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DÉMOCRATIE DES TRIBUS AU CAMEROUN ET SUCCESSION DE PAUL BIYA par Sa’ah François Guimatsia

Le Cameroun vient de célébrer la 42ème solennité  du 20 mai, la fête de l’unité nationale. Depuis 1972, le parcours de cette unité nationale n’a pas été un long fleuve tranquille, à en juger par le reflet dans les médias des préoccupations majeures des Camerounais : la démocratisation frileuse, le tribalisme rampant avec notamment la distinction constitutionnelle les autochtones et les allogènes, les revendications régionalistes, la succession de Paul Biya, etc. A ce  sujet, le philosophe Hubert Mono Ndjana affirme dans les médias  que la prégnance du fait tribal dans notre société nous confine à la démocratie des tribus,  et ajoute comme une pique que si un autre Fang-Béti remplaçait l’actuel chef de l’Etat au pouvoir, cela provoquerait une guerre civile. Cette prophétie a surpris tous les panafricanistes pour qui nous devrions vite nous libérer du carcan tribal, et nous lancer à la construction urgente de l’Etat continental, notre seule planche de salut à l’ère de la mondialisation. Vue sous cet angle, une gestion ethnique du pouvoir devient dangereuse parce qu’elle est non seulement la négation même de l’Etat de droit et du pacte républicain, mais en plus elle aboutit au paradoxe de vouloir à la fois une chose et son contraire. 

  
I – QUE PENSER DE LA  DEMOCRATIE DES TRIBUS ?
Pince-sans-rire, Mono Ndjana affirme effectivement que si Titus Edzoa après sa sortie de prison remplaçait un jour Paul Biya au pouvoir, ce serait une faute aux conséquences incalculables. Pourquoi ? Depuis que les Peulhs en 1982 ont cédé le pouvoir aux Fangs-Bétis, les autres ethnies attendent impatiemment leur tour, et ne supporteraient pas qu’un frère de Paul Biya prolonge encore leur attente. Il va même plus loin dans ses prédictions : vu leur puissance financière, ces ethnies en attente n’hésiteront pas à recourir aux mercenaires étrangers dans cette lutte pour le pouvoir. 
Pour expliquer cette position, il estime que la démocratie ne saurait être une pratique universelle et uniforme. Par rapport au choix des dirigeants, elle est individualiste et idéaliste là où le sentiment national est suffisamment intériorisé par les diverses communautés du pays. Mais en Afrique, nos cafouillages démocratiques correspondent au stade actuel de notre évolution: nous sommes encore victimes de notre mentalité digestive et de notre nombrilisme clanique qui valorisent la motivation alimentaire plus que la citoyenneté nationale supra-ethnique. En politique, nous nous comportons donc comme un peuple d’enfants ou d’affamés, qui n’ont jamais été éduqués à agir ou à penser autrement.  
Après un tel constat, on se serait attendu à ce que Mono Ndjana propose le renforcement de la démocratie pour justement nous libérer de ce tribalisme infantilisant. Bien au contraire, il nous prescrit la démocratie « communautaire » : avec l’équilibre ethnique et le consensus désormais plus importants que la simple majorité des voix. Il ne nous dit pas combien d’années nous devrons attendre pour que les Camerounais soient enfin mûrs pour la démocratie véritable. Pour lui, l’Afrique doit aller à la démocratie en suivant les mêmes étapes que l’Occident, et en attendant elle doit se contenter du tribalisme malgré ses méfaits, dans une espèce de phase pré-démocratique. Cette étonnante justification du tribalisme en politique, à l’analyse, étale vite ses limites. Ce fléau n’est ni tolérable ni acceptable, car même au sein de la tribu qu’on veut favoriser dans la pure logique tribaliste, le sectarisme poursuit ses ravages en dressant les Camerounais les uns contre les autres: ceux qui sont promus par le système le sont par rapport aux critères jamais élucidés, en tout cas sans aucun rapport avec leur compétence technique ou managériale, leur militantisme politique, leur exemplarité comportementale, ou leur capacité à tirer leur région ou leur tribu vers le haut, comme l’a dénoncé Charles Ateba Eyene dans un de ses livres publié en 2008 .
