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LE SECTEUR FERROVIAIRE AU CAMEROUN : SITRAFER, CAMRAIL, BOLLORÉ, … QUI FAIT QUOI ? par Oswald Hermann G’nowa

Afin de faciliter la compréhension de nos lecteurs dans l’épineux dossier des perturbations dans le secteur ferroviaire camerounais, la rédaction de Camer.be propose aujourd’hui une mise en contexte du conflit. Il est question ici de rappeler les acteurs, d’évoquer les enjeux et de déterminer les méthodes des uns et des autres dans le marché des infrastructures ferroviaires.
La Sitrafer, une initiative économique venue de la diaspora camerounaise
La Société Internationale des Travaux Ferroviaires (SITRAFER) fait face à une crise sociale avec des grèves à répétition, des revendications de la part du personnel. Ceux-ci réclament de meilleures conditions de travail et le paiement de leurs salaires.

La SITRAFER a été créée le 28 novembre 2001 sous la forme d’une société anonyme (SA). Son conseil d’administration compte neuf (9) membres dont sept (7) issus du secteur privé. Les deux (2) autres administrateurs représentent le secteur public.
A l’origine, Sitrafer est une initiative de Jacques Bimaï, son actuel président du conseil d’administration (PCA). Le fondateur de Sitrafer est lui-même un produit de la diaspora Camerounaise formé en Allemagne. Il y a plus de dix ans, il répondait à l’appel de la politique économique du régime de Yaoundé pour la promotion de l’initiative privée pour l’émergence de l’économie locale.
Au Cameroun, la société Sitrafer réalise l’essentiel de ses activités à travers des contrats commerciaux signés avec plusieurs entreprises du secteur marchand. Il s’agit entre autre de RAZEL, Socapal, Alucam, Cimencam, SCDP, Alucam et la compagnie Camrail. Sitrafer étend également ses activités à l’international notamment via un contrat signé avec la compagnie des chemins de fer de Madagascar (Madarail).
Depuis 2002, Sitrafer est le partenaire de Camrail pour les travaux de maintenance et de réhabilitation de la voie  sur le réseau ferroviaire. Ce partenariat a généré plusieurs plusieurs milliards d’investissements. Il a permis la création de centaines d’emplois directs, la mise en place d’un centre de formation ferroviaire en gestation et l’ouverture de la filière de formation en matière ferroviaire à l’université de Douala.
La Sitrafer et la question de son autonomie financière
Sitrafer a longtemps été éligible aux incitants fiscaux mis en place par l’Etat camerounais. C’est notamment le cas de plusieurs autres entreprises locales. Concrètement, la dette fiscale de la Sitrafer  est compensée par les engagements financiers de l’Etat à l’égard de cette société.
C’est le fameux principe de conversion de la dette fiscale en une participation de l’Etat dans le capital financier de la société. Il s’agit pour les analystes financiers, d’un véritable encouragement des pouvoirs publics sous forme d’avantage offert pour soutenir l’activité économique d’une société qui se revendique du secteur privé.
L’Etat camerounais a en outre accordé un prêt sans intérêts à la SITRAFER. Tout cela plombe considérablement l’indépendance financière que peuvent faire valoir les dirigeants de cette société. C’est en tout cas l’avis du Chef du projet Unité Transport/Région Afrique de la Banque Mondiale qui concluait en 2011 à l’absence d’autonomie juridique et financière de la Sitrafer. Le spécialiste de la Banque Mondiale avait même indiqué que du fait de l’intervention de l’Etat Camerounais, la Sitrafer ne pouvait pas objectivement prétendre au statut d’une entreprise commerciale, statut définit par une directive de la Banque Mondiale. Cette position écartait ainsi la Sitrafer de la sphère des marchés publics financés par la Banque Mondiale. Elle avait été contestée par les avocats parisiens de la Sitrafer sans succès.
