Dans l’entreprise de chassement de Paul Biya, les forces armées camerounaises auront un rôle déterminant. Un rôle essentiel même. L’extrême militarisation du pays sous prétexte de la menace terroriste que constitue le recrutement à la criée de milliers de policiers, et les formulaires de recrutement sont vendus pour cent francs à travers Yaoundé jusque dans l’enceinte de l’université, tout comme la nouvelle loi anti-terroriste qui instaure la peine de mort, par fusillade donc, de quiconque serait coupable de causer une insurrection populaire, sont là pour montrer que la tyrannie sait que sa survie réside désormais au bout du fusil. La fermeture de tout contact du palais d’Etoudi avec le peuple camerounais rend de plus en plus nécessaire la mort de Paul Biya dans l’enceinte même de ce palais – de façon naturelle, ce qui est éventuel vu son âge très avancé, mais aussi, ce qui est tout de même aussi possible, par balle tirée par sa garde, comme ce fut le cas avec Laurent Désiré Kabila en RDC, et avec Dadis Kamara en Guinée notamment. Nous savons en effet, que ces dernières années le tyran n’a plus que renforcé son armée, le BIR et la GP surtout, même si la mort de soldats l’émeut si peu qu’il n’a jamais assisté à l’enterrement d’aucun d’eux tombé sur le champ d’honneur, et cela de toute sa carrière de président – en 33 ans donc -, exception faite des morts du 6 avril 1984, morts pour lui. Que la vie d’un soldat ne vaille rien dans le renouveau post-1984, est une évidence ; que la fonction première de l’armée nationale camerounaise soit la sauvegarde de sa tyrannie, cela est inscrit dans l’histoire de notre pays dans lequel après tout l’armée n’a jamais pris ses responsabilités ; que le BIR et la GP, soient des gangrènes dans l’armée qu’elles retournent contre elle même pour la sauvegarde de la tyrannie, est indiscutable.
Car de sauvegarde du pouvoir, voilà la seule chose dont la politique est faite au sommet aujourd’hui au Cameroun. La fracture politique dans notre pays est cependant telle que l’opposition, dont la fonction première est la prise de ce pouvoir-là, a remplacé sa fonction essentielle, la prise du pouvoir, et le chassement de Paul Biya, par la volonté d’avoir accès à celui-ci. Oui, l’opposition politique camerounaise ne veut pas le changement ; elle veut avoir accès au pouvoir. Le gouvernement d’union nationale est son rêve suprême. Et c’est la structure aphone du renouveau qui lui a dicté cette mission honteuse. Quel leader de l’opposition a le numéro de téléphone de Paul Biya au Cameroun ? Banalité dans tous les pays de la terre, où l’évidence politique c’est le dialogue perpétuel de parties antagonistes, seule garantie de la paix, l’opposant d’aujourd’hui étant le potentiel président de demain. Devant telle fracture politique, la paix chez nous est garantie au bout du fusil pointé sur le peuple. C’est dans ce contexte d’absurde politique, que lorsqu’Ekane Anicet me dit qu’il était au SED, j’ai aussitôt décidé de l’y rejoindre. La gendarmerie nationale est après tout un espace que j’ai traversé enfant, dans la cour de laquelle j’ai joué dès l’âge de 11 ans, et où j’ai vu pour la première fois des chars calcinés, tout comme ramassé des balles éparpillées, après le 6 avril 1984 – après la seule tentative militaire de chassement du tyran du pouvoir. Elève au CES de Ngoa Ekelle et au Lycée Leclerc, et habitant Nkomkana, je devais tout de même traverser sa cour chaque jour quatre fois pour aller, et retourner de l’école. C’est dans son enceinte qu’à quatorze ans, j’ai donc vu que Biya était effectivement chassable au fusil, et ai mesuré les conséquences de l’échec de le faire, conséquences dramatiques que nous vivons d’ailleurs encore. En bref, rien ne peut plus me faire peur en ces lieux où jadis des jeunes gens ont osé. Rien du tout.
