Le Pr. Shanda Tonme dans cette interview qu'il accorde au Journal des régions fait un round-up de l'actualité politique et sociale camerounaise.Il donne son point de vue sur la rumeur concernant la probable création du poste de vice-président au Cameroun. Il revient aussi sur la relative paix que connaît le Cameroun. Sur cette paix dont on dit qu’elle résulte de la politique des équilibres tribaux mise en œuvre par le gouvernement. «Je dois vous dire très franchement que Paul Biya est le seul maître de notre destin. C'est de lui et par lui que tout arrivera et je penche à croire que comme il est chrétien pratiquant, il ne nous laissera pas vivre le calvaire que le Pr Mono Ndzana craint avec raison. »
Depuis l’avènement du président Paul Biya à la tête du pays, l’on a souvent évoqué la question de l’alternance politique au Cameroun, certes. Mais, il en a été davantage question avec la mise en place d’une institution comme le Sénat. Pourtant, ces derniers jours encore, le sujet est revenu sous les feux des projecteurs, comme il ne l’a jamais été, avec des supputations autour d’un poste de Vice-président à créer. Que vous inspire une telle tournure des choses ?
Pr. Shanda Tonme: Il n'y a pas de spéculations à faire au-delà d'un effort de compréhension de la nature de notre système de gouvernance et du type de régime politique qui lui donne vie. Je suis toujours surpris de constater regrettablement qu'après plus de six décennies de régime autocratique, nombre de Camerounais ne sont pas parvenus à se ranger à l'évidence et continuent de tout ignorer sur la façon dont ils sont gérés d'une part, et sur leur statut de citoyens effectivement écartés de toute programmation de leur destin d'autre part. Par contre, je peux raisonnablement comprendre que dans une fin de règne perceptible, trop de spéculations soient possibles au point d'enlever le sommeil à plus d'une personne. La réalité est pourtant plus cruelle, plus insoutenable, et met en exergue une sorte d'embrouille au plus niveau de toutes les institutions de l'Etat et de la République. Aucun détenteur d'une parcelle de pouvoir au Cameroun n'est actuellement fixé de façon catégorique sur son destin et celui de son entourage. C'est l'une des principales caractéristiques des autocraties.
Dans les coulisses, il se susurre que l’option d’Etoudi pour la création de ce poste de Vice-président serait mue par un manque de confiance à un Bamiléké pour la gestion de la transition en cas de vacance au pouvoir. Après avoir nommé Niat Njifendi de manière discrétionnaire, pensez-vous que Paul Biya soit aujourd’hui embarrassé à ce point-là ?
C'est bien dommage que l'on ait fait et continue de faire tant de bruits inutiles autour de la création du Sénat et surtout de la nomination de Niat Njifenji. Rassurez-vous, aucune institution ni détenteur de pouvoir n'est un joueur effectif et déterminant dans le régime autocratique. Ce que vous appelez coulisses n'est autre que le centre d'intérêt de quelques cancres chroniquement attardés qui continuent de projeter le destin en termes essentiellement ethnique. J'aimerais bien rencontrer ces fous des poubelles qui disent redouter l'avènement d'un Bamiléké à la tête du pays. Peut-être qu'il leur faudrait commencer à chercher un pays d'exil dès maintenant avant qu'il ne soit trop tard. Il n'y a pas et il ne saurait y avoir, de privilège ni de prédestination pour tel ou tel individu, tel ou tel clan ou tribu, pour la gestion du pouvoir politique. Aucune alternance mettant en œuvre de sordides calculs ethniques ne marchera au Cameroun. La compétence, le mérite et le libre arbitre de consultations électorales propres et transparentes s'imposeront de gré ou de force. Tant pis pour ceux qui rêvent du contraire.
Entre le sénat et la vice-présidence quelle est à vos yeux celles des deux institutions qui peut le mieux assurer une transition politique démocratique ?
D'abord, il importe que vous sortiez déjà du cadre institutionnel du régime autocratique pour valider votre question. Voulez-vous me dire que vous accordez de la légitimité à ces deux institutions dans un contexte d'absence de libre expression citoyenne? Les deux institutions ne valent que très peu de choses dans la perspective d'une transition politique selon les termes de référence institutionnelles actuelles, dans la mesure où elles sont contestables, parce que résultant d'une seule et unique volonté d'un pouvoir autocratique. Il faudrait dépasser la mentalité d'esclave enfermé et condamné dans la dictature et entrer dans la perspective plus crédible, d'une montée en puissance de la colère populaire qui contraindra à l'érection des institutions effectivement démocratiques. Tout ce qui peut être tenté ou envisagé dans le contexte du pouvoir actuel, ne résoudra aucun problème majeur de gouvernance, si les citoyens ne valident pas d'avance ou ne découvrent une réelle volonté enfin du Chef de l'Etat de passer la min, de tourner la page de la mauvaise gouvernance.
