Les effets positifs de la double nationalité s’estompent à l’échelle macro dès qu’elle devient une demande corporatiste de pouvoir supplémentaire pour la diaspora au lieu d’être une simple conséquence d’un projet de société pour le Cameroun. Commençons par un bref rappel, question de rafraîchir les esprits. Le CRESPOL (Cercle de Réflexions Economiques Sociales et Politiques) a traité, il y a une semaine, de la première partie de ce thème. Les principales conclusions de cette première partie se résument comme suit :
* Le marché politique camerounais a une structure duale (offre et demande politique puis offre et demande de pouvoir) dont la dimension extranationale est, entre autres acteurs, occupée par la diaspora camerounaise engagée. Elle situe soit aux côtés du pouvoir en place, soit dans une posture critique et d’opposition institutionnelle et/ou civile à celui-ci.
* La diaspora camerounaise engagée est désormais un acteur politique à part entière d’un marché politique camerounais où des liens entre sa composante nationale et sa composante extranationale se tissent suivant diverses modalités.
* La composante critique de la diaspora camerounaise engagée enrichit le marché politique camerounais d’une participation inédite au débat politique qui en constitue la substance. Cette participation se fait par des opinions sur les débats de société qui traversent la société camerounaise, par la critique intellectuelle radicale, par des propositions concrètes et par des actions/gestes critiques de terrain.
* Il existe une logique et une unité de posture oppositionnelle entre la critique intellectuelle radicale et les actions/gestes critiques de terrain menés par des activistes. Les actions/gestes critiques de terrain (CODE, CCD) sont des formes modernes et hérétiques de la critique politique : femen, hacker, green peace, altermondialistes, immolation par le feu […] qui matérialisent la critique intellectuelle.
* Les tireurs aux flancs de cette diaspora et les militants naturels du RDPC sous les masques de journalistes qui s’en prennent à elle, manquent très souvent de clé de lecture, de bagage conceptuel et d’esprit synthétique adéquats pour problématiser les enjeux et lire le monde avec les formes inédites et atypiques d’opposition/contestation politiques qui s’y développent y compris au sein des démocraties occidentales. D’où la tendance à se complaire dans des lectures de surface incapables de saisir la tendance lourde d’un mouvement et ce qu’il a d’innovant et d’interpellant pour l’exercice du pouvoir dans nos sociétés.
Le CRESPOL poursuit aujourd’hui son analyse par la recherche de pistes de solution à d’autres questions névralgiques dans ce qu’il appelle l’heure de vérité de la diaspora camerounaise engagée. Ces questions se déclinent comme suit : La diaspora camerounaise engagée se situe-t-elle du coté offre ou du côté demande du marché politique camerounais ? La demande de la double nationalité par ladite diaspora est-elle une offre politique, une demande politique ou un simple instrument via lequel elle montre sa contamination par la politique du ventre de la classe politique africaine ? Comment dépasser la politique du ventre et être plus ambitieux pour le Cameroun ? Quelle peut être la règle d’or qui rendrait cette diaspora camerounaise politiquement crédible ?
* La diaspora se situe-t-elle du côté offre ou du côté demande du marché politique camerounais ?
Cela va sans dire, mais mieux en le disant, une agrégation du discours critique et des gestes/actions subséquentes de terrain par rapport au Renouveau National montre que la diaspora camerounaise engagée exprime comme demande politique agrégée la fin de la dictature en place au Cameroun et l’éviction du règne de son équipe qui se renouvèle depuis plus de cinquante ans. Cette demande globale que d’aucuns réduisent au vocable Biya must go, est une contre posture politique au Biya must stay, programme politique des « créatures » du Renouveau National. Ces deux demandes contradictoires montrent toute la fracture sociétale induite par le Renouveau National entre les « créatures heureuses » de sa politique corporatiste et de leur condition depuis 1982, et « les créatures malheureuses » nées par défaut de politiques altruistes et républicaines depuis plus de trente ans de pouvoir : des « créatures » peuvent donc en cacher d’autres plus involontaires parce que résultantes d’externalités négatives d’un pouvoir médiocre.
En dehors de cette demande politique agrégée, il est important, afin de saisir la structure de l’offre politique de cette diaspora, de distinguer l’offre de biens et services par des actions concrètes de terrain et l’offre d’un projet politique.
