A l’issu des travaux sur la sécurité au Nigéria à Paris qui regroupaient entre autres cinq chefs d’Etat à savoir Paul Biya du Cameroun, Idriss Déby du Tchad, Goodluck Jonathan du Nigéria, Mahamadou Issoufou du Niger et Thomas Boni Yayi du Bénin, Paul Biya s’est exprimé comme tous ses pairs au point de presse présidé par le Président français, François Hollande. On en retient au moins quatre choses :
1. Le Cameroun est moins protégé de nuit. Le Président Paul Biya a dit de façon naïve que Boko Haram était « pernicieux » parce qu’il attaquait la nuit alors que la majorité des soldats n’étaient plus en éveil. Merde ! Cela confirme la logique de « garde » dans notre pays qui consiste à « aller dormir au poste » et non de « monter la garde pendant la nuit ».
Le Président Camerounais indique aussi que l’armée camerounaise avait un problème d’effectif car, dit-il, là où le Cameroun a 15 hommes, Boko Haram en envoie 100. Quoi de plus normal pour Boko Haram que d’attaquer le Cameroun sur ses faiblesses ! Comme le disent certains, « Biya nous a vendu à Paris » ! Quoi d’anormal pour quelqu’un qui n’est pas habitué aux conférences de presse ! Il fallait écrire ce qu’il allait lire !
2. Le Cameroun et le Nigéria ne coopèrent pas sur la question du terrorisme. Il a fallu compter sur le Président Français pour unir les Présidents du Nigéria et du Cameroun. Déjà, le 27 janvier dernier, Le message annonçait une visite du Président nigérian au Cameroun qui n’a jamais eu lieu. A la question de journaliste de savoir pourquoi l’axe Yaoundé-Abuja a attendu Paris pour fonctionner, le Président français a compris qu’il ne fallait pas laisser les concernés répondre et a quand même indiqué que la réunion de Paris était plutôt à l’initiative du Président nigérian. Bizarre ! Mais, que veut Biya ? Les antécédents de la guerre de Bakassi ? Pas si sûr. Sur le plan politique, tout porte à croire que Paul Biya veut une reconnaissance internationale de son rôle « majeur » dans la lutte contre Boko Haram.
A-t-il eu cette reconnaissance à Paris? Oui, le Président Français (communauté internationale) a remercié Paul Biya, principal acteur de la libération des otages occidentaux. Aussi, on aurait compris pourquoi Paul Biya ne se déplace que rarement dans les autres pays africains. En effet, le créateur des « apprentis-sorciers » n’aime pas quitter le Cameroun pour se rendre au « moyen-âge ». C’est d’ailleurs pourquoi, il déclare la guerre à Boko Haram qui veut ramener le Nigéria au moyen-âge. Cet orgueil serait une fierté pour les Camerounais s’ils étaient sûrs qu’après 32 ans de règne, Paul Biya avait pu sortir le Cameroun du moyen-âge.
3. Paul Biya veut renforcer son image à l’internationale et imposer sa présence officielle en France, fief de ses opposants internes et externes. Cela permet probablement de comprendre pourquoi un tel sommet de haut niveau ne s’est pas tenu en Afrique alors qu’il ne s’agissait pas d’une réunion technique qui nécessite d’être au siège des infrastructures. S’étant fait recevoir par François Hollande en dernier (signe qu’il est le plus important), on a l’impression qu’il utilise la menace de Boko Haram pour faire chanter la Communauté internationale.
Afin de ne pas donner l’impression de « chanter », on a observé que François Hollande a abandonné son hôte derrière lui à l’intérieur de la cour de l’Elysée au moment où ils rejoignaient les autres Chefs d’Etat déjà présents, ce qui est lourd de signification au plan protocolaire. Aussi, pendant la conférence de presse, on a pu lire les signes du dégoût sur le visage à peine dissimulé de François Hollande qui a compris qu’il était visiblement « mal entouré ». Mais, avait-il vraiment le choix ? Après plusieurs défilés impromptus du ministre français des relations extérieures au palais d’Etoudi pour chanter la gloire du maître des lieux lors du passage obligé des otages libérés, Paul Biya semble vouloir rester omniprésent et incontournable dans le dossier de Boko Haram. Cela obligera la communauté internationale d’être sympathique avec lui jusqu’en 2018, date à laquelle il briguera le mandat qui le conduira à sa mort vers 2024 conformément à son annonce de 2004.
4. Enfin, de façon innocente, le Président béninois a évoqué « notre doyen [Paul Biya] » sans savoir qu’il créait une menace grave contre la face de ce dernier. En effet, dire de Paul Biya qu’il est un « doyen » rappelle de façon inopportune qu’il est le doyen en âge (82 ans) et le doyen au pouvoir (32 ans). Or, ces deux images ne sont pas démocratiquement correctes aux niveaux national et international. En réponse de façon subtile, Paul Biya a tenu à signaler que Boko Haram profitait de la « liberté » au Cameroun pour mener des opérations de renseignement en journée avant de planifier ses attaques de nuit. En parlant du Cameroun comme étant un pays « libre », Paul Biya a clairement fait passer son message du « Cameroun [pays démocratique] » à la Communauté internationale. Il a remercié pendant près d’une minute le Président français pour cette tribune internationale à lui donner à Paris.
Pour terminer, on constate à l’issu de cette sortie de Paul Biya que le Cameroun est un Etat fragile comme le confirmait déjà l’étude de l’équipe du Professeur Benjamin Goldsmith (enseignant à l’Université de Sydney) sur l’Atrocity Forecasting Project. Le fait qu’il y ait « libre » circulation en journée nous indique que Boko Haram est libre d’arriver à Yaoundé ou à Douala. Et si, au lieu de monter la garde, l’armée dort pendant la nuit, on peut craindre de voir le scénario guinéen se reproduire au Cameroun. En effet, la résidence du Président Alpha Condé avait été attaquée de nuit le 19 juillet 2011 pendant plus d’une heure d’horloge alors que cela se trouvait à quelques minutes des trois principales casernes militaires de son pays. Où étaient les forces de défense supposées être de garde ? Le grand public ne saura jamais. C’est pour cela qu’en livrant les faiblesses du système de défense du Cameroun devant les cameras de télévisions internationales, Biya nous a paradoxalement vendu en se vendant lui-même à Paris.
Louis-Marie Kakdeu
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Laissez nous un commentaire sur cet opinion.