Sentant le vent tourner, Mono Ndjana veut certainement jauger l’état d’esprit des Camerounais par rapport à la succession de Paul Biya. Mais à bien le suivre, la prégnance du fait tribal nous empêche de faire passer notre pays de l’affrontement ethnique permanent à la conscience d’avoir un destin commun. En fait ses propos s’adressent à plusieurs destinataires: à son parti politique qui ne l’a pas récompensé pour son militantisme malgré sa proximité tribale, il annonce la fin de son hégémonie, en espérant voir certains rats quitter le navire ; aux extrémistes Fangs-Bétis tentés de se cramponner au pouvoir par réaction ou par instinct de conservation, il agite le spectre de la guerre civile comme un épouvantail; à ceux qui piaffent d’impatience de confisquer à leur tour le pouvoir, ces paroles tendent à flatter leur égo. Au bout du compte, loin d’inviter les uns et les autres au dépassement du cloisonnement tribal, ces propos le confirment et renforcent chez nous, au moment où dans le monde se constituent des cercles de solidarité de plus en plus vastes et ouverts. 
II - DES PRESUPPOSES TROUBLANTS ET DESOLANTS
Pis encore, ces affirmations reposent sur trois présupposés intrigants, qui semblent aller de soi pour Mono Ndjana. D’abord, comme aucune tribu parvenue au pouvoir ne veut le partager avec les autres, chaque tribu doit nécessairement avoir son tour aux affaires. Ensuite, la gestion essentiellement tribale du pouvoir (par les Peulhs de 1958 à 1982 et par les Fangs-Bétis depuis 1982) est un précédent qui doit devenir la norme. Enfin, parce qu’ils sont viscéralement attachés à leurs tribus et ne maitrisent pas encore les rouages de la démocratie, les Camerounais devraient se contenter de la démocratie dite communautaire actuellement pratiquée. Que penser de ces présupposés ?
II-1 A chaque tribu son tour à la mangeoire ? 
D’abord, si l’appartenance tribale doit être plus déterminante dans le jeu politique que la citoyenneté nationale, pourquoi ne pas formaliser une telle formule par souci de transparence? Au Nigeria par exemple, le consensus national à la tête de la fédération est qu’un président nordiste et musulman (assisté d’un vice-président sudiste et chrétien) succède à un président sudiste et chrétien (assisté d’un vice-président nordiste et musulman), ou vice versa. Sans procéder formellement et ouvertement à des arrangements consensuels similaires, nous sommes en plein marché de dupes. Ensuite, considérer le pouvoir politique comme un gâteau à consommer par les tribus à tour de rôle, cela fait de notre pays un théâtre où chaque troupe (tribale) vient jouer un spectacle macabre qui consiste à manger, à boire et, dans la foulée, à détourner au maximum les ressources du pays le plus longtemps possible, transformant du coup les membres des autres tribus en spectateurs envieux et impatients de pouvoir manger, boire et détourner eux aussi à leur guise. Une telle conception de la politique, que Mono Ndjana ne dénonce pas mais légitime sans états d’âme, appelle quelques interrogations: 
  • Comment pouvons-nous construire une nation sans une vision élevée capable d’inspirer et de guider son organisation  présente et future? Comment peut-on vouloir l’inclusion en promouvant l’exclusion, désirer l’intégration nationale en encourageant la confrontation tribale? On dirait que l’instauration d’une nation fraternelle n’est pas notre objectif à terme, sinon pourquoi entretenir tant d’animosités ethniques qui font de notre pays une véritable poudrière?
  • En l’absence d’un tel idéal élevé à l’aune duquel leurs actions peuvent s’évaluer, nos dirigeants au pouvoir peuvent-ils réellement travailler en pensant à l’avenir? Peuvent-ils par exemple penser à former leurs successeurs potentiels? Sont-ils conscients que les individus passent tandis que les nations demeurent ? Ne sont-ils pas finalement comme des rats à qui on demanderait de planter des kolatiers ? En effet, selon un adage de chez nous, on ne peut pas s’attendre à ce que le rat (qui ne vit qu’à peine quelques mois) plante des kolatiers (qui ne produiront des fruits qu’après plusieurs décennies de très lente croissance).  
