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Perversion du régime Biya: Quand Mongo Beti avait prévenu le peuple camerounais par Jean François CHANNON

C’est certainement l’évènement intellectuel le plus intéressant en ce début de première semaine du mois de juillet 2014. Un évènement en trois dimensions, organisé par la Société des amis de Mongo Beti (Sambe), et célébré au cours d’une table ronde qui s’est tenue lundi 1er juillet 2014 à la Librairie des Peuples Noirs située au quartier Tsinga, ici à Yaoundé. Il s’est donc agi respectivement du 82è anniversaire de la naissance d’Alexandre Biyidi Awala, dit Mongo Beti, et des 20 ans de la création de la LIbrairie des Peuples Noirs, et certainement surtout, de la réédition du célèbre ouvrage intitulé « Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobè». Autour de la table, modérée par le journaliste Valentin Siméon Zinga, des hommes aux profils intellectuels saisissants tels Stéphane Akoa, chercheur à la Fondation Paul Ango Ela, André Njifack, enseignant de Littérature africaine à l’Université d’Oregon aux Usa, Eric-Mathias Owona Nguini, enseignant de science politique à l’Université de Yaoundé II, et Fabien Eboussi Boulaga, intellectuel de renom et philosophe de haut vol pour sa rigueur argumentaire. 


Pour planter le décor de ces échanges, la parole est revenue à la veuve Biyidi, Odile Tobner de son véritable nom. « Merci à tous d’être venus entre autres pour le 20è anniversaire de la création de la Librairie des Peuples Noirs, et de la réédition de l’ouvrage «Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobè». Il s’agit d’un ouvrage qu’on ne trouvait pas du tout au Cameroun. Mongo Beti, son auteur a été le tout premier, et tout au début du règne de l’actuel président du Cameroun à attirer l’attention des Camerounais sur la perversion et la corruption du régime Biya. Il s’agit d’un message actuel, d’où l’enjeu de la réédition de cet ouvrage». 


«Deuxième vie de Mongo Beti» 

En fait d’ouvrage, il s’agit comme l’a précisé le modérateur de la table ronde de « la deuxième vie de Mongo Beti », à travers notamment son combat contre la domination « françafricaine », la violence d’Etat, la bureaucratie néocoloniale qui gouverne le Cameroun depuis plus de 50 ans maintenant. Stéphane Akoa en vient alors à décrypter les impressions que la lecture de l’ouvrage procure. Pour le chercheur, on retient que loin d’une lettre au sens classique du terme, il s’agit d’un feuilleton qui raconte les convictions de liberté d’un homme, mais aussi ses frustrations des conditions de retour au pays natal. Mongo Beti y relève évidemment comment il a pu déjouer les pièges du régime Biya, héritier du régime sanguinaire d’Ahmadou Ahidjo, pour le faire absolument revenir au Cameroun et le contraindre à une mutation de certitude politique. « En réalité quand on lit cet ouvrage on se pose la question de savoir : Mongo Beti est-il un déçu de Biya ? La réponse est, en tout cas, évidente », a conclu le chercheur. 

André Njifack qui prend la parole après avoir intitulé son propos comme tel : «De la «Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort de Um Nyobè» à la LIbrairie des Peuples Noirs»? L’homme de lettres qui a maintes fois rassemblé en ouvrages les écrits de Mongo Beti notamment Le Rebelle, estime que l’écriture de Mongo Beti se distingue par sa fermeté à dénoncer le système dominant. Cet homme, nous dit André Njifack, formé par Alioune Diop, le vénérable fondateur de la maison d’édition Présence africaine, est allé plus loin que ses ascendants intellectuels que sont Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, et Léon Gontran Damas, dans la stigmatisation du colonialisme français, et autres instruments et réseaux de domination des Africains tels que l’aujoulatisme, la françafrique, le foccartisme, et autres. «Mongo Beti a toujours relevé que la littérature africaine ne peut véritablement s’épanouir que par la liberté. C’est ainsi qu’il a voulu donner à «Lettre ouverte… », le même retentissement que son célèbre ouvrage « Main basse sur le Cameroun». Malheureusement à cause de l’interdiction, beaucoup de Camerounais n’ont pas lu cet ouvrage». 