En ce qui concerne l’offre de biens et services par des actions concrètes de terrain, nous pouvons, sans prétendre à l’exhaustivité, signaler les actions humanitaires et de développement menées par plusieurs associations comme par exemple l’aide médicale aux malades du SIDA du CEBAPH, d’Action Solidaire Internationale et de la Fondation Moumié, les aides à l’éduction et à l’accès à l’eau faites par l’ASEC (Action Solidaires avec les Enfants Orphelins du Cameroun) puis la création
d’entreprises au Cameroun dans divers secteurs (informatique, import-export, , agriculture, immobilier, transfert d’argent…) par de nombreux Camerounais de la diaspora. Il est également à mettre au crédit de cette diaspora la participation à la formation universitaire au Cameroun : « the Yaoundé PHD Seminar » fondé par un membre de cette diaspora en collaboration avec les universités occidentales est aujourd’hui à sa quatrième édition avec la contribution scientifique d’universitaires de la diaspora camerounaise. Enfin, dans un registre plus personnel, cette diaspora participe à l’allègement des difficultés économiques des familles camerounaises via les transferts quotidiens d’argent en guise de son paiement d’une sorte d’impôt de solidarité dans la souffrance sous la dictature en place. Ce sont des cas concrets d’offre de biens et de services qui, quoique non marquées politiquement, ne sont pas moins politiques en eux-mêmes car toute action dans une société est politique. Toute action sociale est aussi engagée que celui qui en est l’auteur en soit conscient ou non, qu’il le veuille ou non.
En conséquence, le second type d’offre à analyser est celle qui concerne un projet politique global pour le Cameroun made in diaspora camerounaise engagée. A ce niveau on peut signaler une maigre moisson qui se résume aux trente propositions de mesures de développement économique, politique et social présentées dans « Le Biyaïsme », ouvrage écrit par Thierry AMOUGOU en 2011. Le reste se résume en déclarations d’intensions de différentes associations et en annexes programmatiques extranationales des partis politiques camerounais de l’opposition ou du pouvoir en place. D’où l’amer constat qu’en dehors des offres concrètes de biens et services dont la dimension politique est indirecte, l’offre politique directe, c'est-à-dire sous forme d’un projet se société globale et cohérent que cette diaspora offrirait au Cameroun n’existe pas encore. C’est le signe d’une faiblesse propositionnelle notoire qui consacre un défi à relever pour la crédibilité de ladite diaspora engagée et son poids de négociation au sein du marché politique camerounais, non pour y imposer ses vues mais pour y élargir l’éventail des choix de sociétés des citoyens et le croisement d’idées et de possibles pour le Cameroun. Cette carence majeure fait que la diaspora camerounaise se situe du côté demande du marché politique camerounais car son offre politique sous forme d’un projet de société global reste purement notionnelle et non effective au jour d’aujourd’hui.
* La demande de la double nationalité n’est pas une offre politique pour le Cameroun mais un instrument d’alignement à la politique du ventre de l’élite africaine au pouvoir
La stylisation des postures et des discours au sein de la diaspora camerounaise engagée montre, grosso modo, la typologie suivante : des associations sans couleur politique déclarée, des acteurs arrimés aux partis politiques au pouvoir, les activistes opposés au pouvoir en place, des intellectuels critiques et des acteurs (associations ou individus) arrimés aux partis politiques dits de l’opposition institutionnelle au Renouveau National. Les modifications de la configuration du marché politique camerounais affectent inévitablement les positionnements au sein de ladite diaspora. Certains acteurs s’affilient au nouveaux partis politiques comme le MRC, d’autres restent fidèles aux anciens partis politiques au pouvoir et de l’opposition, des activistes continuent leurs actions et certains autres acteurs sans étiquettes politiques institutionnelle ont un ancrage plus marqué dans la société civile. Ce mouvement
n’est pas surprenant ni inédit car les acteurs de la diaspora ont des ambitions différentes et restent libres de faire ce qu’ils estiment utiles pour atteindre leurs buts collectifs et/ou individuels.