  • Pendant combien de temps restera paisible et indépendant un tel pays? L’édification d’une nation, comme une œuvre collective de longue haleine dans la concorde et la liberté, bénéficie des apports cumulés de plusieurs générations de citoyens conscients de contribuer à bâtir quelque chose qui les transcende. Avec tous ces antagonismes ethniquement cultivés, aggravés dans les grandes villes par l’application du concept d’autochtones et d’allogènes, la moindre étincelle ne pourrait-elle pas mettre le feu aux poudres à tout moment, réduisant ainsi à néant tous nos efforts passés?
Plus sérieusement, disons que le pouvoir ne devrait pas être une mangeoire. Aucun groupe ayant un agenda caché (d’inspiration tribale ou autre) ne devrait à aucun moment confisquer ou contrôler le pouvoir politique dans un pays. C’est cela qui a conduit à la tragédie génocidaire au Rwanda en 1994. Ce n’est pas parce que les Fangs-Bétis et les Peulhs ont géré le pouvoir au Cameroun comme une mangeoire que ce regrettable écart doit devenir la norme, pour utiliser une expression chère à Mono Ndjana. Il est salutaire que le pouvoir politique change de mains, mais pas pour qu’un groupe tribal autoproclamé « pays organisateur » laisse un autre groupe continuer avec la même musique. En l’absence d’un ordre de passage négocié et connu d’avance, comment éviter l’affrontement entre les tribus en attente depuis longtemps,  celles qui veulent s’accrocher au pouvoir par cupidité, et celles qui souhaitent par égoïsme y revenir après un premier passage? Comment garantir le fair-play dans ce combat ethnique ou éviter l’abus de la position ethnique dominante ? Comme on le voit, une vision ethno-centrée du pouvoir politique et de l’alternance est un archaïsme absolument clivant et paralysant qui ne peut conduire qu’à l’incertitude politique, une situation qui effraie et éloigne les investisseurs.
L’alternance au pouvoir dans un pays est positive pour des raisons plus patriotiques. 
Elle consacre l’arrivée aux affaires, non pas d’une autre ethnie, mais d’une autre équipe de femmes et d’hommes politiques porteurs d’une nouvelle vision pour leur pays, qui ont sollicité et obtenu du peuple un mandat limité dans le temps pour dérouler un programme précis. Compétents, patriotes et venant de toutes les régions du pays, ils travailleront en synergie dans l’intérêt supérieur de la nation, et non chacun pour ses proches. Par leur posture, ils rassurent les investisseurs nationaux et étrangers. Et Dieu seul sait ce qu’une telle équipe peut accomplir en un temps record si elle sait allier l’imagination créatrice à l’unité de style et d’objectif, une farouche détermination à laisser une empreinte durable à l’audace politique galvanisée par le patriotisme. 
A l’occasion de chaque alternance, le pays devrait faire son autocritique sans complaisance et imposer une feuille de route à la nouvelle équipe. Au Cameroun, ce sera l’occasion idoine de corriger les excès d’un présidentialisme trop fort qui a conduit à une ethnicisation extrême du pouvoir depuis 1958, avec tous les dégâts collatéraux que nous connaissons. Ce sera aussi le moment de voir si nous avons eu raison de faire d’un seul homme le chef du parti au pouvoir, le chef de l’Etat qui nomme à toutes les hautes fonctions civiles et militaires sans aucun mécanisme de contrôle, le président du conseil supérieur de la magistrature, le chef suprême des forces armées et de la diplomatie, bref la clef de voûte institutionnelle vers laquelle tout doit remonter, au risque de créer une inertie paralysante, etc. Voilà le genre de problèmes que l’alternance devrait résoudre dans un esprit totalement oblatif, loin des calculs vindicatifs ou limitatifs. D’ailleurs étant donné les dérapages enregistrés au cours de notre premier demi-siècle d’indépendance, le Cameroun gagnerait à s’assurer qu’aucune tribu, même pas celle du chef de l’Etat, ne soit dorénavant en mesure de contrôler tous les postes stratégiques dans notre pays. 
