Une fois de plus, le maire de Béziers Robert Ménard vient de battre un record dans les domaines de la bêtise et de l’abjection.
Pour saluer à sa manière l’élection du premier maire de Londres d’origine musulmane, il n’a pas hésité à évoquer sur Twitter "le grand remplacement" qui serait "en cours" dans les capitales européennes et contre lequel la société occidentale serait incapable de lutter.
#Londres a désormais un maire musulman. Un tournant historique qui symbolise le grand remplacement en cours. ..#SadiqKhan
Un délire de plus pour Robert Ménard
On pourrait rejeter ce genre de délire avec mépris, considérer qu’après tout ce triste personnage, élu à Béziers grâce au soutien du Front national, reste dans le droit fil de ses actions précédentes les plus contestables et les plus ridicules, comme par exemple, les statistiques ethniques dans les écoles, lecouvre-feu pour les mineurs, l’armement des policiers municipaux, la chasse aux kebabs, aux crottes de chien et au linge aux fenêtres.
Pourtant, le climat qui règne en France interdit de prendre à la légère ce genre de déclarations qui ne fait qu’encourager encore davantage les soupçons qui pèsent sur les étrangers, les immigrés et plus généralement, "les autres". Ceux que l’on ne peut ranger complètement dans le tiroir identitaire le plus rassurant, celui des Français de souche, aux "racines chrétiennes", selon la formule de Nicolas Sarkozyet si possible, de "race blanche", comme disait Nadine Morano.
Robert Ménard, une fois de plus, surfe sur les peurs de nos concitoyens les plus fragiles, ceux qui sont aux prises avec les plus grandes difficultés matérielles dans leur vie quotidienne, ceux qui, inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants, finissent par regarder comme des ennemis les boucs émissaires qu’il leur présente.
Avant Londres, Rotterdam
Comment, dès lors, laisser passer cette petite phrase empoisonnée de Robert Ménard, pour qui l’élection à la mairie de Londres d’un homme politique de confession musulmane, serait le début de l’invasion finale, "le grand remplacement", la "soumission", que des prophètes de malheur tels queRenaud Camus ou l’écrivain islamophobe Michel Houellebecq nous annoncent depuis quelques années ?
On pourrait commencer par remarquer que Sadiq Khan, ce fils d’un chauffeur de bus pakistanais n’est pas le premier élu en Europe à être musulman, ce qui, a priori, pourrait aller dans le sens de la menace évoquée par Robert Ménard.
Mais ce serait oublier que Ahmed Aboutaleb, le maire de Rotterdam arrivé à l’âge de 15 ans du Maroc avec ses parents dans le plus grand port d’Europe, remplit son rôle d’élu depuis neuf ans sans provoquer le moindre scandale ni attenter aux traditions des habitants des Pays-Bas.
Mieux, je ne suis pas sûr que Robert Ménard en ait entendu parler quand il dénonce, seulement aujourd’hui, l’arrivée de Sadiq Khan à la tête de la municipalité de Londres.
Sadiq Khan n’est pas "que" musulman
D’ailleurs, il faut se pencher sur la biographie du nouveau maire pour comprendre qu’on ne saurait le réduire, comme le fait le maire de Béziers, à son seul statut religieux.
Sadiq Khan n’est pas "que" musulman, même si vu de France, il est parfois montré comme l’heureux élu d’une guerre entre deux politiques d’identité fondamentalement différentes : face à un héritier conservateur, Zac Goldsmith, fils d’un aristocrate milliardaire, il représente la méritocratie, le gamin issu d’un milieu très défavorisé qui parvient à lever tous les obstacles de l'ascension sociale grâce à des qualités propres exceptionnelles : intelligence, bagout, culot, ambition démesurée etc…
Mais ce serait nier que Sadiq Khan, contrairement à son concurrent conservateur, avait un vrai programme politique. Notamment dans le domaine du logement, quand Londres, en incessante progression démographique, s’avère incapable de construire pour les plus modestes.
Considérer que les électeurs se détermineraient en fonction de la seule identité ethnique ou religieuse des candidats serait ramener ce scrutin de Londres à une problématique simpliste qui ne reflète, sans doute, que la situation de crise identitaire que traverse la société française.
Une vision déformée depuis la France
En réalité, le camp conservateur de Zac Goldsmith a favorisé cette vision d’un combat qui aurait été purement identitaire. Le candidat perdant, s’apercevant durant la campagne qu’il était largement dominé, s’est emparé de cet argument identitaire pour tenter de faire la différence avec son adversaire.
Comme l’a révélé l’hebdomadaire "L’Obs" en évoquant l’origine confessionnelle de Sadiq Khan, "le camp adverse a tenté sans relâche de l'instrumentaliser pour compenser son retard au cours d'une âpre campagne", avant d’ajouter que "de fait, jeudi, la question de sa confession laissait indifférents nombre d'électeurs interrogés par l'AFP, y compris au sein de la communauté musulmane."
C’est cette déformation opportuniste d’un combat politique en passe d’être perdu par l’un des deux camps qui autorise aujourd’hui Robert Ménard à annoncer ce qu’on pourrait appeler le début de la fin de la culture occidentale.
Tant pis pour Robert Ménard
Certains se contenteront de cette vision apeurée et réductrice d’une belle victoire politique. Tant pis pour eux. Ils passeront à côté de la formidable histoire que nous raconte Sadiq Khan.
L'histoire d’un fils de chauffeur de bus qui a grandi à "Tooting", le petit Pakistan de Londres, qui s’est engagé dans le parti travailliste à 15 ans, qui est devenu avocat, puis député réélu à trois reprises, avant de devenir le candidat du Labour, avec le succès que l’on sait.
Sadiq Khan l’a dit : il est européen, britannique, mais avant tout Londonien. Et tant pis pour ceux, qui comme Robert Ménard, ne voient en lui rien d’autre qu’un musulman.
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