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"Le Renouveau et Moi: Genèse d´un Désamour Chronique" par Hervé Blaise Menguele

Je me souviens de cette journée ensoleillée du 4 Novembre 1982. Sangmélima s’était réveillée comme à l’accoutumée dans une monotonie rassurante : les élèves, très nombreux dans cette bourgade perdue en pleine forêt équatoriale, pressaient le pas sur les routes asphaltées et d’autres esquivaient les voitures, dont le vrombissement sur les pistes en terre, les aspergeait d’une poussière rouge vif. Rien ne pouvait laisser présager que cette ville, qui vivait dans une quiétude globale,  perceptible même par le voyageur saisonnier ou simplement d’un jour, allait rentrer définitivement, de manière royale, dans les annales indélébiles de la République du Cameroun comme étant la ville d’origine du deuxième président du pays.

A cette époque lointaine, je n’étais encore qu’un jeune garçon de 5 ans et j’étais élève à l’Ecole catholique St Joseph. Mais il me souvient qu’à un moment donné de la journée, nos maîtres, après une longue concertation d’où s’échappaient de grands esclaffements épars, prirent la décision collégiale de nous tenir au faîte de l’information majeure de la journée : Sangmélima, notre ville, venait de voir un de ses fils porté à la Magistrature Suprême. Il y avait une ambiance d’allégresse généralisée imprimée par le sourire très expressif de Monsieur Gaston, mon maître de l’époque, qui nous fit répéter en boucle, et ce, une bonne dizaine de fois, le nom du futur locataire du palais présentiel d’Etoudi. « Paul Biya, Paul Biya, Paul Biya.. » entonnions-nous alors.


Nous nous sentions, malgré le jeune âge, pousser des rêves de grandeur. Notre peuple, une minorité ethnique insignifiante dans la géopolitique nationale et quasi impuissante économiquement, venait de bénéficier de l’onction des dieux. Qui l’eut cru ? Personne certainement dans tous les recoins de l’arrondissement du Dja-et-Lobo, qui s’estimait déjà incommensurablement distingué d’avoir un de ses fils comme premier ministre, chef du gouvernement.

Mais Sangmélima va se résoudre à prendre son mal en patience. Les années vont s’écouler implacablement sans que la ville ne voie se matérialiser ces rêves de grandeur unanimement caressés dans notre subconscient collectif. On s’était imaginé que comme Garoua sous l’ère de l’ancien Dictateur, Sangmélima bénéficierait d’une attention particulière pour que la ville d’origine du premier camerounais arborât enfin fière allure, à la dimension du Président de la République. On avait rêvé de voir des routes partout, des hôpitaux modernes, des infrastructures diverses, l’amorce d’une industrie locale, l’édification d’un stade de football, le désenclavement des arrondissements environnants, la réhabilitation des établissements scolaires comme par exemple le Lycée Classique et Moderne de Sangmélima, le plus vieux de la ville et qui était d’ailleurs la plaque tournante à l’époque, de tout le département du Dja-et-Lobo. Mais rien ne vint.

Lorsqu’en 1990 la contestation populaire pour l’instauration d’un régime démocratique va ébranler les fondements du « Renouveau », Sangmélima, malgré la déception et l’aigreur qui commençaient maintenant à se répandre dans la ville, se leva comme un seul homme pour apporter son soutien indéfectible au fils de la région. C’est massivement que les populations locales allaient prendre d’assaut les urnes le 11 Octobre 1992 pour accomplir leur devoir citoyen et surtout pour apporter leurs voix à Paul Biya. Beaucoup pensaient alors qu’en ces années délicates pour le « Renouveau », l’homme saurait enfin se souvenir que pour cimenter sa survie politique, il se devait d’abord de s’enraciner solidement  dans son socle naturel avant éventuellement de s’affirmer dans d’autres contrées favorables. Et que cela passait indiscutablement par une esquisse de mise en valeur de sa région car après tout, personne ne comprendrait qu’un fils de la région ait eu à diriger le pays entier sans avoir contribué tant soit peu au désenclavement de sa contrée natale. Et comme toujours, les attentes furent vaines. 

