus pur et le plus absolu du pouvoir .
L’approche misérabiliste du peuple camerounais est donc
celle-là qui fait du peuple des « esclaves » du Président de la République au
pouvoir absolu. Encore une fois, le ministre Jacques Fame Ndongo, sans le
savoir, montre au monde, par le biais de son discours et du rapport aux
Camerounais qu’il traduit, la nature dictatoriale profonde du pouvoir qu’il
sert. Son discours revêt la structure type de celui d’un maître à ses esclaves
au point de rappeler les tristement célèbres « Mobutu le créateur », « Mobutu le
bâtisseur » et « Mobutu le sauveur » des Zaïrois. La fin de l’histoire est
connue de tous ainsi que le sort des Zaïrois abêtis par la danse et les louanges
destinées à leur dieu terrestre. Mais l’esclavage est-il nouveau au sein du
Renouveau National lorsqu’on sait qu’au 21ème siècle, le lamido de Rey-Bouba a
encore à son service des esclaves qu’il peut traiter comme bon lui semble
surtout si ceux-ci votent contre le RDPC ?
D’où l’existence d’une approche ventriloque du peuple
camerounais plaçant celui-ci dans la place de la marionnette face au
marionnettiste : qui d’autre peut faire bouger la marionnette que le
marionnettiste ? Qui d’autre peut parler pour les esclaves que leur maître ? Une
fois que les Camerounais sont devenus des « créatures » et des « esclaves » du
Président de la République, ils n’ont plus droit à la parole car ce sont le «
créateur » et le « maître » qui parlent pour eux au point où le peuple
camerounais devient ventriloque : ce sont les lèvres de Jacques Fame Ndongo et
d’autres membres du gouvernement qui bougent et leurs bouches qui s’ouvrent
quand le peuple camerounais parle. En conséquence, le passage de l’intimité à
l’espace public ainsi que la transformation de sujet en objet de ce peuple, se
font par la voix du gouvernement qui prétend ainsi en incarner toute la
quintessence d’acteur politique. Le peuple camerounais dont les lèvres immobiles
et la bouche fermée produisent un son et une signature politique à travers la
voix du gouvernement et celle du parti au pouvoir, incarne, dans cette logique,
l’interdit qui lui est faite, par le régime politique en place, d’incarner
l’essence du pouvoir politique :
« la marionnette s’anime sous le récit,
comme une ombre qu’on ressuscite en lui racontant tout ce qu’elle a fait et qui,
peu à peu, de souvenir devient présence. Ce n’est pas un acteur qui parle, c’est
une parole qui agit ».
Le peuple camerounais fait ainsi fonction d’objet
transactionnel entre les membres du gouvernement et le Président de la
République par le fait qu’il incarne une réalité fictive qui inspire confiance à
la fois aux manipulateurs et au Président lui-même. (A suivre)
NB : Le livre dont est issu cet extrait est commandable via
n’importe quelle librairie ou chez l'Harmattan
1-BOYOMO (G.A.), 2011, « Présidentielle 2011 : le soutien à Paul Biya enflamme
l’université », Mutation.
2-TESTAR (A.), 2001, L’esclavage la dette et le
pouvoir, Errance, Paris.
3-CLAUDEL (P.), 1974, Connaissance de l’Est,
Gallimard, Paris. p. 195
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