La cérémonie s’est déroulée dans la maison de la culture de cette ville. Tout le gratin littéraire de la région était présent. Des extraits de mes livres traduits en Allemand y ont été lus par des personnes choisies à cet effet, et l’animateur de celle-ci, un journaliste d’une radio de la ville, me posait des questions sur mes poèmes, les conditions de leur écriture, et, naturellement, mon séjour à Kondengui. Le poème intitulé « Quartier kosovo » dans mon recueil « Poème carcéral » rédigé pendant ma détention et traduit en allemand et publié en Autriche, puis en anglais et publié en Angleterre, alors que je me trouvais encore à Kondengui, a fait sensation. Le public ne parvenait pas à croire que les prisonniers sont si mal traités au Cameroun. Nous nous sommes alors attardés sur la pratique de la torture dans les gendarmeries et les commissariats de police du Cameroun, sur les lenteurs judiciaires, sur l’inféodation des juges au pouvoir politique, l’aberration de l’existence d’une justice militaire chargée de juger des civils, etc. Naturellement, les questions d’alternance politique n’ont pas manqué. On peut aisément deviner, sur ce point, la réaction du public …
Il m’a été demandé d’évoquer la question de l’usage des prénoms allemands au Cameroun, parce que l’un de mes poèmes d’un de mes livres traduits en allemands évoque cette question, le poème intitulé :« S’ils n’étaient pas venus … ». C’est-à-dire que si les Français n’étaient pas arrivés dans notre pays en 1916, je ne me prénommerais nullement Dieudonné, mais probablement Helmut, Karl, Jürgen, Eduard, Lukas, etc., et ce serait le cas pour tous les Camerounais. Le titre en allemand du poème est « Wennnichtgekommenwären … »J’ai donc relaté au public l’histoire des prénoms allemands au Cameroun. De 1884 à 1916, ceux-ci étaient en vogue. Les Hans, Hermann, Henrick, Otto, Lukas, Claus, Wilfried, Siegfried, Angela, Roswitha, Erna, Angelika, Irmgard, pullulaient au Cameroun. Puis, à l’arrivée des Français et des Anglais, ils ont commencé à disparaître, sous l’action combinée de l’administration et de l’église catholique dont les prêtres étaient français. L’administration refusait de plus en plus d’établir des actes de naissance avec des prénoms allemands. Les Camerounais se sont donc mis à attribuer des prénoms français à leurs enfants, pour les papiers officiels, tout en conservant ceux allemands pour la famille. Puis, aussitôt qu’il a été multiplié des centres d’état-civil dans les villages, les prénoms allemands ont refait leur apparition sur les actes de naissance. A la veille de la guerre, c’est-à-dire en 1938, 1939, la propagande allemande d’un retour du Cameroun sous administration de Berlin, accompagnée de la folle rumeur d’une visite imminente d’Adolf Hitler dans le pays qui avait circulé, avait entraîné de la part de l’administration française une recrudescence de la répression des prénoms allemands au Cameroun. Les prêtres également étaient redevenus plus réticents à baptiser les gosses portant ces prénoms. Finalement, la France ayant gagné la guerre, le déclin définitif des prénoms allemands a été entamé au Cameroun, au point où il n’en existe plus que très peu aujourd’hui. On ne compte plus que quelques rares Fritz, Hermann, Wilfried, Siegfried, Hans. Tout le monde a longuement applaudi. Après quoi, un participant venu du sud de l’Allemagne, s’est proposé d’organiser un colloque sur la présence allemande au Cameroun de 1884 à 1916, et auquel je serai également l’invité d’honneur.
Dans la salle il y avait plusieurs Camerounais de la ville qui étaient venus soutenir leur compatriote. Ils m’ont informé qu’ils y étaient au nombre de cinq cents environs, des étudiants et des travailleurs, et plus de vingt mille dans toute l’Allemagne, et nous avons convenu d’une conférence-débat que je viendrai animer au mois de janvier 2016.
Enfin, la soirée s’est clôturée par la dédicace de plusieurs de mes livres en allemand, et d’innombrables photos. Et pour terminer, voici en entier le poème «Quartier Kosovo» en français.
« je prononce ton nom en frissonnant de tout mon corps et je remercie le ciel de ne pas avoir été envoyé chez toi/Kondengui/tu es une colonie de vacances/un internat joyeux/on ne le sait pas/mais/Kosovo/en ton sein/toi Kosovo le quartier maudit/tu es la terreur /je prononce ton nom en claquant des dents/et je remercie le ciel de ne pas avoir été/déporté chez toi/tu héberges gaiement tes soixante-quinze suppliciés/par chambrettes de seize mètres carrés/là où quinze couchettes il était prévu au/commencement/tu héberges gaiement tes deux mille damnés/en plein air dormant à la pluie au vent au soleil/dans tes rigoles de détritus et tes douches et tes/urinoirs et tes WC bouchés/tu héberges gaiement tes zombies terrifiants qui/somnolent debout éternellement en avançant/tels des robots parce qu’ils n’ont guère d’espace/où reposer leurs silhouettes squelettiques/et/lorsque retentit la cloche de ta pitance/les visages s’illu-minent/mais même les porcs de la campagne/ne peuvent avaler ton ragoût de maïs/et tes êtres d’outre-tombe au corps purulents/se ruent sur les épluchures d’oranges d’avocats/de mangues de macabos de maniocs d’ignames/peaux de bananes douces/O DIEU DU CIEL !/Que fais-tu donc/Blotti derrière/ Les nuages / Descends sur terre/Viens au Kosovo sur Kondengui/on ne te racontera point/la souffrance /de ces gueux.
Enoh Meyomesse.
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