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RÉGULER LA VIOLENCE DANS L’EQUATION POLITIQUE CAMEROUNAISE ( ACTE I) par Thierry AMOUGOU

Le danger au Cameroun n’est pas la guerre civile (bellum civile) proprement dite mais le déni de réalité qui rend le pays myope par rapport à la sédimentation des conflits, des souffrances sociales, de joutes verbales et de désespoirs, autant de choses qui ouvrent la porte à des conflits opportunistes pouvant le plonger dans une anomie totale canalisatrice et « catalysatrice » d’une violence généralisée.
La psychologie profonde d’une société se comprend par l’analyse de ses interdits majeurs dixit Lacan. Au Cameroun, le grand interdit, produit d’un constructivisme politique cinquantenaire, est la guerre civile. Celle-ci, pour reprendre Pascal, est « le plus grand des maux » dont ne veut souffrir le pays. Le Cameroun aurait-il subitement peur de son ombre pour que l’espace public soit à ce point occupé par un discours qui semble vouloir exorciser la violence intra camerounaise ? La question a le mérite d’être posée tant la chasse aux opposants à l’extérieur du pays est d’actualité au même titre que les joutes verbales teintées de raidissement identitaire entre élites au pouvoir frileuses devant les attaques du groupe islamiste Boko Haram. La déclaration de guerre de Paul Biya à Boko Haram sous forme d’une ventriloquie française, les nombreux soldats camerounais tombés au combat, la monstruosité du conflit centrafricain et sa montée par effluves successives en terre camerounaise, sont d’autres paramètres qui redessinent en filigrane le spectre de la violence au sein de l’équation politique camerounaise. Les inconnues se multiplient et complexifient la solution d’une seule et même équation politique dont la déclinaison peut se faire en quelques questions névralgiques : la transition du Renouveau National à autre chose sera-t-elle violente ou pas ? Si elle ne l’est pas va-t-elle mettre en place un Cameroun en rupture avec les anciennes carences après plus de trente ans d’un Renouveau National sans partage ?

Ces deux questions configurent une réponse sous forme d’une urgence nationale qui semble avoir au moins une triple dimension : l’urgence de réinstauration du principe de réalité dans la société camerounaise, l’urgence de l’innovation politique face à un pouvoir qui se positionne en victime face à Boko Haram au lieu d’innover, et l’urgence analytique du rôle et de la place de la violence dans la trajectoire politique camerounaise.
* L’urgence d’une réinstauration du principe de réalité dans la société camerounaise
Le danger au Cameroun n’est pas la guerre civile (bellum civile) proprement dite mais le déni de réalité qui rend le pays myope par rapport à la sédimentation des conflits, des souffrances sociales, de joutes verbales et de désespoirs, autant de choses qui ouvrent la porte à des conflits opportunistes pouvant le plonger dans une anomie totale canalisatrice et « catalysatrice » d’une violence généralisée. Comprendre la notion de conflit opportuniste que nous développons dans nos travaux exige un détour vers le VIH qui détruit le système immunitaire d’un homme et ouvre la voie à la moindre petite maladie qualifiée d’opportuniste parce qu’elle vous terrasse en prospérant sur le terrain favorable d’un corps au système immunitaire complètement désarmé. Un tel rôle est joué au Cameroun par le marketing politique du pouvoir consistant à présenter la paix comme le bilan positif de trente ans de Renouveau National. Cela met sous le tapis toute la violence institutionnelle, structurelle, physique et symbolique du régime par la construction publique d’une forme de paix complètement vidée de sa substance. Il s’installe donc une illusion, une doxa populaire de pax Romana jusqu’au jour où les attaques de Boko Haram et le conflit centrafricain se révèlent
opportunistes pour le Cameroun en mettant en lumière la présence d’une grande hostilité intérieure entre nos élites au pouvoir. C’est une preuve que malgré l’absence d’une guerre civile dans sa dimension paroxystique, la gestion de la Cité est déjà une guerre aux côtés des difficultés de la vie quotidienne qu’affronte courageusement le peuple.
Ainsi, alors que le Cameroun est censé être dans une paix trentenaire artificialisée par un déni de réalité, on se rend compte que la guerre civile est effectivement là car celle-ci se conçoit aussi non seulement comme un conflit asymétrique entre une armée d’Etat et une armée secrète type Boko Haram, mais aussi comme une guerre qui va d’un groupe non étatique type Boko Haram vers la mobilisation d’une armée officielle.
En suivant Platon, Machiavel et Bacon, l’état normal du corps politique camerounais se comprend à partir de ses états pathologiques que mettent en lumière le conflit centrafricain et les attaques de Boko Haram. Choses qui rappellent à la gouvernance camerounaise ses carences historiques dans le calibrage d’une politique sécuritaire transfrontalière. L’existence de Boko Haram au Nigeria, du conflit meurtrier en Centrafrique et leurs externalités négatives au Cameroun donnent à ce pays l’occasion idoine de poser la question en son sein d’une théorie et d’une pratique politiques de la Cité juste dans une pluralité humaine où les inégalités se creusent et peuvent déboucher en combats (polémos) entre citoyens d’un même pays, et servir de terreau fertile au recrutement de la secte terroriste.