Depuis le 10 mai 2013, l’Etat du Cameroun ne possède officiellement plus de part dans le capital de la Sitrafer, prestataire de la société Camrail, dans la maintenance du réseau ferroviaire national. Celle-ci avait acquis 25% des actions en juin 2010, à l’effet de compléter à 40%, le portefeuille de 15% d’actions déjà détenu par la Société nationale d’investissement (Sni) dans cette entreprise. Pour motiver ce retrait, les représentants de l’Etat dans le conseil d’administration parlaient de «mauvaise gestion et de quasi-faillite de l’entreprise».
L’Etat Camerounais et son concessionnaire des activités ferroviaires nommé Camrail
C’est l’Etat du Cameroun qui détermine la politique des infrastructures ferroviaires dans le cadre de sa mission régalienne. Il finance le marché des rails sur fond propre, mais aussi sur la base des prêts et subventions diverses. Pour mener cette mission à bien, le Cameroun a créé  la Camrail, une société anonyme. La société CAMRAIL est issue de la mise en concession des chemins de fer du Cameroun, initiée par le Gouvernement camerounais dans le cadre de son programme de relance économique. 
Le processus de mise en concession qui a démarré en janvier 1996, a vu son épilogue avec la signature le 19 janvier 1999 de la convention de concession et le démarrage effectif des activités de CAMRAIL le 1er avril 1999.
La convention de concession concède à CAMRAIL l'exploitation technique et commerciale des services de transport ferroviaire, la maintenance, le renouvellement, l'aménagement et l'exploitation des infrastructures ferroviaires ainsi que la gestion courante du domaine ferroviaire. CAMRAIL assure l'entretien de l'ensemble de la voie ferrée, des bâtiments et des infrastructures ferroviaires (ponts, canalisations …).
L’actionnariat de Camrail est réparti de la manière suivante : Groupe Bolloré 77,4 %, l’Etat camerounais 13,5 % , TOTAL Cameroun : 5,3 %  et le Groupe Thanry 3,8 %. Camrail travaille avec plusieurs entreprises parmi lesquelles la Sitrafer comme expliqué plus haut.
La banque mondiale édicte des règles exclusives de passation des marchés qu’elle finance
Le 03 août 2011, Quentin Gérard, alors directeur Général de Camrail avait été officiellement saisi par la Banque Mondiale. L’institution de Brettonwoods s’inquiétait sur le devenir des marchés publics de Camrail ; marchés dont la Sitrafer était potentiel soumissionnaire. La Banque Mondiale informait surtout la société Camrail de la désormais non éligibilité de la Société Sitrafer aux financements de la Banque Mondiale. Pour rappel, les marchés publics de Camrail étaient subsidiés en partie par la Banque Mondiale. La Sitrafer a exercé ses activités contractuelles avec la Camrail dans une situation de quasi-monopole pendant 10 ans (2001-2011).
En réponse à une interpellation de la Banque mondiale dans le même dossier en 2011, l’Etat camerounais avait clairement accepté la décision que la Sitrafer n’est pas (ou n’est plus) éligible à l’attribution d’un marché sous financement IDA.
Quid de l’IDA ?
L’IDA c’est l’abréviation de l'Association internationale de développement. C’est le Fonds de la Banque mondiale pour les plus pauvres. L'IDA, qui est l'un des principaux bailleurs d'aide au développement, finance des projets d'appui à la santé, à l'éducation, aux infrastructures, à l'agriculture, à l'économie et au renforcement institutionnel dans les pays les plus pauvres de la planète - dont la moitié se trouvent en Afrique.
Pour rappel, l'IDA et l’Etat camerounais ont signé un accord de crédit. Les procédures applicables ainsi que les règles d’éligibilité des entreprises aux marchés publics sont inscrites dans les directives de la banque mondiale intitulée : «Passation des Marchés dans le cadre des prêts de la BIRD et des crédits de l’IDA» datée de mai 2004 et révisée en octobre 2006. La Banque Mondiale en dépit de ses réclamations a écarté la candidature de la Sitrafer en raison du conflit d’intérêt qu’elle présente.
Et le groupe Bolloré dans tout ça ?
