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Parfait N. Siki nous explique pourquoi il faut negocier avec Boko Haram

La classe politique est muette. Elle n’ose pas de propositions sur l’attitude que le Cameroun doit adopter pour gérer le cas Boko Haram, qui impose à notre pays la guerre. Dans le cadre de cet article, plusieurs d’entre eux ont été sollicités, aucun n’avait répondu au moment du bouclage de cette édition. La question paraît en effet iconoclaste, gênante. La voici : faut-il, au regard du jeu trouble du Nigeria et du Tchad, négocier avec la secte islamiste Boko Haram pour en finir avec la sale guerre de l’Extrême-Nord ? De fait, le Cameroun négocie déjà avec Aboubacar Shekawu, au moins pour obtenir la libération des otages. La question ici est de savoir si un cadre mieux structuré de dialogue peut s’ouvrir pour identifier les revendications de Boko Haram vis-à-vis du Cameroun et de ses populations qu’il massacre, et examiner ensemble les moyens de leur trouver une réponse qui arrange les deux parties. Depuis l’annonce par le gouvernement et l’armée nigérians de la signature d’un cessez-le-feu avec Boko Haram, avec pour témoin privilégié et intéressé le Tchad, le Cameroun doit interroger la sincérité de ces deux pays à coaliser avec lui pour « éradiquer » (dixit Paul Biya) cette secte islamiste. Cet accord n’a, à ce jour, pas été confirmé par Aboubacar Shekawu et la libération annoncée des lycéennes de Shibok n’a pas eu lieu. Pis : 60 autres femmes nigérianes ont été enlevées. Rien n’est donc fait.


Toute cette agitation a eu lieu au moment même où les pays touchés par le phénomène Boko Haram étaient en train de s’accorder sur la meilleure manière de mettre leurs moyens en commun pour une lutte coordonnée. Ne tenant compte que de ses intérêts nationaux et nimbant sa démarche de considérations de politique intérieure, le Nigeria, accompagné du Tchad, a fait un bébé dans le dos du Cameroun. La preuve : depuis cet « accord », Boko Haram pilonne quotidiennement les positions du Cameroun à partir de Gambarou, ville frontalière nigériane, avec  une intensité sans commune mesure avec ses attaques d’avant, comme a pu s’en rendre compte le chef d’Etat-major des armées, René Claude Meka, le 23 octobre. Son hélicoptère a redécollé précipitamment sous un feu nourri des roquettes tirées par Boko Haram, alors qu’il était en visite sur la première ligne de front de Fotokol. Même si l’opinion publique n’en est pas toujours informée, il ne se passe plus un seul jour sans que les Forces de défense et de sécurité camerounaises ne soient sollicitées, soit pour contrer les membres de Boko Haram, soit pour riposter. La guérilla s’est transformée en guerre permanente. Les roquettes et les blindés à chenilles sont de sortie. Les pertes en vies humaines ne s’arrêtent pas, les dépenses financières aussi. Des populations sont déplacées par villages entiers, au risque de frôler le péril humanitaire. La soudure en début 2015, d’ordinaire rude, sera autrement plus terrible pendant la saison 2015. 

Selon des analyses avisées, même si la guerre s’arrêtait aujourd’hui, le Cameroun mettrait plusieurs années à retrouver la situation d’avant la crise. Mais la guerre est là, qui s’inscrit dans une logique d’usure, en attendant que d’autres projets viennent s’y greffer. Le Cameroun ne peut se permettre une telle débauche d’énergie et une telle saignée sur son chemin vers la croissance économique aujourd’hui, et l’émergence demain. Pendant longtemps, le Nigeria a accusé le Cameroun d’être la base arrière de Boko Haram, où venaient effectivement se cacher ses combattants pris en tenailles. Le gouvernement nigérian avait même essuyé une fin de non-recevoir dans sa demande d’exercer un droit de poursuites des islamistes en territoire camerounais. Aujourd’hui, le droit international est mis à rude épreuve, et rien ne dit que les deux pays vont durablement rester inactifs devant ce cas de figure particulier.

