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PAUL BIYA, LAURENT ESSO, A. MARIE NZIÉ, GARGA HAMAN, TSALA ESSOMBA, HENRI NJOH… TUÉS PAR L’INTOX par Valgadine TONGA

Plusieurs personnalités ont déjà été annoncées pour mortes par les médias, alors qu’il n’en est rien.
Le dernier cas en date est celui de Garga Haman Adji. Vendredi 21 mars 2014, un confrère déclare mort le président de l’Alliance pour la démocratie et le développement (Add). La rumeur se propage telle une trainée de poudre. Certains doutent, d’autres disent : «Si c’est la presse qui le dit, alors c’est vrai. Nous l’avons même suivi à la revue de presse.» Après des investigations, Le Messager du lundi 24 mars 2014 fait parler un haut cadre de la Commission nationale anti-corruption dont il était membre. «Le ministre Garga Haman Adji a été évacué en France pour des soins aux frais de l’Etat du Cameroun du fait de son statut. Les services consulaires rendent compte de la situation à la minute près. Ce que nous savons, c’est qu’il est encore vivant. Je suis surpris de constater que les Camerounais se comportent comme s’ils étaient heureux d’apprendre qu’il est mort…». La fille de Garga Haman, Haouwa-Adji Garga Abdouraman s’est aussi, s’exprimée sur l’état de son père, «il va nettement mieux ces derniers jours.» Avant lui, les habitants de la capitale économique ont pleuré Anne Marie Nzié.

C’était le vendredi 27 décembre 2013. Des médias audiovisuels publient la vraie fausse mort de la diva de la chanson camerounaise. Sur les réseaux sociaux, ça se commente. Pour mettre un terme aux témoignages qui pleuvaient, la mère de «Liberté» intervient sur les ondes. Elle répond dans la même veine aux préoccupations du site d’informations yaoundeinfos.com. «Bonjour maman, tu vas bien ? On a eu peur en apprenant que tu es morte» déclare au téléphone le reporter de yaoundeinfos.com. «Mon fils je vais bien, j’attends les cadeaux voici les fêtes, vous apportez ça quand ?...moi-même j’ai eu peur en apprenant cette information, mon fils.» 1er octobre 2012. Voici le titre d’un article publié sur un site. «L’artiste camerounais Jeannot Ekwalla est décédé».
Des artistes partagent la fausse nouvelle sur les réseaux sociaux. Celui-là qui est l’auteur-compositeur de plusieurs titres à succès est pourtant bel et bien vivant. Croque-mort à l’hôpital Laquintinie à Douala, Ndoumbè, est tué dans les réseaux sociaux. Les artistes Guy Lobè, Henri Njoh, Atango De Manajama, le pasteur Tsala Essomba, … ont été successivement enterrés par la rumeur. Il faut dire que la recherche effrénée du scoop fait parfois perdre les ficelles du recoupement, de la vérification et de la critique des sources à certains confrères.

Le ministre de la Justice, garde des seaux, Laurent Esso est annoncé pour mort en 2010. C’est Amougou Belinga, directeur de publication de l’Anecdote qui se charge- pour une raison qu’on ignore- de rectifier le tir au cours d’une conférence de presse. «Laurent Esso se porte bien et est en bonne santé, j’ai eu personnellement Laurent Esso au téléphone aujourd’hui à deux reprises.» L’une des rumeurs les plus folles et insoupçonnées a été celle de la mort de Paul Biya himself, le vendredi 4 juin 2004. Les versions divergent. Tantôt le chef de l’Etat est décédé dans un hôpital londonien, tantôt il serait mort à l’hôtel Intercontinental, en Suisse. La population panique. Certains parents interdissent à leurs enfants d’aller à l’école en attendant que les choses se clarifient.
C’est un communiqué de la présidence qui viendra démentir en promettant le retour rapide du chef de l’Etat. De retour au bercail, sur le tarmac de l’aéroport international de Yaoundé, le président ironise à l’attention de ceux qui l’annonçaient pour mort : «Je leur donne rendez-vous dans 20 ans». Dix ans après, il est toujours là, et à la tête du pays…
 
Dérives: Quand le scoop supplante le professionnalisme
La confrontation des sources n’est pas toujours faite. Des Hommes de médias dénoncent.
 
Avoir ou donner absolument et exclusivement la primeur d’une information est une fierté qui amime tout journaliste. Ce qui, sur le double plan de l’éthique et de la déontologie ne met pas entre parenthèses les règles les plus élémentaires du métier qui sont le recoupement d’une information à diverses sources, voire la critique froide de ces sources. C’est ainsi que ces derniers jours, certains médias dans leur quête effrénée du scoop, ont dû annoncer le décès des personnalités qui étaient encore à l’article de la mort. Même si celle-ci a fini par les emporter.
Quel fait d’arme y a-t-il pour un journaliste de précipiter quelqu’un à la tombe ? «Je pense que c'est la course effrénée vers le scoop», affirme Jacques Eric Andjick. Le coordonnateur de la rédaction de Mutations de Douala argue : «un journaliste doit toujours vérifier l'information avant de la communiquer mais souvent les journalistes s'empressent pour avoir la primeur, or cela s'avère souvent faux. Et il vaut mieux mal écrire un papier plutôt que de donner une information fausse. Surtout quand elle concerne la vie d'un être humain. Pour avoir la confirmation de son information, le journaliste doit se rendre au domicile de celui qu'on annonce mort car les sources peuvent nous induire en erreur.»