II-2 Existe-t-il une norme établie de dévolution du pouvoir  au Cameroun ? 
Même si nous admettions avec Mono Ndjana qu’Ahidjo et Biya ne représentaient que leurs ethnies lors de la passation du pouvoir en 1982 au Cameroun, cela veut-il dire que le pouvoir chez nous restera ethniquement géré et transmis jusqu’à la fin du monde? Il revient aux Camerounais de comprendre qu’une pratique qui fait plus de mal que de bien devrait être abandonnée, et qu’il y a de nouveaux défis à relever à l’ère de la mondialisation et de la construction  des Etats-Unis d’Afrique. 
Loin d’être une source d’antagonismes, la diversité ethnique positivement vécue est culturellement enrichissante. Elle est l’humus qui féconde notre créativité dans plusieurs domaines: du football à la littérature, des arts plastiques aux arts culinaires, de la musique au cinéma.  La promotion de nos  richesses ethnico-culturelles devrait d’ailleurs être au centre d’une politique culturelle au service de notre intégration nationale et de notre rayonnement international. Nos festivals culturels (le Ngouon, le Ngondo, le Mpo’o, etc.), le rituel des funérailles chez les Bamilékés, nos arts culinaires diversifiés, nos traditions orales portées par nos langues locales, notre riche pharmacopée traditionnelle, nos tenues traditionnelles d’apparat, etc. sont autant de valeurs culturelles positives à pérenniser. 
Par contre ce qui est navrant et choquant, c’est l’utilisation de l’appartenance tribale pour rallier les gens d’un clan à une cause qu’ils ignorent, ou pour s’accaparer de tout. Le danger aussi, c’est utiliser impunément le pouvoir d’Etat de façon discriminatoire dans la gestion des citoyens, en principe égaux en droits et en devoirs, en accordant aux uns ce qui est ostensiblement refusé aux autres, sans référence à aucun critère objectif. Cela montre bien que le droit de la force a remplacé la force du droit. Cette tendance est visible dans les actes de nomination aux hautes fonctions civiles et militaires dans nos pays. 
C’est cela qui s’appelait apartheid en Afrique du Sud avant 1994. Si le seul critère d’accès aux postes importants était la compétence, les tribus se battraient au même pied d’égalité pour avoir des candidats valables pour ces fonctions. Cela réduirait au strict minimum le recours à la discrimination positive pour des besoins de convivialité ethnique. Ce serait tant mieux pour la saine émulation dans le pays, pour l’efficacité et la performance de nos systèmes. Mais lorsque nous pratiquons un favoritisme qui fait fi de l’efficacité, infantilise et illusionne les bénéficiaires tout en scandalisant les non-bénéficiaires, nous faisons de la réalité multiethnique un usage inintelligent, contreproductif et dangereux. De telles pratiques font régresser nos pays et devraient être éradiquées par le biais d’institutions fortes qui incitent chacun à réussir par ses efforts personnels. C’est la voie de la compétitivité par laquelle sont passés les pays qui sont aujourd’hui émergents. 
II-3 La démocratie n’a-t-elle pas de modèle à notre taille ?
Au cœur de la démocratie se trouve l’égalité des citoyens partout sur le territoire national, un principe résumé par la formule « un homme, une voie » lors des élections. Sans avoir catégorisé les habitants de nos pays, comme le firent jadis les colons français pour qui les « indigènes » habitaient les colonies et les « citoyens » la métropole, il est contradictoire d’accepter la république en rejetant comme un  luxe inadapté la démocratie et l’Etat de droit qui lui sont intrinsèques. Le tribalisme vient au secours des ennemis de la démocratie, car il refuse à certains l’égalité promise à tous au sein de la république: par ce subterfuge, une tribu de quelques milliers de personnes peut tout contrôler dans un pays de plusieurs millions d’habitants. Dans ce contexte, les élections même démocratiques deviennent une farce, puisque c’est la tribu qui au bout du compte pilote le pays. Ce ne sont donc pas les Camerounais qui seraient trop attachés à leurs tribus et donc réfractaires à la démocratie véritable, mais ce sont les tribalistes qui rejettent la démocratie parce qu’elle s’accompagne nécessairement du respect de l’égalité citoyenne. 