Comme si l’alternance était imminente, le Pr Mono Ndzana est monté au créneau pour soutenir que le pays pourrait basculer dans la guerre civile, au cas où un Beti succédait à Paul Biya, lui-même Beti. Quelle appréciation faites-vous de l’opportunité d’une telle sortie et de la pertinence d’un tel point de vue ?
Je n'ai pas du tout été surpris par la déclaration du Pr. Mono Dzana, tant il est habitué des sorties fracassantes. C'est tout de même lui l'auteur de l'un des tous premiers ouvrages ayant servi de base doctrinale à la longévité et la transformation de ce pouvoir en quelque chose proche d'un grand village de singes voraces. C'est bien s'il a des appréhensions sur la transition et commence à percevoir les désagréments d'une gouvernance ethno-obscurantiste. Néanmoins, je me prends la liberté d'assener encore et encore, que l'équation ethnique n'intervient que si l'on s'enferme dans des projections obscurantistes. Je ne demande pas d'évacuer la dimension ethno-tribale de notre jeu politique, je dis simplement qu'il faut rendre à la politique et à la gestion du pays, un sens plus moderne, plus fraternel et mieux assumé par la compétence, le mérite et la transparence. Je ne vois pas le chef de l'Etat commettre cette erreur, bien que quelques faucons va-t'en-en guerre soient capables de tout faire déraper. Il faut rester positif. Vous savez, nous avons bâti en trois décennies, l'un des pires systèmes de gestion et de développement séparé privilégiant la comptabilité tribale, le subjectivisme et la tricherie au détriment de la compétence. IL va être difficile et même très difficile d'en sortir, mais je peux vous rassurer sur l'existence d'alternatives positives capables de conjurer le danger de la guerre civile.
Il transparaît en filigrane derrière un tel point de vue, une reconnaissance de la fameuse politique de l’équilibre régional d’inspiration coloniale et plus spécifiquement du fameux axe Nord-Sud, au centre de la controverse, depuis toujours. Qu’en pensez-vous à l’aune de cette alternance politique au Cameroun ?
Je vous conseille de laisser mourir tranquillement le piteux, effroyable, fatigué et foutu serpent NORD-SUD de la politique camerounaise. Je continue de chercher en quoi et sur quoi cet animal responsable de tous nos malheurs sert à quelque chose dans l'analyse de notre prochain destin. Certes, quelques attardés continuent d'agiter une bande de fonctionnaires égarés à travers des nominations fantaisistes et sectaires pour programmer le futur du pays. On en parle et on en vit, comme encore récemment à travers la nomination des dix chefs de service régionaux des impôts où l'on retrouve aucun Bamiléké. Mais soyez une fois encore rassuré que c'est une pure hérésie, une prestigitation de très mauvais goût. Combien de médecins, d'ingénieurs, de pharmaciens, d'informaticiens, de professeurs d'université disposent le grand nord en six décennies de politique et d'alliance exclusive? Que ceux qui animent ces idées ne soient pas pressés, ils seront surpris. J'aime mieux leur dire surtout s'agissant du sort politique des Bamilékés, qu'ils ne perdent rien à attendre. L'élégance, le silence et la passivité ne sont pas signes d'absence de réponses et d'inexistence de stratégies appropriées de maîtrises des lendemains. Et puis, laissez le tintamarre de l'équilibre régional de côté. Les Camerounais dans leur grande majorité aspirent à autre chose qu'à la comptabilité médiocrement tribale. Il y a un temps pour tout. Il y a un temps pour la tricherie et il y a un temps pour le mérite et la compétence. Nous n'en sommes plus si éloignés.
50 ans après l’indépendance, est-ce qu’on peut dire que la redistribution des fruits de la croissance par la tribu au détriment de la citoyenneté a profité à l’ensemble des populations camerounaises, que ce soit sous Ahidjo ou sous Paul Biya ?