De fait, la frontière Cameroun-Nigeria, déjà artificielle car coupant en deux des villages et des familles, a été désertée par les autorités frontalières nigérianes fuyant Boko Haram. La secte y dicte sa loi, sévèrement islamiste et férocement belliqueuse. C’est désormais elle qui fait face au Cameroun tout le long de la zone de contact constituée des villes camerounaises comme Fotokol, Amchidé, Limani, Koubougue, Ldama, Tourou, Achigachia, etc. C’est ainsi que notre armée doit être en permanence en éveil car l’ennemi dort dans la chambre d’à-côté et peut agir partout, à tout moment. A la suite de l’annonce par les autorités nigérianes d’un cessez-le-feu, on a assisté à un redéploiement des troupes d’élites de Boko Haram le long de la ligne de front avec le Cameroun. D’où le relèvement de la qualité et de la quantité des attaques contre l’armée camerounaise dès la mi-octobre. Seulement, il démeure que Boko Haram n’est pas un Etat et ne possède donc ni territoire, ni frontière. Il évolue sur le territoire souverain de l’Etat fédéral du Nigeria. Chaque obus ou roquette parti du Nigeria pour frapper le Cameroun peut être considéré par lui comme une déclaration de guerre. Le gouvernement du Nigeria doit répondre de tout ce qui se déroule sur son sol, or Boko Haram étant un phénomène nigérian, alors Jonathan Goodluck doit en répondre. Ce raccourci syllogistique couvre une réalité beaucoup plus complexe,  on en convient. Car même les forces armées nigérianes sont débordées par cette secte, qui a plusieurs fois forcé les soldats à la fuite jusqu’au Cameroun. 

Quoi qu’il en soit, il est constant que, quelles que soient les attaques dont il peut être victime sur son sol, le Cameroun n’enverra pas son armée combattre Boko Haram sur les terres nigérianes, si ce n’est sous forme d’incursions ponctuelles et sporadiques. A moins que le Nigeria ne lui accorde le droit de poursuite, que le Cameroun lui avait refusé en son temps. Boko Haram est comme ce gamin turbulent qui vous donne un coup de pied et court se mettre à l’abri entre les jambes de son père. Si le parent est aussi laxiste que le Nigeria l’est avec la secte islamiste, il doit laisser les personnes attaquées lui donner une bonne fessée. Cela arrangera les affaires de tout le monde. En attendant les bonnes résolutions du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays du Bassin du lac Tchad, qui envisage la création d’une force multinationale mixte dès le 20 novembre, la réalité du terrain prévaut. La méfiance aussi entre les parties prenantes, au regard des agissements récents du Nigeria et du Tchad. Pourtant, aucun des trois ne peut seul venir à bout de Boko Haram par la voie militaire. L’armée nigériane a montré, malgré plus d’un million d’hommes, qu’elle est structurellement incapable de juguler cette adversité. Le Tchad est un peu moins concerné et ne met pas l’entrain nécessaire. Reste le Cameroun, dont le chef de l’Etat a affirmé qu’il combattrait Boko Haram jusqu’à son éradication. La réalité est bien plus compliquée, il le sait. Alors il faut négocier la paix à notre frontière. En annonçant un cessez-le-feu avec Boko Haram, le Nigeria veut orienter la secte sur le front exclusif camerounais. En ouvrant des pourparlers avec Aboubacar Shekawu, le gouvernement du Cameroun peut aboutir à un pacte de non-agression, de non-exportation de la violence islamiste dans son pays. Une attitude qui n’est pas une adhésion aux méthodes et thèses de cette abjecte organisation, mais la préservation de ses populations de l’obscurantisme, la menace la plus dangereuse de ce début de XXIème siècle. «On ne négocie pas avec les terroristes», est une expression séduisante pour l’orgueil d’un pays, mais chacun sait que dès que les micros se ferment commencent les négociations
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