Et de fil en aiguille, ils rejettent aussi la bonne gouvernance qui, à travers l’efficacité dans la transparence, cherche à promouvoir l’intérêt général en éliminant les dysfonctionnements politiques, les déséquilibres économiques et les crises éthiques au sein des Etats. La logique tribaliste chez nous nie à la démocratie sa prétention à l’universel, pourtant les pays comme le Ghana, le Sénégal, l’Inde, l’Afrique du Sud et bien d’autres pays en développement ont mis sur pied des systèmes démocratiques qui marchent bien.
Le pouvoir devrait aussi changer de mains, par le vote populaire à date constitutionnellement échue, non pas parce que les tribus sevrées du pouvoir menacent de faire intervenir les mercenaires étrangers, mais pour permettre au pays de bénéficier d’un apport de sang neuf et d’air frais. Les Camerounais sont capables de se choisir de bons programmes politiques sans tenir compte de l’origine tribal de leurs concepteurs, et de comprendre qu’une tribu ne devrait pas être stigmatisée dans un pays à cause des exactions de quelques individus appartenant à cette tribu. 
D’ailleurs, il n’y a en réalité que deux tribus dans nos pays: la tribu minoritaire des possédants arrogants, repus et dodus (on la retrouve dans toutes les régions du pays) et la tribu majoritaire des débrouillards démunis, chétifs et rétifs (encore plus présents partout que les premiers). Le régime qui remplacera l’actuel, sans aucun esprit de revanche contre les Peulhs et les Fangs-Bétis, devra s’imposer la mission historique de corriger les dérives qui ont plombé notre pays pendant des décennies : la corruption, le tribalisme exacerbé, l’inertie systémique, l’équilibre régional pour masquer le nivellement par le bas, le favoritisme qui ridiculise la compétence, la création des élites factices par le lien tribal et non par le travail et le mérite, etc. Et chaque  ethnie, communauté ou région du pays y trouvera son compte. 
En nous focalisant sur le contrôle ethnique du pouvoir politique, nous nous éloignons de l’essentiel tout en faisant de la politique notre plus grand diviseur national. Nous avons mieux à faire que de compter éternellement nos tribus, pendant qu’ailleurs dans le monde on s’entend sur l‘essentiel, travaille efficacement et avance rapidement. Après tout, un pays ne se développe qu’en cultivant les valeurs cardinales telles que la mystique du travail bien fait, la qualité humaine intrinsèque des dirigeants, la valorisation des compétences, un management tourné vers les résultats, le sens de l’éthique, etc. 
Inversement, ce qui condamne une région ou un pays à la misère, ce sont les défaillances systémiques ou structurelles telles que la mauvaise gouvernance, la corruption et la prévarication, les conflits ethniques latents, la mauvaise gestion de l’environnement, le manque de transparence, la médiocratie, etc. Il est choquant de constater qu’au lieu d’encourager nos pays à s’arrimer à la modernité pour plus sûrement construire notre émergence envisagée pour 2035, certains intellectuels déploient des tonnes d’ingéniosité à tropicaliser la démocratie en la vidant de ce qui fait son essence et sa force. Cela nous fait penser aux intellectuels retors qui en leur temps ont légitimé l’esclavage, la traite négrière, la colonisation et même le néocolonialisme. 
III – L’URGENCE DE SORTIR DU CARCAN TRIBAL  
Seul un insensé fait la même chose pendant longtemps sans jamais se demander s’il est en train d’avancer ou de reculer. En plus de 50 ans d’indépendance, avons-nous réussi à intégrer et à transcender nos clivages tribaux ? Pourquoi la confrontation tribale continue-t-elle à rendre impossible la nécessaire fraternisation parmi les fils d’un même pays pourtant condamnés à progresser ou à périr ensemble ? Les Camerounais devraient développer un sens de la nation plus fort que l’appartenance à une tribu. Certes en chacun de nous cohabitent deux entités différentes tournées vers deux allégeances distinctes: d’un côté le citoyen du pays, capable de s’élever au niveau des préoccupations nationales, et de l’autre la personne privée membre d’une famille ou d’une ethnie particulière. Mais ces deux allégeances sont parfaitement gérables et ne s’excluent pas mutuellement : le citoyen peut et devrait être capable de taire ses intérêts privés et tribaux dès lors qu’on parle de la gestion politique du pays, une science moderne qui a ses règles bien testées de bon fonctionnement. Personne  ne nous demande de renier ou de détester nos tribus : aimons-les sans nous y empêtrer, en sachant toutefois que nous ouvrir aux autres nous apporte de l’oxygène, tandis que nous replier sur nous-mêmes est absolument sclérogène. 
