L’ambition. Voilà un mot devenu le motif de condamnation de
toute une jeunesse. Son manque d’ambition est la raison qui justifie son
exclusion, ou plutôt son absence dans les sphères de décision ou dans ce qui
peut contribuer à son propre épanouissement.
Revenons-en à ce mot, mais cette
fois à la faveur de la lecture de Cinq-mars (une conjuration sous Louis XIII) d’Alfred
de Vigny. Dans ce roman, l’auteur met aux prises son héros Henry d’Effiat avec
son ambition, né d’un amour sincère et pur pour la princesse Marie, pressentie
au trône de Pologne. Pour elle il rejoint Paris pour rentrer à la cour royale.
Son ambition, se faire un nom, un titre qui l’autorise à aimer celle qu’il ne
rencontre que secrètement. Pour réaliser cette ambition, il faut écarter l’obstacle
qui est le Cardinal, Ministre et véritable décideur à la place du Roi. C’est
lui qui fait et défait les hommes. C’est lui qui offre les honneurs, le bonheur
ou le malheur. Son ambition est donc politiquement déterminée. Et ce ne sera
donc pas par pur égoïsme qu’il va méditer avec d’autres compagnons une
conjuration contre le cardinal. Nos braves vont essuyer un échec pas faute d’avoir
essayé, mais par amour. Par amour pour Marie, pour son ami du Thou, pour la
Reine, pour la France.
Néanmoins, ce que nous retenons c’est
que le héros âgé entre 20 et 22 ans, occupe le poste de Grand écuyer auprès du
Roi. Comme lui, son ami du Thou est conseiller du Roi à 35 ans et ne travaille
rien d’autre que de nourrir sa pensée à travers celles des auteurs tels que
Descartes ou Corneille. Malgré leur jeunesse, ils occupent des postes qu’ailleurs
seules des crises cardio-vasculaires feraient quitter à d’autres.
32 ans après, il était important
d’exhumer A. de Vigny afin de saisir l’actualité de notre propre pays. C’est-à-dire,
afin de voir quelle place elle occupe dans cette société camerounaise. Cette œuvre
de de Vigny relate une histoire de XVe- XVIe siècle. Nous en sommes au XXIe même
si le contexte n’est pas le même.
Je suis de cette génération Biya.
J’aurais pu moi aussi être Président si j’étais né un jour avant son accession
au pouvoir. Mais la chance… La chance. C’est ce mot qu’il faut employer pour
peindre le sombre tableau de la jeunesse du Renouveau. Le mérite placé à la
porte doublement cadenassée de ce système a été humblement congédié. Il ne
suffit pas de valoir, mais d’avoir.
D’avoir quelqu’un qui fasse de
vos ambitions les plus viles une vertu cardinale, un droit. D’avoir quelqu’un
haut placé ou bien placé pour vous ouvrir les portes d’une vie où l’oisiveté se
paie au prix de la sueur du travail des autres. Cet adage camerounais par
essence vous traduit sans plus la vérité de ce propos : « on est quelqu’un
quand on a quelqu’un quelque part ». Avoir un père riche, un père
politiquement intellectuel, un beau-frère ou un oncle a qui l’argent a conféré
et consolidé son élitisme. Avoir tout sauf le mérite qui est le critère par
excellence de la justice distributive, fondement de toutes les sociétés qui se
respectent et rêvent d’un avenir radieux pour tous.
Mais cette logique du nivellement
par le bas qui est celle du Renouveau, aura contribué à créer une société
anaxiologique (sans valeurs), dans laquelle la jeunesse fortement désespérée, découragée,
n’a pour seule référence que quelques brigands politiques, des feymens ou des
footballeurs. Demandez à un enfant quel est son rêve, il vous répondra « être
Eto’o ». Ce génie du foot n’est pas un dernier. Mais reconnaissons que la
notoriété de la Chine aujourd’hui comme celle des USA hier, encore moins celle
du Brésil plusieurs fois vainqueur de la prestigieuse coupe aux grandes
oreilles ne leur vient aucunement du foot.
Or, ô Cameroun on fait les choses
à l’envers. Notre académie supérieure de foot attend toujours de sortir de
terre. En attendant, attaché au pieu de la mendicité, sa jeunesse broute l’herbe
sauvage et mauvaise du misérabilisme. Condamnée à une vie végétative, elle
ronge la douleur du désespoir et broie du noir sans jamais voir le bout du
tunnel annoncé. Au contraire, est-elle pu rentrer dans le canal de ce mystérieux
tunnel, que les deux bouts furent obstrués. Comme les prisonniers de la caverne
de Platon, mais cette fois sans l’espoir d’un soleil qui les éclairent, ils se
bousculent dans ce sombre couloir où chacun voulant se frayer une place devient
l’ennemi de l’autre.
L’impasse. Et voilà qu’au
Cameroun il ne leur sert à rien d’avoir des diplômes pour parodier Kerry James.
L’ascenseur social n’existe pas là où pour Grand Corps Malade, en France il est
bloqué. Pendant ce temps, assis dans leurs bureaux climatisés comme des
macaques dans des chambres froides, les dirigeants regardent sur leurs écrans
de surveillance gaiement le sinistre spectacle, en accusant cette jeunesse de
manquer de rêve. Vous avez des diplômes ? Alors créer des plantations. C’est l’histoire
du laboureur et ses enfants. Sauf que l’un n’a jamais labouré, et qu’il ignore
que c’est sur une terre désertique, aride, infertile, stérile, qu’il demande à l’autre
de labourer. Une terre sur laquelle à force d’avoir déversé l’herbicide de la
mal gouvernance, d’une gestion calamiteuse, de la prévarication et de la
corruption, il est difficile que les feuilles vertes d’un espoir juvénile
sortent de terre. Et voilà que l’on retourne à la Fable du Corbeau et du
renard.
Le Renouveau a eu le mérite d’homosexualiser,
de brigandiser, de prostituer sa jeunesse et de la traîner dans la
boue de l’incivisme la plus criarde. Partout où cette jeunesse se trouve
fleurit vertement le désespoir, coule une vallée de larmes. Mais ne serait-ce
donc pas temps qu’on médite ces propos d’Alfred de Vigny : « Quand la
jeunesse et le désespoir viennent à se réunir, on ne peut dire à quelles fureurs
elles porteront, ou quelle sera leur résignation » ? »
Peut-être avons-nous l’impression
que cette jeunesse a opté pour la résignation. Mais « Malheur à celui qui
attriste la jeunesse d’un peuple ! Quand les rides sillonnent le front de l’adolescent,
on peut dire que le doigt d’un tyran les a creusées ». Quel que soit l’homme
qui maintient dans l’ombre, dans la nuit ténébreuse du désespoir cette
jeunesse, qu’il sache « qu’un homme passe, mais un peuple se renouvelle ».
Par DJEMO Arnaud
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Laissez nous un commentaire sur cet opinion.