Des propos qu’épouse son confrère, le coordonnateur de la rédaction centrale de La Nouvelle Expression. Hervé Endong émet d’abord une réserve : «Certaines rumeurs sont provoquées par les concernés eux-mêmes.» Maintenant, poursuit-il, «il y a les rumeurs qui proviennent de l’ignorance de leurs auteurs et on note une certaine légèreté dans le traitement de la part de certains médias. Il ne suffit pas d’avoir une information et la publier. Il faut la vérifier avant de la diffuser, même si elle provient d’une source qu’on estime fiable. Quand on annonce Ateba Eyene tantôt mort, tantôt encore vivant ça veut dire que ceux qui ont l’information n’ont pas pris le temps d’appeler deux à trois sources. Moi, particulièrement, je ne vois pas pourquoi la mort de quelqu’un peut être un scoop.
Ce n’est pas un évènement heureux», dixit Hervé Endong. «Ce sont des erreurs impardonnables. Il faut l’avouer, nous sommes dans un pays où il y a la tolérance partout. Dans certains pays on ne peut pas annoncer le décès d’une personnalité alors que le médecin ne l’a pas encore constaté. Les médias tombent dans cet engrenage de précipitation parce que chacun veut avoir le scoop. C’est ainsi que quelqu’un peut appeler une rédaction à 21h pour annoncer le décès d’une personnalité. Pour peu que l’annonciateur soit plus ou moins proche du supposé défunt, l’information est forcément vraie pour le journaliste imprudent. Non. Il faut prendre du recul, collecter, au besoin envoyer même une équipe sur place» conseille-t-il.
 
Infraction de presse
Annoncer que quelqu’un est mort sans avoir passé au crible l’information est «une regrettable défaillance professionnelle», comme le souligne Dr. Francis-Ampère Simo. L’enseignant de droit des médias à l’Université de Yaoundé II affirme quand même qu’il ne faut pas voir en ces dérapages une infraction de presse. «On ne pourrait pas tout d'un coup assimiler de tels comportements à des infractions de presse, étant entendu que l'infraction de presse suppose l'intention de nuire.» Toutefois, «certains de ces comportements peuvent en raison de la notoriété des personnes considérées être assimilés à des propagations de fausses nouvelles. Ces fausses nouvelles pouvant avoir un impact sur le fonctionnement des institutions, c'est le cas par exemple du chef de l’Etat. La recherche du scoop conduit à de tels dérapages. Et c'est dommage pour la presse camerounaise.» Quand l’enseignant de droit des médias parle d’impact, c’est qu’il y en a. Sociologue et enseignant des instituts privés de l'enseignement supérieur, Serge-Aimé Bikoi pense que la «déstabilisation de la famille» est la première conséquence sociale. «Je prends le cas de Garga Haman. Quand j’ai suivi à la revue de presse qu’il est mort, j’ai appelé un membre de la famille qui était déjà déstabilisé. Cette rumeur a entraîné des rancœurs dans la famille parce que chacun voulait savoir qui a donné l’information au journaliste. Il s’est donc avéré qu’il y avait une certaine mésentente au sein de la famille.» Au-delà de la déstabilisation, ajoute la source, il y a la non-maîtrise de l’information au niveau de la personne qui gère la communication au sein de la famille.

La troisième conséquence : «Il pose un problème de non-maîtrise du carnet de santé des hommes politiques qui sont des hommes publics. On est dans une société où il y a une espèce d’occultation du système de santé de ces personnalités politiques qui nous gèrent. Cette occultation crée au niveau du corps social une certaine manipulation de l’information par rapport à ce carnet de santé, ce qui occasionne désinformation, instrumentalisation et par conséquent mauvaise diffusion de certaines informations pas forcément réelles.» Serge-Aimé Bikoi estime que ce n’est pas de bonne foi que la presse tombe dans ces dérives. En fait, «la population à l’heure actuelle est friande d’informations en rapport avec le décès de certaines personnalités-puisque depuis le début de l’année, on a assisté à la mort d’une dizaine de personnalités-. Le public cherche à savoir à qui le tour. La presse tombe dans ce piège, à tel enseigne que c’est chacun qui veut diffuser le scoop sur la mort de x ou y et, finalement, se pose la question du professionnalisme.»
Focal: Infraction de fausses nouvelles
«Pour que l’infraction de fausses nouvelles soit constituée, il faut, d’une part, que la nouvelle soit fausse, mensongère, erronée ou inexacte et, d’autre part, qu’elle soit de nature à troubler la paix publique. Le juge retient l’atteinte à la paix publique ou le trouble grave à l’ordre public». Selon Dr Francis Ampère Simo, enseignant de droit des médias.
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