En effet, la balkanisation est toujours débilitante pour tout le monde. Ici nous vient à la mémoire l’échec répétitif des grèves estudiantines à l’unique université camerounaise de Yaoundé dans les premières décennies de l’indépendance. Pourquoi ? Le régime politique de l’époque savait jouer sur les clivages tribaux pour parvenir à ses fins. Dès que commençait une grève au campus, chaque ministre rencontrait nuitamment en sa résidence les étudiants de son ethnie et leur disait de ne pas suivre les étudiants venant des autres régions du pays, car sous le couvert de la grève, ces derniers voulaient mettre le pays à feu et à sang; puis le ministre corrompait quelques leaders estudiantins bien choisis, qui à leur tour devaient amener leurs camarades de la même tribu à se désolidariser du mouvement, et le tour était joué. Cette méthode réussissait toujours: les étudiants ainsi ethniquement divisés commençaient à se suspecter les uns les autres, puis le mouvement de grève implosait par fissuration. Cela confirme une vérité aussi vieille que le monde : tout comme l’union fait la force, la fragmentation des atouts  fait la faiblesse.
Certes chacun de nous est né quelque part, et dans la république personne ne devrait avoir à s’en excuser. Mais nous devrions apprendre à regarder au-delà de nos petits villages qui ne nous suffisent plus aujourd’hui. Pour les défis collectifs, les solutions les plus efficaces sont aussi collectives. L’émergence prévue en 2035 ne se fera pas avec des ethnies s’entre-déchirant comme à l’époque précoloniale, mais avec des pays africains partenaires et solidaires, habités par des citoyens éclairés ayant en partage non pas des liens de sang, mais une même vision de l’avenir à construire autour des valeurs partagées qui font recette en ce 21ème siècle. 
CONCLUSION
Si à l’indépendance nos pays africains ont choisi d’être des républiques, ils devraient logiquement en accepter les principes d’organisation. Parmi ceux-ci, il y a l’égalité absolue des citoyens en droits et en devoirs. Cela n’est possible que si les tribus s’abstiennent de fausser le jeu républicain avec des actions et des revendications nombrilistes qui visent plus à éliminer un groupe ethnique rival qu’à faire avancer le pays en tant que maison commune. Nous avons le devoir de faire en sorte que la tribu ne s’oppose pas à la nation. Nous n’arriverons jamais à l’excellence ou à l’émergence par la promotion irrationnelle de la médiocrité que nous impose le tribalisme. Tout comme le racisme longtemps pratiqué en Afrique du Sud et aux Etats-Unis, le tribalisme devrait être vigoureusement combattu chez nous parce qu’il constitue la négation même du principe démocratique de l’égalité de la citoyenneté dans l’Etat de droit, quelles que soient les arguties de certains intellectuels pour banaliser, justifier ou faire accepter cet état de choses.
*Sa’ah François Guimatsia est écrivain, auteur de trois livres et co-auteur d’un quatrième, tous publiés chez l’Harmattan, Paris. Il s’agit de : Meghegha’a Temi ou le tourbillon sans fin (roman) en juin 2009 ; La décolonisation de l’Afrique ex-française, enjeux pour l’Afrique et la France d’aujourd’hui (ouvrage collectif coordonné par Alexandre Gerbi) publié en janvier 2010 ; Cinquante ans de bilinguisme au Cameroun. Quelles perspectives en Afrique ? Préface d’Ebénézer Njoh Mouelle (essai) en juin 2010 ; Des graines et des chaînes (nouvelles) en octobre 2011. Il est par ailleurs le chef du Département d’Anglais au Centre Linguistique de Douala. 
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