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JE SUIS CAMEROUNAIS, JE REFUSE DE M’ENDORMIR par Florian Nguimbis

Cameroun : Je suis Camerounais, je refuse de m’endormir::CameroonAujourd’hui, je n’ai pas envie de rire. Mais alors pas du tout. Il y a quelques temps, je découvrais le hashtag #sommeillistan sur Twitter. Ce néologisme ironique désigne notre pays, le Cameroun, le pays où les gens dorment et pire, se laissent endormir. Endormir par des pratiques toutes aussi étranges les unes que les autres, endormir par des politiques qui n’ont même pas besoin de mettre la dose adulte pour que ça fonctionne. 
Hier soir, en sortant de mon bureau autour de 19h30, j’ai bien cru que le Cameroun s’était définitivement transformé en Sommeillistan. En effet, toute la rue allant du feu en face Casino jusqu’à l’avenue Kennedy était noire de véhicules. Sauf que, chose étrange malgré la foule, je n’entendais ni les klaxons, ni les invectives habituelles. Pas même les moteurs! Je me suis dit euye! Je suis en pleine science-fiction ou bien? 

Je rôde (on ne sait jamais) et là, je tombe sur un élément de la garde présidentielle, dans sa tenue de combat vert olive fournie par Tsahal. Le gars braque son regard noir sur moi et sans mot dire, me fait signe de me dépêcher de traverser la rue. C’est de l’autre côté, en contemplant le rond-point de la poste centrale, vide, les piquets de flics, les véhicules immobiles et silencieux que j’ai compris. On était dans l’attente du passage du président de la République. 
Je vous le dis mes amis. Qui n’a jamais contemplé le passage du cortège présidentiel au Cameroun a raté le comble de l’ubuesque, la parodie du pouvoir, la vanité humaine, la petitesse des  « grands ». Environ deux heures avant le passage du Roi, on voit généralement apparaître des bonhommes vert olive sur tout le trajet présidentiel. La GP, la Garde Impériale de notre Napoléon, les Immortels de notre Darius, la garde prétorienne de notre César. 
Armés de fusils d’assaut dernier cri, de fusils de sniper, de radios, de casques, les fantassins se déploient dans tous les points stratégiques et ne manquent pas sans que le besoin soit identifié de garer quelques automitrailleuses dans les carrefours. Le Yaoundéen quand il observe ce déploiement sait que sa journée est fichue. Oui, fichue. Car, non content du stress causé par la présence d’hommes en armes et de véhicules de guerre dans les rues de Yaoundé, le déplacement du Roi va également mettre les axes centraux de la ville hors de service, pour des raisons de sécurité nous diton, pour donner l’impression à sa majesté de rouler sur une autoroute suisse je crois. 
Il y a la foule qui change. Parmi les badauds qui flânent habituellement en ville, on se met à apercevoir des têtes de barbouzes ou prétendues tel. Des gros (ou maigres) bras qui font semblant de se fondre dans la masse tandis que leurs oreillettes bien en évidence indiquent qu’on a affaire à la sécurité présidentielle (les Jack Bauer locaux). Ils surveillent les moindres gestes, confisquent les appareils photo des audacieux qui osent filmer le passage du cortège. 
Il y a même nos amis les policiers, les mbérés. Ceux avec qui on partage des blagues et des bières tous les jours, qui deviennent curieusement nerveux. Pendus à des talkies walkies grésillants, ils insultent à tout va, pressent les gens, grondent, s’excitent, stressent, surexcités qu’ils sont à l’idée de montrer au roi qu’ils font bien leur travail. Et puis il y a nous, le petit peuple. Écrasés et résignés, chômeurs, chauffeurs de taxis, fonctionnaires, débrouillards, nous attendons, patiemment, comme une armée de larves que le Roi veuille bien nous permettre d’utiliser sa chaussée après cette journée difficile. 
Hier, comme toutes les fois où j’assiste à cette mascarade, j’étais énervé. Énervé car pour beaucoup de badauds présents à la poste centrale il ne s’agissait pas d’une attente stressante et empreinte d’énervement. Il s’agissait d’un spectacle: le président va passer. Oui une vraie pièce de théâtre digne du vaudeville le plus moche. L’exposition : une foule qui attend béate, les questions qui fusent: il arrive quand ? Il revient ou il part ? Et puis, comme en réponse, les sirènes des motards côté Mvog Mbi. Ah ! Il revient ! Le noeud: Vient le cortège. 
