La loi « antiterroriste »,
adoptée début décembre 2014 par le Parlement au Cameroun et qui instaure la
peine de mort, provoque une levée de boucliers chez les opposants et les
mouvements sociaux locaux. Les opposants à la loi dénoncent en particulier l’article
2, qui déclare passible de la peine de mort quiconque « commet tout acte
ou menace susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité
physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages de
ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel ». Le
code pénal camerounais prévoit déjà la peine capitale pour les coupables de
meurtres et d’assassinats, le texte de la loi y ajoute donc désormais les
personnes qui ne commettent qu’une menace... On mesure la latitude que se donne
le pouvoir pour renforcer brutalement la répression et criminaliser la
protestation sociale.
C’est ainsi
que mercredi 10 décembre 2014, des associations citoyennes et des mouvements
sociaux ont manifesté à Yaoundé pour exiger du président Biya qu’il ne
promulgue pas cette loi |1|, qui « criminalise les réunions et
manifestations publiques », selon le collectif Dynamique citoyenne, qui
regroupe une centaine d’associations et qui est animée notamment par des
membres de la Plate-forme d’information et d’action contre la dette (membre du
CADTM international).
Dynamique
citoyenne explicite la dénonciation : « vous serez considéré comme terroriste
si, par exemple, lors d’une manifestation publique organisée pour exiger l’amélioration
du code électoral, pour dénoncer l’incurie des gouvernants en place, pour
revendiquer la revalorisation des salaires ou l’harmonisation de l’âge de départ
à la retraite à 60 ans pour tous, votre action peut, selon les humeurs des
tenants du pouvoir, tomber sous le coup de « tout acte ou menace d’acte
susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique [si en
défendant vos droits vous résistez à Abraham ou Mamiwata et aux forces du désordre],
d’occasionner des dommages corporels ou matériels [si vous cassez les kiosques
du PMU], des dommages aux ressources naturelles, à l’environnement [si vous brûlez
les pneus en polluant l’atmosphère] ou au patrimoine culturel [si vous vous en
prenez à la statue de Charles ATANGANA ou au monument LECLERC] «. …Si M. Biya
promulgue cette loi, nous allons l’assimiler à une déclaration de guerre et
nous n’entendons pas nous laisser faire…, prévient Jean-Marc Bikoko ,
porte-parole de Dynamique citoyenne, dirigeant syndical bien connu et membre
actif du CADTM international.
Manifestement
le pouvoir fort veut se prémunir contre d’éventuels troubles avant la présidentielle
de 2018. Président depuis 1982, Paul Biya, 81 ans, entretient le mystère sur
ses intentions mais il est clair qu’il est tenté de prolonger une fois encore
son mandat. Ce texte apparaït manifestement comme sa réponse au soulèvement
populaire qui a entraïné la chute du régime dans divers pays africains et en
particulier au Burkina Faso en novembre 2014 : il cherche à terroriser les
mouvements sociaux et la jeunesse pour les empêcher de sortir en masse dans la
rue, même si le dispositif légal pour réprimer la protestation sociale est déjà
très grave avant même l’entrée en vigueur de cette loi. Le pouvoir en use et
abuse. Par exemple, la garde à vue est d’une durée de quinze jours
renouvelables.
En-dehors
des activités organisées par le parti au pouvoir et ses satellites, toute
manifestation ayant trait à la protestation, à la dénonciation ou à la
revendication se heurte toujours à l’abus d’autorité et à l’excès de zèle de l’administration
qui crée sciemment l’amalgame entre « déclaration « et « autorisation «, et
pour qui ces réunions et manifestations sont toujours susceptibles de troubler
l’ordre public.
Tel a été le
cas en 2007 dans le cadre de la manifestation organisée par les organisations
membres de la CSP devant le siège du Parlement camerounais relative à la
revalorisation des salaires dans la fonction publique. La même situation s’était
reproduite le 11 novembre 2010 dans le cadre de la mobilisation organisée par
la CSP à Yaoundé devant les services du Premier ministre qui a vu l’arrestation
de 7 militants syndicalistes inculpés pour « délit de réunion et manifestation
illégale «, inculpation qui avait donné lieu à un procès de 15 mois, lequel s’est
soldé par l’acquittement des prévenus par le tribunal de première instance de
Yaoundé |4|.
Dans la même
optique, les autorités n’ont pas permis que se déroule à l’endroit prévu la
manifestation convoquée par Dynamique citoyenne le 10 décembre 2014. La veille,
cette association a été obligée de convoquer le public à un autre endroit de la
ville. L’objectif du pouvoir était de décourager les manifestants potentiels et
de limiter strictement la possibilité d’exprimer son opinion de manière organisée
sur la place publique. On peut constater que cette politique du régime atteint
partiellement son objectif : les mobilisations de rue sont faibles pour le
moment.