En outre, ceux qui, alors que notre pays a déjà connu une période de guerre dans sa trajectoire politique, pensaient le berceau de nos ancêtres doté d’une immunité naturelle, se doivent de reconsidérer leur positionnement. Ils doivent s’apercevoir que le Président Biya ne voit ni juste ni loin lorsqu’il dit que « le Cameroun c’est le Cameroun ». Cette formule n’est pas heureuse dans la régulation de la violence dans cette région car, Afrique en miniature, le Cameroun c’est à la fois moins que le Cameroun et plus que le Cameroun. Il en serait autrement que Boko Haram serait incapable d’inquiéter notre pays à partir d’une seule de ses parties (le Cameroun c’est moins que le Cameroun) et que le conflit centrafricain, a priori extra camerounais, n’aurait des conséquences fâcheuses au sein du pays (le Cameroun, Afrique en miniature, c’est plus que le Cameroun).
Qu’est-ce qu’une gouvernance juste dans un contexte de pluralisme ethnique, religieux et de conditions sociales ? Ce sont les réponses à cette question qui inspirent à un Etat l’invention d’un mode efficace de régulation de la violence dont les transitions politiques sont très souvent incubatrices. Tant que le déni de réalité persiste, ce qu’il est convenu d’appeler « la paix du Renouveau National » sera le meilleur viatique au déploiement des conflits opportunistes au Cameroun.
* L’urgence de l’innovation politique
Elle revient à mobiliser le politique et les forces armées autour de la défense de l’intégrité du pays et de l’intangibilité de ses frontières par un discours qui exalte l’unité nationale, renforce la citoyenneté camerounaise sans oublier de pointer du doigt les carences trentenaires du Renouveau National dans la gestion des frontières entre le Cameroun et la Centrafrique puis entre le Cameroun et le Nigeria. La classe politique camerounaise ne travaille cependant pas dans ce sens. Elle donne le spectacle d’un ensemble de chefs de clans dont chacun se préoccupe moins de la sécurité du pays tout entier que des piliers ethniques qui la maintiennent au sein du régime en place.
En effet, ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler l’Affaire Guerandi, les tirs croisés entre le président de l’Assemblé Nationale et le ministre délégué à la Présidence de la république chargé du contrôle supérieur de l’Etat, puis les incarcérations de Marafa et d’Iya Mohammed pour détournement de fonds, remettent l’axe nord-sud au-devant d’une scène politique camerounaise
où, si les voies autorisées se taisent, les coulisses du pays bruissent des tractations relatives à la succession de Paul Biya à sa tête du Cameroun.
Par conséquent, ce n’est pas un hasard que l’axe nord/sud, géométrisation spatiale et ethnique du pouvoir politique au Cameroun depuis 1960, refasse surface dans un contexte où le régime en place a peur de lui-même, de ce qu’il est et de ce qui le caractérise, à savoir un tribalisme conglomérale à la tête de l’Etat-tontine. Ce dernier est en fait une grande tontine nationale dont les membres sont des têtes de pont des ethnies et des zones géographiques du pays jugées performantes dans l’extraction et le contrôle de la rente économique nationale dont la redistribution permet de réguler la violence. L’Etat-tontine camerounais tient la route tant que ses membres sont en équilibre instable dans l’extraction, la mobilisation et la redistribution de la rente économique via des postes de pouvoir au sein de l’Etat.
C’est la satisfaction des intérêts interethniques et intraethniques qui installe une entente cordiale au sein de l’axe nord/sud et de ses ethnies et territoires satellites depuis plus de cinquante ans. Les attaques de Boko Haram viennent troubler cette paix des braves en jetant le doute et le soupçon entre les différents membres de la grande tontine nationale. Il n’est donc pas surprenant que le président de l’Assemblée Nationale réponde aux ministres camerounais de la jeunesse et du contrôle supérieur de l’Etat, non au nom de l’Etat camerounais dont il faut assurer la sécurité, mais au nom du Grand-Nord, base tribale de son positionnement performant dans la grande tontine nationale où les ministres en question mettent aussi sur la balance le poids politique de la Lékié.
Non seulement le tribalisme est le lubrifiant des arcanes politiques qui donnent accès au pouvoir et à l’émancipation économique qu’il autorise, mais il est aussi le paravent ou l’alibi politique majeur au fameux équilibre régional à la camerounaise. C’est peut-être cette façon de se partager le pouvoir et d’en jouir à la camerounaise que Patrice Nganang appelle l’Etat-tribal. Mais dans la mesure où le tribalisme et la tribu sont des paramètres consubstantiels à l’Etat africain du 21ème siècle, ce dernier ne nous semble que la peau d’une architecture interne de pouvoir dont la logique de fond est celle de la tontine nationale dont la variante tribale est une des formes possibles et non la seule. En suivant Simon Achidi Achu, ancien premier ministre camerounais et produit authentique du régime camerounais en place, l’Etat-tontine prend sens car « politic na Njangui » est une célèbre phrase sortie de sa bouche alors qu’il était toujours en poste.