Une cinquantaine de véhicules, des grosses berlines, l’argent du contribuable (ou ce à quoi il sert…). Murmures admiratifs dans la foule. Les péripéties: en plein passage du véhicule royal, la foule de badauds se met à applaudir son Altesse Royale. Euye ! Le dénouement : ouf ! Ils sont passés. Le troupeau des pauvres est autorisé à se remettre en branle. L’attente, l’énervement, les applaudissements, le soulagement… Quiproquo, je ne comprends plus grand chose. 
Dans le taxi qui m’a enfin ramené chez moi, une jeune femme qui a osé critiquer cette pratique d’un autre âge s’est carrément fait rabrouer par le chauffeur qui l’a traitée d’opposante à cause de la phrase «ceci est un manque de respect de la part de notre président vis à vis des camerounais !». Pardon, nous on a la paix. On ne veut pas les problèmes hein ? Les ennuis? J’ai saisi la balle au bond et résultat des courses, après une discussion enflammée, je me suis fait expulser du taxi à Olezoa. Je suis rentré dans un bar et j’ai coupé une bière en pleurant des larmes de sang sur mon pays. 
Mais où est donc la presse? Où est la société civile? Où sont nos intellectuels bon sang ! Pourquoi personne ne veut dénoncer cette aberration! Mais c’est quoi ce pays? Je le dis et je le répète: si dénoncer l’assèchement des robinets c’est être opposant, alors oui je le suis. Si dénoncer les délestages chroniques d’électricité c’est être opposant, alors, oui je le suis. Si critiquer la corruption dans l’administration camerounaise c’est être opposant, alors oui je le suis! Si dénoncer les routes barrées par le passage présidentiel c’est être opposant alors, oui, je le suis! Et si être opposant est un crime au Cameroun, alors OUI je suis un criminel. Si demander le changement c’est prôner la guerre, oui, je suis un faucon! OUI! OUI! OUI! Des camerounais se sont battu, ont versé leur sang, ont payé le prix fort pour qu’on soit libres et indépendants. 
Résultat des courses, cinquante ans après, nous en sommes à applaudir le monarque que nous avons élu et qui ne se gêne pas pour nous faire poireauter deux heures sous le soleil ou la pluie car de retour d’un séjour qui ne nous concerne en rien au Vatican. Il doit emprunter la route et il doit le faire seul, pour avoir l’impression de rouler sur une autoroute car il n’en a construit aucune en trente ans. Non content de trouver ça normal, nous autres camerounais nous nous payons l’ultime luxe de l’applaudir quand il passe. Et puis hop! on va boire une bière, la vie continue. Hein mon frère? On va faire comment? Certaines personnes me demandent ce qui motive mes textes. Pourquoi j’écris. Mais c’est justement à cause de ce genre d’incongruités. Tout se passe comme si tout notre peuple avait les yeux fermés. Comme si les gens disaient non à la raison. Moi je refuse de faire partie de ce Sommeillistan. Je refuse de fermer les yeux devant ce pays qui marche sur la tête. 
Je refuse le fatalisme qui veut que les choses ne puissent être autrement. Je refuse d’attendre deux heures à cuire dans mon jus parce que le président passe. Je refuse de croire qu’il m’est interdit de me plaindre parce qu’on va m’arrêter et me jeter en prison. Je refuse d’arrêter de m’étonner, je refuse de faire partie du troupeau qui ne sait même plus distinguer l’herbe du couteau, je refuse de laisser ma raison et mon intelligence au placard, je refuse qu’on fasse un triomphe à la bêtise et à l’incompétence, car les deux, même si elles ont pignon sur rue en ce moment, ne sont pas représentatives de mon peuple. 
Oui je refuse de me dire que c’est normal, parce que je suis un homme et qu’un jour, les générations futures de camerounais me demanderont « Ngimbis, tu as vécu ça, qu’as-tu fait pour que ça change? ». 
Florian Nguimbis
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