Une opinion relayée par des médias et des «leaders d’opinion» accusent les nordistes de collusion avec la secte.
Le 02 août 2014, en partance pour les Etats-Unis, le président de la République a déclaré que «Boko Haram ne dépassera pas le Cameroun». Paul Biya a demandé aux Camerounais d’être patriotes et solidaires dans le cadre de la guerre engagée contre la secte. Paul Biya lance ce message au moment où les Camerounais ont plutôt des vues divergentes très marquées sur l’identité même de l’ennemi. Il suffit d’écouter des panélistes dans certains médias, d’emprunter des véhicules de transport en commun à Yaoundé, Douala ou ailleurs pour se rendre compte qu’il y a une autre idée qui s’installe dans certains esprits, bien qu’elle soit encore minoritaire : celle qui consiste à dire que les attaques perpétrées dans l’Extrême-Nord sont organisées et mises en scène par les «Nordistes» eux-mêmes, pourtant premières victimes de cette situation douloureuse.
Pis, dans les circonstances douloureuses où se trouve le vice-Premier ministre Amadou Ali, d’autres ont même eu le cynique courage, au milieu de l’émotion et de l’indignation générale, de déclarer péremptoirement qu’il se cache derrière l’attaque de Kolofata. Et donc, qu’il est l’auteur, au moins intellectuel, des enlèvements de son épouse, de ses proches et d’autres personnes après avoir fait tuer sept membres de sa famille, dont son frère cadet. «Nous nous battons déjà pour protéger nos champs, nos foyers, nos femmes et enfants, notre dignité et notre liberté.
Maintenant, certains veulent en plus que nous nous battions pour protéger notre honneur», regrette un conseiller municipal de Darak. Il ne comprend pas ces ennemis de l’arrière, qui sapent le moral des populations en semant la confusion dans les esprits. Toutes les couches sociales y vont de leurs analyses. Joint au téléphone par nos soins samedi dernier, Lazare Souob, député du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc) croit savoir par exemple que Boko Haram n’existe pas au Cameroun. Les actes observés ces derniers temps sont perpétrés par des «malins» pour montrer qu’eux aussi ne sont pas protégés, va-t-il ajouter.
Le socio-politiste Mathias Eric Owona Nguini met tout cela sur le compte de la divergence d’opinions. Soit. Une divergence qui pourrait cependant sérieusement entamer l’union sacrée observée jusqu’ici autour de la guerre contre la secte. «Boko Haram est aujourd’hui une multinationale transfrontalière dont certains de ses éléments sont de nationalité ou d’origine camerounaise. Cela est un fait. Elle compte aussi dans ses rangs des Nigériens, des Tchadiens et bien sûr des Nigérians qui constituent son épine dorsale. Les Camerounais qui se sont embarqués dans cette aventure sont des brebis galeuses qui n’engagent pas la communauté du Grand Nord. Il ne faut pas laisser se répandre ce venin de la division, cela me rappelle les déclarations de quelques ennemis de l’unité nationale au lendemain du putsch du 06 avril 1984», explique Abakar, fonctionnaire retraité à Kousseri. Non sans s’étonner du silence du gouvernement.
Et même du Conseil national de la communication (Cnc). «Ceux qui accusent le Grand Nord ont d’autres visées. Ils cherchent, on ne sait pour quelle raison, à reproduire ici le clivage Nord/Sud qui a fait tant de dégât en Côte-d’Ivoire alors que la menace vient de l’extérieur. Je ne suis donc pas surpris que les accusations portées contre les nordistes ne s’éloignent jamais de la haine viscérale qu’ils affichent contre la France. Ils tentent dans une contorsion de mauvais goût l’équation Boko Haram = Grand Nord = France», rigole un ancien ministre originaire de l’Extrême-Nord.
Vrai ou faux, toujours est-il que cette stigmatisation est de nature à entamer non seulement la cohésion sociale, le vivre-ensemble, mais aussi l’efficacité de la lutte contre la secte au moment où le pays a besoin de tous ses fils et de toutes ses énergies pour venir à bout de ses agissements. «Les gens peuvent parler, mais ils ne peuvent pas égratigner la confiance des populations des régions septentrionales dans la République», nuance toutefois un sénateur de l’Extrême-Nord, qui appelle à la solidarité nationale.
IGNORANCE
Les raisons avancées pour expliquer l’implication de toute une partie du pays dans les agissements de Boko Haram sont d’une légèreté à couper le souffle. L’un des principaux arguments repose par exemple sur la non revendication de la prise des otages par la secte. Effectivement, la secte a revendiqué, publiquement, l’enlèvement de la famille Moulin-Fournier. A contrario, elle ne l’a pas fait ni pour le prêtre Georges Vandenbeusch, ni pour les trois religieux de Tcheré ou encore moins pour les Chinois. Pour autant, tous ceux qui travaillent sur le sujet, le chef de l’Etat en premier, n’ignorent pas où ont été et où sont détenus les otages.
Y compris aujourd’hui les Chinois. Pas une seule fois, les otages n’ont séjourné en territoire camerounais, contrairement aux allégations des uns des autres. «L’absence de revendications publiques ne signifie pas qu’elles n’existent pas. Il y a d’autres canaux pour revendiquer, pour prouver qu’on détient les otages. Les Camerounais ont utilisé des canaux discrets et ils ont eu les preuves de vie des otages. Peut-être que des Camerounais ont joué un rôle intermédiaire mais le leader de la secte a toujours tenu la corde. Ce n’est donc pas une affaire du Grand Nord, prise comme entité qui tire des ficelles», indique une source sécuritaire.
Les animateurs de la division n’en sont pas à une idée lumineuse près dans la propagation des idées destructrices de l’unité nationale, de la ferveur nationale et de l’enthousiasme national à défendre la patrie. Certains n’ont pas hésité à dire que la secte Boko Haram ne revendiquait pas l’attaque de Kolofata. Non seulement aucune déclaration dans ce sens n’est imputée à la secte par aucune source crédible, ni aucune agence de presse, bien plus, les témoignages des survivants de cet assaut meurtrier sur la résidence du vice-Premier ministre Amadou Ali, convergent vers une évidence : le leader de la secte en personne donnait des ordres au téléphone.
Pour l’instant, si la mayonnaise des adeptes de la division a encore du mal à prendre, la crainte est cependant qu’elle progresse dans l’opinion si friande de rumeurs. Et que des manoeuvres politiciennes cèdent la place à la mobilisation autour de la guerre. «Certains veulent entretenir l’atmosphère qui régnait un peu après le 06 avril 1984. Dans cette épreuve difficile, les Camerounais devraient oublier les batailles et les manoeuvres autour de la succession du Président. N’ayons plus d’autre pensée que la lutte acharnée contre cette secte. Plus tard, nous nous retrouverons», affirme Saïdou Maïdadi, membre du comité central de l’Undp.
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