Au départ en 2002, la voie du chemin de fer camerounais était dans un état de vétusté avancée. Les déraillements étaient hebdomadaires. Et puis vint la Sitrafer qui décrochait une convention décennale auprès de la Camrail (2001-2011). De 2002 à 2010, la voie ferrée s’est nettement améliorée avec cette arrivée de Sitrafer dans son univers. Les déraillements étaient alors devenus rares, les ralentissements (limitation de vitesses) réduits à plus de 95% selon les statistiques communiquées par les administrateurs de la Sitrafer.
En 2011, en pleine effervescence et d’émulation, au moment où la société amorce sa vitesse de croisière avec des initiatives de grands travaux pour améliorer le fonctionnement du train, le contrat décennal (Sitrafer-Camrail 2001-2011) arrive à échéance. La concurrence est ouverte et la situation de quasi-monopole de la Sitrafer s’effrite. Trois nouvelles Sociétés débarquent dans son domaine de compétence : Nasmo, Scin et Soccarremar.
Selon ses administrateurs qui voient la concurrence d’un très mauvais œil, les trois sociétés suscitées sont imposées à Camrail par le groupe Bolloré.  Les trois entreprises possèdent un nombre d’ouvriers égal à celui de la Sitrafer, soit 400 nouveaux agents pour les mêmes travaux et pour le même budget.
A partir de ce moment, le chiffre d’affaire de la Sitrafer fond comme neige au soleil. Il va passer de 2 milliards à moins de 500 millions de FCFA. Une situation qui ne manquera pas d’avoir une répercussion sur le quotidien de la Sitrafer qui sera contrainte de procéder à une restructuration. Dans cette situation, l’Etat du Cameroun (précédemment actionnaire chez Sitrafer à hauteur de 40% de son capital) interviendra pour calmer le jeu. En attendant 400 emplois seront menacés et c’est la crise sociale.
Manœuvres d’étouffement de la Sitrafer ?
L’entreprise qui travaillait sur l’ensemble du réseau ferroviaire dans douze chantiers appelés « circonscription » est désormais présente dans six chantiers seulement ; soit la moitié de son volume d’activité habituelle. Illustration : Afin de faciliter le transport et le transit ferroviaire en zone Cemac, la Banque Mondiale avait récemment financé les travaux de renouvellement de 175 kilomètres de voie et ballast sur le territoire camerounais. L’exclusivité du marché de travaux publics a finalement échappé à la Sitrafer. Ce qui n’arrange pas les finances de l’entreprise.A côté de Sitrafer dans les six chantiers, Camrail a installé « ses entreprises nouvellement créées sans préavis » s’alarme la Sitrafer. On note ainsi la présence du projet Ka’a Batchenga financé par la Banque Mondiale (emprunteur de l’Etat du Cameroun). Cette société est visiblement gérée par Camrail dont les travaux ont été arrêtés à cause de la mauvaise organisation de l’entreprise étrangère en charge de l’exécution des travaux. Ceci après la disqualification « injustifiée » de la Sitrafer avec la complicité de Camrail, s’indignent encore les responsables de la Sitrafer.
Conséquence : les employés de Sitrafer se trouvent dans les chantiers sans travaux. La production journalière est en chute libre de 90%. Depuis plus de deux ans en effet, la Sitrafer fait face à de nombreuses difficultés de trésorerie, matérialisées par l’accumulation des arriérés de salaires et les grèves à répétition des employés. Des difficultés confirmées par le Dg de cette entreprisse, qui au cours d’une réunion de crise consécutive à la grève du 7 mai 2013, avait confessé que le chiffre d’affaires de l’entreprise avait considérablement baissé.
Il est à noter que les volumes des travaux et la fourniture des matériaux de mise en œuvre sont de la seule responsabilité de Camrail. L’imbroglio juridique serait entretenu  par le groupe Bolloré pour étouffer la Sitrafer selon ses dirigeants qui invoquent «  des abus de la position dominante de son partenaire qui demeure juge et partie et qui veut la voir déposer le bilan. »

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