Mais certainement pas du tout, puisque je viens d'évoquer le cas du grand nord qui est non content d'être un autre monde au plan des infrastructures et du développement, risque dorénavant d'être abandonné aux terroristes et aux hors la loi de tous les horizons. Personnellement j'ai infiniment apprécié l création de l'université de Maroua qui va servir de vitrine et surtout de moteur d'entraînement pour des mutations économiques profondes de l'extrême nord. Cela dit, placer la tribu au centre d'une politique de développement au sens d'une utilisation politique à travers des élites est une catastrophe. On fait croire qu'une poignée de vautours en col blanc désignée pour tenir les caisses publiques, représente le bonheur d'un peuple, d'un clan, d'une région. C'est absolument faux. Le sud et l'Est du Cameroun sont aussi pauvres sinon encore plus pauvres que d'autres. Il n'y a de bonheur collectif réel et national, qu'à travers une programmation de distribution des fruits de la croissance républicaine, citoyenne et positive, dépouillée de toute configuration tribale. C'est aussi vrai que la concentration des grands projets dans la région du sud uniquement depuis un certain temps, suscitent de nombreuses interrogations chez certains. Personnellement je ne vois pas où est le problème. IL faut se considérer chez soi partout sur le territoire, Camerounais partout dans le pays, et fier des réalisations nationales tant que cela profite au pays. Vous voyez tout le bien que nous fera le port de Kribi, et bientôt celui de Limbé. Et puis, soyons un peu honnêtes, raisonnables même. Paul Biya ne doit-il pas beaucoup au sud, pour l'avoir quelque peu abandonné durant trente ans? Le président sentant la fin de règne, s'empresse de payer cette dette, de ne pas être maudit par les kounkoumas. Nous en profitons tous, tout le pays, et au moins, les populations peuvent maintenant attendre les retombées effectives de ces réalisations.
Certains sont-ils fondés de penser que la relative paix que connaît notre pays résulte de la politique des équilibres tribaux mise en œuvre par le gouvernement ?
Paix et équilibre n'ont aucune relation productive ni aucune perspective positive au regard des faits simples. Croyez-vous que c'est l'équilibre que de compter seulement quatre Bamilékés au Gouvernement sur plus de 70 ministres et assimilés? Croyez-vous que c'est la paix et l'équilibre que de compter plus de trois quart de chef de terre qui soient bétis? Croyez-vous que c'est l'équilibre que la quasi totalité des postes de commandement civils, sécuritaires et militaires à Douala soient de la même région, et à tel point que leur dialecte soit la langue de travail dans certains bureaux? Croyez-vous que c'est l'équilibre que l'on ait moins de 6% de Bamilékés diplômés de l'ENAM en trente ans? Croyez-vous que c'est l'équilibre que les magistrats Bamiléké soient pour la plupart réduits ai second rôle, rangés dans les archives, et à tel point qu'on ne les évoque même pas dans la liste des potentiels présidents de la cour suprême? Combien sont-ils dorénavant de Directeurs généraux?
Dans le même temps, il faut faire confiance au président de la république, qui par moment, déjouent tous les pronostics comme avec le choix de Niat. Ahidjo était coutumier du fait, en vrai politicien et en vrai stratège. Il n'avait jamais eu ni de secrétaire général, ni de directeur de cabinet, ni de ministre des finances, ni de chef de la police originaire du grand nord. Et puis, souvenez-vous qu'à moment, Niat était DG de la SONEL et Tchouta Moussa DG du port, donc deux Bamilékés. Il faudrait donc après tout relativiser nos jugements, émotions et appréhensions. C'est le pays qui compte, et chacun doit pouvoir d'abord s'investir concrètement en tant que citoyen avec une vision positive débarrassée des tares tribales et subjectivistes. C'est dans la tête que tout se passe et c'est là bas qu'il faut se préparer à affronter et à anéantir voire réduire l'adversité.
Dans le même temps, il faut faire confiance au président de la république, qui par moment, déjouent tous les pronostics comme avec le choix de Niat. Ahidjo était coutumier du fait, en vrai politicien et en vrai stratège. Il n'avait jamais eu ni de secrétaire général, ni de directeur de cabinet, ni de ministre des finances, ni de chef de la police originaire du grand nord. Et puis, souvenez-vous qu'à moment, Niat était DG de la SONEL et Tchouta Moussa DG du port, donc deux Bamilékés. Il faudrait donc après tout relativiser nos jugements, émotions et appréhensions. C'est le pays qui compte, et chacun doit pouvoir d'abord s'investir concrètement en tant que citoyen avec une vision positive débarrassée des tares tribales et subjectivistes. C'est dans la tête que tout se passe et c'est là bas qu'il faut se préparer à affronter et à anéantir voire réduire l'adversité.
Quelles sont, à votre avis, les conditions à réunir aujourd’hui, pour bénéficier d’une alternance démocratique et paisible au Cameroun ?
Je dois vous dire très franchement que Paul Biya est le seul maître de notre destin. C'est de lui et par lui que tout arrivera et je penche à croire que comme il est chrétien pratiquant, il ne nous laissera pas vivre le calvaire que le Pr Mono Ndzana craint avec raison. Comment voulez-vous qu'un pays qui a été visité quatre fois par trois Papes successifs, sombre dans le désordre sanguinaire et le trouble criminel? Vous savez, derrière l'intellectuel alerte, il y a aussi le chrétien sensible et le parent attentif chez moi. Paul Biya sait mieux que qui conque ce que les Camerounais attendent, ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. A lui de jouer, puisqu'il détient toutes les cartes pour entrer dans l'histoire par la grande porte.
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