Il est cependant utile de noter que cette diaspora est de plus en plus face à un défi majeur, celui d’éviter l’écueil de la politique du ventre qui fait tant de mal à l’Afrique subsaharienne en général depuis les indépendances. Deux éléments mettent ce défi en évidence : l’affiliation sans exercer son droit d’inventaire aux partis politiques camerounais de l’opposition et la demande de la double nationalité.
En ce qui concerne l’affiliation aux anciens et nouveaux partis politiques de l’opposition camerounaise, il est fondamental de mettre en lumière le fait que le Cameroun est dans l’état calamiteux où il se trouve de nos jours à cause à la fois du RDPC, du Renouveau National et des partis politiques de l’opposition au pouvoir ou non. Dès lors, une diaspora qui veut changer ce pays ne peut se jeter comme des moutons de panurge dans des partis politiques de cette opposition sans exercer son droit d’inventaire dont le but est de mettre cette opposition ancienne et nouvelle devant, tant ses responsabilités dans la dérive dictatoriale et « médiocratique » du pouvoir camerounais, que des conditions draconiennes et préalables de collaboration pour ne pas mener le pays dans les mêmes abîmes politiques. Si rien de ce type n’est fait dans les rapports qui se tissent entre la diaspora et l’opposition institutionnelle camerounaise, alors la reproduction dans l’avenir des mêmes travers et tares politiques n’est pas exclure. Tout se passe comme si l’âge avancé de Paul Biya et de son régime rendent l’exercice de ce droit d’inventaire moins utile que la conquête du pouvoir exécutif et de « la mangeoire » que d’aucuns voient à portée de bras. Il faut donc le dire ici très haut : si le droit d’inventaire de l’opposition camerounaise ancienne et nouvelle n’est pas exercé par la diaspora camerounaise engagée afin de tirer les conclusions pour un changement profond du pays, cette diaspora engagée va participer à la poursuite de la politique du ventre qu’elle dénonce.
De même, la demande de la double nationalité n’est pas exempte de critiques par rapport à la politique du ventre. La double nationalité, et c’est notre conviction profonde, est un élément primordial dans la construction moderne de la citoyenneté à l’âge de la globalisation où le statut de citoyen du monde milite plus en faveur de la multiple citoyenneté que de son absence. La double nationalité est donc un avantage pour le Cameroun qui peut, grâce à elle, profiter de toutes ses ressources humaines sans entraves liées aux nationalités secondaires, c’est-à-dire acquises après la nationalité camerounaise de départ.
La diaspora camerounaise ne demande pas l’instauration de la double nationalité au Cameroun dans cette perspective qui consiste à l’offrir au Cameroun comme un instrument d’une offre politique globale et profitable au peuple camerounais. Cela n’est pas surprenant car un projet politique global et alternatif pour le Cameroun n’existant pas à ce jour au sein de cette diaspora camerounaise engagée, la double nationalité devient une demande d’un instrument de pouvoir pour elle alors que sa crédibilité dépend d’une offre politique sous forme d’un projet de société où la double nationalité est une conséquence logique. Une fois pour toute disons-le, la double nationalité demandée en électron libre sans projet politique global qui la sous-tend ne peut changer les Cameroun et encore moins résoudre ses problèmes majeurs. Elle n’est pas un projet politique mais un instrument qui, au sens micro, ne
peut bénéficier qu’à certains individus et certaines familles camerounaises ayant des membres en Occident. Les effets positifs de la double nationalité s’estompent à l’échelle macro dès qu’elle devient une demande corporatiste de pouvoir supplémentaire pour la diaspora au lieu d’être une simple conséquence d’un projet de société pour le Cameroun. Cette double nationalité devient, en l’absence d’un projet pour le pays tout entier, un instrument d’action permettant à la diaspora camerounaise engagée d’avoir « un ventre politique » aussi grand que son besoin de manger à la fois à l’extérieur et à l’intérieur du pays même si rien ne change fondamentalement dans le pays.
