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FAUT-IL METTRE EN PLACE LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ? par Par Louis-Marie KAKDEU

Au Cameroun, les préparatifs pour la mise sur pied du «Conseil des sages » avancent sans tirer de leçons de l’expérience négative que d’autres pays, comme la Côte d’Ivoire, ont eue de cette institution au cours de la  crise postélectorale de 2010-2011. Une partie de l’opinion se demande si l’entêtement à mettre en place cet organe qui est supposé être, d’après la Constitution, « l’organe régulateur des institutions », n’est pas la preuve des intentions inavouées du camp présidentiel à détenir en dernier ressort les cartes de l’alternance politique. Prévu dans la Constitution sans être mis en œuvre depuis 1996, le chef de l’Etat, Paul Biya, en a fait l’annonce le 20 février 2014 et le parlement vient d’initier une proposition de loi portant règlement intérieur du Congrès le prévoyant.

La question est de savoir si dans un système néo-présidentiel et/ou hyper présidentiel (concentration des pouvoirs entre les mains du Président de la République) comme celui du Cameroun qui perdure depuis 32 ans, le Conseil constitutionnel ne viendra pas annuler les efforts de séparation des pouvoirs en cours. En marge du débat, comme en Côte d’Ivoire actuellement, sur le rôle et le fonctionnement du Conseil constitutionnel en démocratie, il est opportun de se demander si sa mise en place au Cameroun, dans un contexte « d’éternisation » au pouvoir, n’engendrera pas plutôt des effets pervers.
Tout d’abord, il faudrait observer que le Conseil constitutionnel est perçu comme une volonté manifeste des autorités néo-présidentielles de contourner la souveraineté nationale du peuple prévue par la Constitution camerounaise : « Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice » selon l’article 2. La mise en œuvre d’un « Conseil des sages » chargé de réguler le « fonctionnement des institutions [pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire et collectivités territoriales] » au sens de l’article 46 de la même Constitution peut être paradoxale si elle ne tient pas son pouvoir du peuple par voie d'élections au suffrage universel direct et indirect comme exigé à l’article 2, alinéa 2. Cela s’ajoute au problème réel qui est le risque d’instrumentalisation de ce conseil et l’absence de contre-pouvoirs et de voies de recours pour prévenir les abus enregistrés au détriment de la souveraineté du peuple.
Aussi, l’on peut constater que l’attribution de la responsabilité de la proclamation définitive des résultats électoraux au Conseil constitutionnel, nommé par le camp du Président sortant, est de nature à contourner le retrait de l’organisation et de la proclamation des résultats au ministère de l’administration territoriale tout aussi nommé par le même Président sortant au profit d’une Commission électorale indépendante pouvant échapper au contrôle de ce Président sortant. Par exemple, en Côte d’Ivoire, la perte du contrôle de la Commission électorale indépendante par le Président sortant, Laurent Gbagbo, à l’issue des accords très controversés de Linas-Marcoussis en France, a été compensée par son contrôle du Conseil constitutionnel qui, du point de vue du droit ivoirien, avait le pouvoir de décider en dernier ressort. Le rôle trouble du Conseil constitutionnel qui a invalidé puis validé l’élection du candidat Alassane Ouattara a fait de cette institution un simple organe politique au service du pouvoir en place au lieu d’être un organe idéal de régulation qui se voulait au-dessus de toutes les institutions.
Par ailleurs, dans la pratique, le Conseil constitutionnel encore appelé « Conseil des sages » est une énième institution qui risque de permettre au Président de la République de recaser ses anciens compagnons en ce sens qu’on y retrouve des anciens militants engagés des partis politiques. Par exemple, en Côte d’Ivoire, on y retrouvait un membre fondateur du parti du Président Laurent Gbagbo, le FPI. En 2011, dès sa prise effective du pouvoir, le Président Ouattara a mis un terme au mandat des membres du Conseil constitutionnel qui courait encore pour nommer ses proches dont les anciens dirigeants politiques membres de sa majorité et un membre fondateur de son parti, le RDR. Cela laisse entrevoir que ce Conseil constitutionnel répond à un agenda politique et remplit les conditions pour produire des effets pervers.
Enfin, au Cameroun, nous constatons que le Conseil constitutionnel viendra en retard lorsque le débat sur la constitutionnalité des principaux traités, accords internationaux  et lois sera clos. Par exemple, les députés de l’opposition ont manqué des voies de recours sur l’éligibilité de Paul Biya en 2011 suite au changement de la Constitution et à la levée du verrou sur la limitation du mandat présidentiel. Actuellement, sauf nouvelle modification de la Constitution, Paul Biya pourra rester au pouvoir jusqu’à sa mort. Aussi, les mesures de recours sont recherchées dans l’actualité pour contrer l’autorisation du Président de la République à ratifier les accords APE décriés par  toute la société civile et l’opposition. Il en était de même pour les accords de défense entre le Cameroun et la France. Comme en Côte d’Ivoire, le camerounais craint, sans mesure de recours, que l’ingérence internationale puisse s’organiser en violation de la souveraineté nationale.
En conclusion, nous constatons que la mise en place du Conseil constitutionnel dans le cadre d'une démocratie dysfonctionnelle, comme celle du Cameroun, ne pourra que produire des effets pervers et exacerber les défaillances de cette « démocratie ». Le Conseil constitutionnel est un organe dont les compétences sont particulières, se situant à la frontière du juridique et du politique. Le risque de l’instrumentalisation politique du conseil est réel. D’où la nécessité d’une réforme institutionnelle structurelle mettant en place des garde-fous et des mécanismes de contrepouvoir et de prévention des abus pour garantir le bon fonctionnement de ce genre d’institutions.
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