S’il faut saluer ces héros dont les noms figurent quelques fois dans les journaux locaux, il faut aussi craindre qu’on les oublie aussitôt malgré les médailles de l’autorité de l’Etat qui sont venues auréoler ces bienfaiteurs de la nation. Tout pays digne de ce nom, comme une famille, est appelé à respecter sa propre mémoire. Il faudrait songer un jour à faire de la place à ces personnes d’une manière plus significative. Le rôle extrême que les différents personnages des comités de vigilance continuent de jouer doit servir dans un pays où la recherche des repères n’est pas un exercice facile. Faudrait-il le rappeler avec force, grâce à eux aussi, la grande majorité de Camerounais peut dormir en paix et vaquer quotidiennement à ses occupations.
Il n’y a pas si longtemps, ces hommes étaient injustement taxés de complices, de perdus de la république, incapables, péroraient même certains, de différencier l’habitant du village et l’ennemi voyageur. Comme si la situation était si simple ! Que de discours remplis de naïvetés et surtout de suspicions visant à culpabiliser ces hères terrés dans leurs villages naguère tranquilles. Fort heureusement, le langage indécent commença à disparaître dès que de nombreux citoyens ont pris la pleine mesure de la réalité spécifiée par son côté asymétrique, surtout lorsque les attentats-suicides sont devenus légion. Ces villages de l’Extrême-Nord du Cameroun, limitrophes du géant nigérian en particulier, se sont transformés en champs de désolation plutôt que de mil, de millet et de sorgho, d’arachides, de haricots et de coton pour le bonheur de nombreux citadins de Maroua, Garoua, Ngaoundéré et du Grand-Sud.
Bien que le concept de comité de vigilance porte quelque chose de positif et que nous ne pouvons, outre mesure, nous passer, il reste quelques questionnements à élucider :
Premièrement, dans sa façon d’informer, subsiste un fond rudimentaire. Les hommes sont tentés d’adopter une posture qui les expose. N’ayant pas une formation idoine sinon leur seule et unique volonté de servir, ils ne sauraient aussi facilement dissimuler cette part de pouvoir qui les relie au sommet. Or, un pouvoir dont l’ancrage est local mettrait plus en évidence le service rendu : c’est-à-dire que le regard sera tourné vers la base, lieu du chaos pour l’instant, plutôt que vers le sommet qui attend d’être informé. Cela ne signifie pas que le sommet cristallise en soi l’obstacle. Cependant,
le pouvoir tel qu’il est exercé au Cameroun mérite davantage de transversalité et d’horizontalité. Le sommet recèle des pouvoirs excessifs qui ont pour contrecoups la fragilisation de la base, l’attentisme et la déresponsabilisation inconsciente du citoyen.
Deuxièmement, les comités de vigilance n’ont pas d’armes de guerre et cela n’est bien entendu pas leur rôle. Mais, en même temps, ils sont exposés à des tâches d’une rare dangerosité et de plus en plus lourdes ; celles qui ne sont pas majoritairement dévolues aux armes blanches constituées de flèches, de couteaux, de machettes ou même de gourdins. Techniquement, cet arsenal de fortune est de toute évidence inopportune et ne fait de ces sujets volontaristes que des proies faciles des terroristes malgré quelques coups d’éclats. Aussi, la motorisation de ces comités doit être soigneusement étudiée afin d’y introduire célérité et discrétion dans leur rôle de transmission. Car, autant ce moyen peut-être efficace, autant il peut susciter une surexposition de la vie de ces membres de comité de vigilance.
Troisièmement, la confidentialité est difficile à arborer dans des environnements moins peuplés où l’on se côtoie assez facilement et que les habitus sortent en général du moule commun. Les familles des ces personnes engagées doivent bénéficier de soins particuliers afin d’éviter des fuites gratuites. Les gestes peuvent être ostensibles ; surtout lorsqu’un changement est brusque dans le langage ou dans le regard des uns et des autres.
Quatrièmement, il faudra davantage développer l’esprit d’intégrité. Boko Haram semble ne pas souffrir de précarité pécuniaire et peut tenter de dissuader des individus considérés comme personnes ressources. Serait-ce un secret de polichinelle ? La corruption qui n’est pas étrangère au Cameroun, toujours critiqué par l’ONG Transparency International pour ce phénomène qu’il abrite mieux que nombre de pays dans le monde, peut facilement susciter des agents doubles, persuader ou dissuader des citoyens désorientés ou enclins à la facilité.
Cinquièmement, il faudra réinterroger l’autochtonie, bien qu’elle puisse recéler des aspects négatifs surtout dans l’esprit de celui qui la propose. Au Cameroun, où la question n’a pas fini de diviser, il ne serait pas superflu d’en donner une signification plutôt positive. Ceux qui défendent leurs terres portent une responsabilité qui échappe à la seule localité pour trouver sens dans la territorialité globale et nationale. Chacun est appelé à exercer ce rôle de résistant là où il se trouve pour sauver notre histoire et son devenir.
Sixièmement, il faut âprement domestiquer toutes sortes de moyens pour barrer la voie à l’extrémisme. Toute expression non contrôlée de la religion doit susciter une réflexion d’ensemble à laquelle la société, même locale, doit contribuer. Il ne serait pas excessif de renvoyer les déviances existantes à leur enracinement religieux. La vigilance peut donc, dans ce cas, arborer une fonctionnalité plus affûtée. Avec ce que vivent nos populations dans le Nord du Cameroun, c’est l’histoire des hommes et des femmes du terroir et de l’ensemble du pays qui se tisse comme un tissu solide et généreux pour les générations à venir.
Par Zachée Betché, Neuchâtel, Suisse
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