Cela fait de l’Etat-tribal dont parle Nganang une forme parmi d’autres de l’Etat-tontine camerounais au sein duquel « le pays organisateur », contrairement à ce que pensait le feu Charles Ateba Eyene, n’est pas mono ethnique mais pluriethnique. Raison pour laquelle dès que la confiance se fissure entre les membres de la grande tontine nationale, la violence verbale réapparait. Les membres de la grande tontine nationale montrent chacun comment leurs muscles sont grands et puissants, question de mettre en exergue la force déstabilisatrice ou stabilisatrice que représente son ethnie pour le régime en place.
Il en résulte que l’élite au pouvoir s’inquiète non pour le Cameroun et les Camerounais, mais pour elle-même. Elle défend ses positions comme d’habitude en s’adossant sur les ethnies via des discours primordialistes qui aiguisent la lame tribale et la brandissent chacun à son interlocuteur afin qu’il voit combien elle est tranchante et peut tout couper sur son passage.
La cacophonie, l’égoïsme et l’amateurisme qui caractérise ces échanges entre ministres camerounais et le président de l’Assemblé Nationale sont à la hauteur de l’Etat-tontine mais certainement pas à celle de la sécurité supérieure du pays. Ces responsables politiques et leurs groupes sont de piètres généraux car ils installent une fissure au sein du pays au moment où celui-ci doit vibrer à l’unisson contre son agression par un groupe terroriste. Leur comportement nombriliste fait des citoyens camerounais des otages d’un jeu politique malsain entre élites dites de la Lékié et celles dites du Grand-Nord en reléguant le reste des Camerounais au rang de moutons de panurge qui doivent intégrer l’enclos politique circonscrit par l’axe nord/sud.
En pareilles circonstances et dans un pays normal, le Président la République prend la parole pour remettre les points sur les i et cadrer tout le monde vers la mobilisation totale contre l’ennemi. Au Cameroun, Paul Biya qui tire profit d’un Etat-tontine qu’il connaît assez bien, ne donne d’explications ni sur l’affaire Guerandi qui porte pourtant un coup à la réputation du pays, ni des instructions de recadrage de ses ministres et du président de l’Assemblée nationale. Le pays est donc en guerre contre Boko Haram sans que sa population soit soudée sur le plan interne car l’élite se dispute le pouvoir par base ethniques interposées. Le silence coupable de Paul Biya n’est d’ailleurs pas surprenant car les coupeurs de routes ont violé, dépouillé de leurs biens et assassinés des milliers de Camerounais à la frontière Cameroun/Centrafrique et Cameroun/Nigeria sans que le Renouveau National ne prenne des mesures à la dimension du mal et de la violence infligés aux populations d’années en années. Il faudra attendre que la violence des brigands transfrontaliers s’abatte sur les ressortissants occidentaux, l’élite camerounaise au pouvoir et ébranle la paix artificielle dont se prévaut le Renouveau National, pour que l’insécurité de nos frontières implique une déclaration de guerre à Boko Haram au sommet de Paris sur la sécurité.
L’urgence de l’innovation politique veut donc que des modes de régulation de nos frontières soient inventés et à expérimentés en tenant compte de nos incuries du passé. Parmi ces innovations à entreprendre une fois la situation stabilisée, on peut signaler :
* le développement économique de ces zones frontalières longtemps abandonnées par le Renouveau National aux brigands transfrontaliers. Ce serait une façon d’y réinstaller la République en garantissant ainsi la sécurité humaine au sens large ;
* Assurer un équipement conséquent et adapté à la lutte antiterroriste pour les troupes camerounaises qui assurent l’intangibilité de ces frontières : ce n’est pas la garde présidentielle qui doit être la section la mieux équipée des forces armées camerounaises mais les unités qui protègent le territoire et les populations car si le territoire et les populations sont en sécurité alors la Présidence de la République l’est aussi ;
* l’instauration d’une coopération sécuritaire entre le Cameroun et la Centrafrique et le Nigeria par la constitution de brigades/patrouilles mixtes ou binationales de part et d’autres des frontières ;
* La formation continue des populations riveraines des frontières aux techniques de défense, de diplomatie transfrontalière et d’autodéfense ;
* Sanctionner l’élite politique auteure d’éléments de langage qui visent à diviser le peuple camerounais et à le transformer en factions rivales pour les intérêts égoïstes des politiciens véreux sans esprit d’Etat et encore moins républicain.
* Instaurer le service militaire pour tous les Camerounais dès l’âge de 20 ans afin d’avoir une réserve à mobiliser à tout moment en cas de besoin : qui veut la paix prépare la guerre etc.
Au lieu de se livrer à une concurrence des forces de frappe ethniques pour préserver ses intérêts et acquis au sein de l’Etat-tontine, l’élite camerounaise au pouvoir devrait penser à ce type de politiques qui, entre autres idées, visent l’offre de la sécurité aux populations comme un bien public inaliénable.L’Acte II et l’Acte III vont suivre.
Thierry AMOUGOU, Fondateur et animateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques. Cercle_crespol@yahoo.be
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