Il semble hautement important de mettre cela en exergue car exiger la double nationalité sans un projet global alternatif pour le Cameroun revient à s’inscrire dans la politique discriminatoire appliquée aux Camerounais par le Renouveau National par rapport à la double nationalité. Une telle demande revient à vouloir bénéficier des mêmes avantages que les Camerounais au pouvoir avec la double nationalité et non à vouloir améliorer la vie des Camerounais dans l’ensemble. Qui plus est, si la double nationalité n’est pas un problème une fois qu’on accède au pouvoir au Cameroun ou qu’on travaille avec le pouvoir en place, alors cette demande de la diaspora s’inscrit dans le corporatisme du pouvoir et de ses alliés de la diaspora qui, quoique titulaires d’autres nationalités, occupent des postes de responsabilité au Cameroun. La frange de la diaspora qui se réunit chaque année avec les autorités de Yaoundé au frais du pouvoir ne fait par exemple pas cette demande car ne pas avoir la double nationalité est un problème juste pour ceux qui sont hors du pouvoir en place ou opposées à lui dans la diaspora.
* Quelle peut être la règle d’or comportemental pour la crédibilité politique de la diaspora camerounaise engagée ?
Comment dépasser la politique du ventre en filigrane des accords et contrats signés avec l’opposition camerounaise et la demande de la double nationalité ? A ce niveau d’analyse, le CRESPOL dégage les points ci-dessous comme pouvant construire une boussole politique crédible de la diaspora camerounaise engagée :
* Se situer résolument du côté offre politique, offre de pouvoir du marché politique camerounais et non, comme cela est le cas, du côté demande politique, demande de pouvoir dudit marché. Même si des demandes doivent exister comme dans tout marché politique, elles sont de l’ordre du court terme, du corporatisme et des intérêts inhérents. Se situer du côté demande pousse à regarder plus son ventre dont les besoins sont aussi de court terme car visant à satisfaire la libido accumulatrice. Les opposants qui ont des postes au Cameroun depuis trente ans s’inscrivent dans ce court terme-là sans pouvoir changer le Cameroun à long terme, chose que seule une offre politique peut faire en créant sa propre demande via un changement de structures politiques mentales.
* Tout en maintenant l’activité de son dispositif critique à deux têtes, c’est- à-dire à la fois intellectuel et activiste, travailler à construire une offre politique globale sous forme d’un projet de société pour le Cameroun. Ce projet de société doit être autonome des partis politiques locaux mais entrer en dialogue avec leurs projets afin d’élargir le champ spectral des choix des Camerounais.
* Ne pas mettre en place des pactes politiques avec l’opposition camerounaise sans exercer au préalable son droit d’inventaire du rôle de cette opposition tant dans la dérive dictatoriale du Renouveau National au Cameroun, que dans sa longévité au pouvoir. Ce droit d’inventaire doit donner lieu à des accords où les partis politiques d’opposition et leurs leaders s’engagent par documents officiels à ne plus répéter certains travers du passée : cela s’appelle une plateforme claire de collaboration.
* Intégrer le fait que la demande de la double nationalité n’est qu’un instrument qui ne peut résoudre les problèmes du Cameroun comme pays et encore moins ceux des Camerounais comme peuple. Cette demande, malgré son importance, n’est pas une offre politique et encore moins une offre de pouvoir aux Camerounais. Elle ne peut le devenir que si la double nationalité est devient une conséquence d’un projet politique global que la diaspora engagée offre au pays. Ce n’est que dans ce cas que cette demande rencontre l’intérêt général alors qu’elle reste corporatiste et avantageuse seulement pour certains Camerounais dans son état actuel de demande en électron libre.
* Avoir une attitude critique et oppositionnelle irréductible à la politique du ventre (postes et avantages de court terme). Le Cameroun ne peut changer tel que nous le souhaitons sans dépassement du « j’ai donc je suis » par le souci supérieur d’œuvrer à la naissance d’un pays où la vie des populations s’améliore de façon cumulative. Il faut d’abord offrir afin que les demandes soient possibles. Des objectifs individuels doivent se satisfaire via des objectifs collectifs.
* Apprendre à penser contre soi-même afin d’éviter un narcissisme qui peut mener vers le précipice des mêmes tares du passé.
Le CRESPOL est prêt à travailler dans ce sens. Il invite tous les compatriotes intéressés par cette noble aventure à envoyer leurs idées via l’adresse électronique cercle_crespol@yahoo.be en précisant leurs coordonnées afin qu’il entre en contact avec eux. Vous pouvez également intégrer le CRESPOL comme membre en demandant une fiche d’adhésion via la même adresse.
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