Au-delà de la région, le Cameroun dans son ensemble, était entré dans une spirale rétrograde de corruption, qui installait les populations dans une vulnérabilité et une impuissance pathologiques. A Sangmélima par exemple, deux proviseurs successifs du Lycée Classique, fils de la région de surcroît,  allaient systématiquement rançonner les populations, exigeant à chaque parent qui voulait y faire inscrire son rejeton, de fournir des tôles qui allaient servir à la construction des villas au village. Un de deux va faire plus fort en s’accaparant de l’argent des dossiers d’examen de tout un lycée et les désagréments furent multiples. A Yaoundé, il me souvient qu’en 1998 quand je m’apprêtais à quitter le Cameroun, il m’avait été exigé de faire des examens médicaux pour prouver que j’étais en bonne santé. C’était la condition indispensable pour l’obtention du visa. M’étant rendu au CHU, le médecin vers qui on m’avait orienté avait ouvertement déclaré qu’il était prêt à me faire établir une attestation de test négatif pour le SIDA mais qu’il fallait que je lui donne quelque chose. J’étais tout simplement horrifié de voir un homme sensé avoir prêté le serment d’Hippocrate, déshonorer sa profession pour quelques billets de banques. Le Cameroun se portait vraiment mal !

Il me souvient encore qu’avant les années 1990, le championnat de football du Cameroun était très couru. On y rencontrait des véritables stars continentales du ballon rond. L’équipe nationale était d’ailleurs constituée en grande partie de jours locaux. Mais au fil des années qui passent sous la gouvernance du « Renouveau », ces moments de gloires ressemblent à des contes lointains qui n’auraient jamais, pourrait-on croire, existés que dans le fantasme collectif des nostalgiques. Les succès sportifs engrangés n’ont pas été suivis par la construction d’infrastructure. C’est toute honte bue qu’on organise des matchs de football internationaux dans un stade vétuste puant le délabrement.

Et que dire de Yaoundé notre capitale ? Voilà une ville monstrueusement hideuse. Un gros bidonville qui dégage le reflet d’un pays d’incapables, d’une nation de vauriens. Comment peut-on ainsi rester insensible à l’image extérieure qu’on dégage? Comment peut-on ne pas voir que cette ville fait aujourd’hui de nous, oui de nous camerounais, la risée continentale? Comment peut-on expliquer que la route reliant l’aéroport au centre-ville et qui est le point d’entrée dans notre capitale,  ne soit qu’une vulgaire piste autour de laquelle  de vilains hameaux sont éparpillés des deux côtés de la chaussée ? Doit-on véritablement être sorcier pour se rendre compte du fait que quelque chose ne tourne pas rond ?

Je ne saurais ne mentionner ici les axes de communication routiers qui sont devenus de véritables cimetières qui engloutissent la vie des camerounais dans l’indifférence. Aujourd’hui, on nous parle de la construction d’une autoroute entre Douala et Yaoundé. Fallait-il attendre 33 ans pour se rendre compte de cette nécessité vitale ? Et qu’attend-on pour aussi connecter l’Ouest – le véritable grenier du Cameroun – d’avec d’autres grands centres urbains comme Yaoundé et Douala avec ces autoroutes qui permettraient de mieux écouler les marchandises et de fluidifier le trafic ô combien important sur ces axes ?

Le coup fatal  de mon désamour pour le Renouveau a été assené quand j’ai quitté le Cameroun. J’ai trouvé à Pékin l’ambassade de mon pays, la représentation officielle du Cameroun, dans un état de délabrement surréaliste. Le drapeau national était méconnaissable. Les couleurs qui le pigmentaient n’avaient plus rien du vert-rouge-jaune national. Même un drapeau, on est incapable sous le « Renouveau », de s’en préoccuper.

La honte atteignit son comble le dimanche 23 juin 2002. Le « Renouveau » allait me voler le peu de fierté qu’il m’était encore donnée de pouvoir exprimer de mon pays dans les conversations que j’avais souvent avec d’autres Africains. Je ressentais en effet une certaine supériorité relative par rapport à d’autres pays africains et ne manquais jamais l’occasion de vendre mon pays. Mais ce 23 juin sus-évoqué, j’allais être pris en grippe par ceux qui avaient dû longtemps subir mes envolées patriotiques. L’on venait en effet, ce jour-là, - le jour même de l’élection - d’annuler le double scrutin législatif et municipal à cause du manque de matériel et de la cacophonie généralisée.

C’en était trop. Le désamour avait atteint un niveau chronique, incurable. Je repense à ce jour de 1982 et me dis que Sangmélima aurait dû verser des larmes de lamentation, et non celles de joie. Malheureusement, nul ne peut ne lire dans une boule de cristal pour déchiffrer le futur avec certitude.

La supercherie continue cependant avec l’émergence qu’on nous promet à l’horizon 2035. Il y a quelques jours, on mettait sur pieds un plan national d’urgence au contenu vide. Après 33 ans d’arnaque, certains en sont encore suspendus à ces utopiques rêves de grandeur. Moi, j’attends dorénavant le passage de témoin avec impatience. Pour le bien de mon pays.

Hervé Blaise Menguele
Doctorant
blaiseherve@yahoo.com
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