La Grande palabre sur la dette
Le 11 décembre
2014, plusieurs associations avaient uni leurs efforts pour convoquer une conférence
publique dans le cadre de « La Grande Palabre ». La veille, le public
convoqué pouvait lire sur la toile de médias alternatifs : « La Grande Palabre
a été annulée pour la troisième fois. L’organisateur veut se plaindre auprès de
la justice ».
Cet article
précisait : « La session de La Grande Palabre, du 11 décembre 2014, avait pour
thème » le Cameroun et l’Afrique pris dans les tenailles de la dette
odieuse et de l’imaginaire occidental «. Eric Toussaint devait entretenir l’auditoire.
« Pour la troisième fois, nous sommes victimes des abus du sous-préfet de
Yaoundé 1er qui refuse de nous délivrer le récépissé de déclaration de réunion
publique en prétextant que Germinal, personne morale, ayant une personnalité
juridique conférée par son récépissé de déclaration nO 034/RDDJ/J06/BASC délivré
le 25 juillet 2003, n’est pas habileté à organiser une réunion publique (conférence-débat).
Pourtant 38 fois, ce même sous-préfet et son prédécesseur ont délivré à
Germinal 38 récépissés de déclaration de réunion publique «. Jean-Bosco Talla
|5| le directeur de publication du journal Germinal est outré. A cause des
raisons qu’il vient d’énoncer, la session de la « Grande Palabre », la
conférence-débat qu’il organise, ne se tiendra plus comme prévu à l’hôtel
Franco de Yaoundé, le 11 décembre 2014. Il annonce sa délocalisation à l’hôtel
Jouvence 2000, toujours dans la capitale. Le sous-préfet Jean-Paul Tsanga Foé
explique que l’objet du débat de la « Grande Palabre » est contraire au récépissé
de dépôt de déclaration de l’organe de presse de Jean-Bosco Talla. Une mesure
que Jean-Bosco Talla conteste naturellement. «
Cela donne une idée des tracasseries
et des obstacles mis par le pouvoir en travers de l’action de toutes les
associations indépendantes et critiques. La réunion a donc eu lieu dans un
autre endroit alors qu’une partie du public s’était rendue vers l’endroit
initial. D’autres, découragés ou inquiétés par ce qui allait se passer, avaient
décidé de rester chez eux. Malgré cela, environ 70 personnes ont participé à la
conférence, retransmise en direct sur les ondes de la radio alternative Cheikh
Anta Diop |7|. Quatre jours plus tard, une deuxième conférence publique sur «
Les enjeux de l’endettement « prolongeait les débats du 11 décembre |8|. Cette
conférence était notamment convoquée par la plate d’information et d’action sur
la dette et par la confédération syndicale des services publics (CSP).
Le
gouvernement camerounais a réussi jusqu’ici à convaincre la population que la
dette ne constituait plus un problème réel pour le pays. La dette publique
interne et externe représente moins de 20% du PIB en 2014 alors qu’en France
elle atteint 96%, aux états-Unis elle atteint 100%, en Belgique elle dépasse
100%, en Italie 130%, sans parler de la Grèce dont la dette dépasse 170%. Néanmoins,
le remboursement de la dette représente 9% des dépenses du budget de l’état en
2014 tandis que la santé publique ne représente que 5% du budget. En 2015,
selon le budget officiel, le remboursement de la dette augmentera de 33%. Ce
sont les banques privées camerounaises qui en profitent largement car elle prêtent
à l’Etat à du 5,5%.
En 2015, il
faut également prendre en compte l’impact de la chute du prix du pétrole sur le
marché mondial. Le Cameroun est un pays exportateur de pétrole et la chute du
prix provoquera une chute des recettes de l’Etat et rendra plus difficile le
remboursement de la dette. Dans un pays où le salaire mensuel minimum légal n’atteint
que 50euros (32.000 francs CFA) alors que la plupart des denrées se vendent au
prix du marché mondial, les Camerounais paient une taxe unique de 19,5% de TVA
sur tous ces produits (à quelques exceptions près), ce qui transforme la vie
quotidienne en une lutte permanente, il est essentiel de trouver une solution
au problème de la dette illégitime. C’est pourquoi la Plate-forme d’information
et d’action sur la dette, membre du CADTM, a décidé de lancer une campagne en
faveur de l’audit citoyen de la dette. Le réseau CADTM est mobilisé sur le thème
de l’audit citoyen et de l’abolition de la dette odieuse, au Cameroun comme
ailleurs.
Eric
Toussaint
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