Acte de guérilla politique épistolaire 

Les intellectuels du Renouveau tels que Joseph Owona, Jacques Fame Ndongo, en ont pris connaissance. Et comme tous les thuriféraires du régime, ils vont cribler Mongo Beti d’injures des plus honteuses, à défaut de pouvoir formuler des réponses convaincantes face à la pertinence du contenu d’ouvrage aux arguments intellectuels irréfutables. Conséquence logique, pour Eric Mathias Owona Nguini, «Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobè» «est un texte important sur la littérature et sur l’histoire des idées politiques en Afrique noire francophone. Il s’agit d’un acte de guérilla politique épistolaire. Mongo Beti réagit contre les actes de domination de politique en Afrique dont le pôle de fécondation est la France. C’est aussi un acte de résistance qui a une profondeur. Mongo Beti y exprime son allégeance à Um Nyobè, et réalise une écriture de soi vers les autres, en intellectuel engagé qui a subi des coups des agents du régime qu’il pourfend». Et de poursuivre : « A travers cette écriture, Mongo Beti s’adresse effectivement aux Camerounais afin qu’ils s’élèvent contre cette domination française qui s’exprime à travers la Françafrique. Il met ainsi en procès le Renouveau de Paul Biya qui est selon lui est une émanation de la politique françafricaine». 

Jean François CHANNON 



Focal: La leçon du Pr Eboussi Boulaga 

Pour conclure les interventions, un homme : Fabien Eboussi Boulaga. Quand il parle, c’est le silence dans la salle. Le célèbre philosophe n’a pas voulu revenir sur ce que ses prédécesseurs ont dit. Il a plutôt voulu scruter l’avenir du Cameroun à travers cette commémoration de la naissance de Mongo Beti, et de la réédition de «Lettre ouverte aux camerounais…» Aussi a-t-il parlé de ces Camerounais qui sont redevables de leur «sécurité alimentaire» au régime en place. En écoutant le Professeur Eboussi argumenter, on se rend bien compte selon le témoignage de Mongo Beti dans son ouvrage, on peut bien résister au chantage alimentaire qu’impose le système, tout faible que l’on peut être. « En réalité, le peuple camerounais n’existe guère que lorsqu’il y a un match de football. Le peuple en lui-même n’existe pas. Parce qu’il est dispersé. Et il manque de conscience historique. Nous procédons de l’ajustement structurel en ajustement structurel. La vérité est que nous restons colonisés. Et cette colonisation se fait par des marchands en ce sens qu’elle devient trop coûteuse. On peut compter sur le peuple camerounais pour établir une rupture. Ce qui fait que ce régime peut durer éternellement». 

Poursuivant son propos, le Pr Eboussi Boulaga est encore plus véhément : « Le fait de nous polariser sur les individu comme Paul Biya est affaiblissant. Et nous avons oublié que nous avons affaire à un système. Il s’agit d’un système qui est arrivé à maturité Il y a de cela une cinquantaine d’années. Et Paul Biya est un pseudonyme. Nous avons affaire à une espèce de tyrannie anonyme. Nous devons nous recomposer. Et cesser de donner l’importance à un individu qui est d’une banalité évidente. C’est la défaillance que nous portons en nous, et qu’Anna Arendt appelle « une absence de pensée ». Alors Mongo Beti nous manque-t-il ? « Oui et non» répond le Pr Eboussi Boulaga. « Oui parce qu’il n’est plus là. Il y en a qui sont là et qui ne manque à personne. Non, maintenant parce que nous ne sommes pas éternels. Au point où nous nous laissons rattraper par la possibilité d’être attaqués par Boko Haram à Yaoundé. Il faut cependant perdre nos illusions que tout le monde est favorable au changement. Il y en a que le système politique dominant actuel arrange». 

Jean François CHANNON
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