C’est dans le bureau du colonel Meka Meka que j’ai retrouvé Anicet Ekane. Il y avait deux autres officiers supérieurs, dont le lieutenant colonel François Panhoui, de qui je saurai plus tard qu’il avait exécuté à onze coups de fusil un policier qu’il avait attrapé dans sa chambre, baisant son épouse. Le fragrant délit donnant au mari cocu le droit de vie et de mort sur son rival au Cameroun, le gendarme criminel n’a eu comme sanction que de n’être pas encore promu colonel comme ses deux amis ; amitié forgée lors du sanglant Commandement opérationnel de 1999, qui a fait Meka Meka et Panhoui partager exactement le même numéro de téléphone, sauf un seul chiffre, comme Anicet Ekane se rendra compte bien plus tard. Un pacte ? Qui sait ! Du troisième mousquetaire, je ne retiendrai pas le nom, mais qu’importe ! Ce qui m’a le plus frappé dans ce bureau du colonel Meka Meka, c’est sans doute la photo agrandie de lui, serrant la main de François Bozizé, général putschiste, mais aussi président qui a pris la poudre d’escampette après chassement. Comment ne pas lier cette photo qui fait la fierté de Meka Meka, à son manque de courage qui lui fait ne même pas pouvoir s’imaginer qu’il puisse, lui aussi, chasser Biya et prendre sa place à Etoudi ? Je n’ai au cours de notre conversation, pas cessé de penser à ce côté écervelé de l’armée camerounaise, c’est-à-dire au fond, à son incapacité à établir des relations logiques et à tirer des conclusions pragmatiques, devant des problèmes concrets. Pourquoi les armées africaines sont-elles si nulles ?, se demandait jadis un article de Jeune Afrique. La réponse se trouve à Yaoundé : le colonel Meka Meka, 56 ans, qui admire tant François Bozizé qu’il le regarde chaque jour durant toute la journée dans son bureau, mais n’a pas les couilles nécessaires pour s’imaginer faisant un coup d’Etat lui aussi, en chassant du pouvoir Paul Biya. Il sait la formule du renouveau : le plus profondément il limite ses ambitions et s’aplatit devant le vieux tyran, le plus sûrement il deviendra général.
‘Le Cameroun a-t-il une armée ?’ se demandait Alpha Condé, président de Guinée, en pouffant de rire. Je me rendrai compte très vite en effet que le souci véritable de nos trois officiers supérieurs de l’armée camerounaise était plutôt trivial vraiment, et il sera exprimé par Panhoui. Son parcours criminel, je ne le saurai que plus tard, bien plus tard, mais cela fit de lui le métonyme de la vocation castrée de l’armée camerounaise elle-même. Pourquoi, voudra-t-il savoir, appelé-je Chantal Biya ‘wolowos’, et pourquoi, merde, ne respecte-je pas la femme d’autrui ? Voilà au fond en quoi tout notre entretien aurait servi, une heure à peu près de débats et d’échanges, entretien-exutoire pour Panhoui-le-cocu donc, si j’avais suivi le fil de ces hommes en tenue. Ma réponse : ‘wolowos, tout comme première dame, étant des fonctions publiques reconnues partout sur la terre, il n’y a aucun mal à designer comme tel ce qui est tel, car je suis écrivain.’ ‘Et puis’, ajoutè-je, ‘le destin de la première dame n’est pas celle d’une épouse qu’on épargne par respect pour la femme d’autrui, et l’histoire républicaine l’a toujours su, comme le montre bien le fait que la république française ait été fondée, pas seulement sur l’exécution du roi Louis XIV, mais sur le guillotinage avec lui de son épouse, Marie-Antoinette, qui était tout aussi infâme que la Chantal.’ Dans ma réponse, j’ai ajouté le tsar de Russie et son épouse, exécutés tous les deux, Ceausescu et son épouse, exécutés tous les deux, et bien sûr plus proche de nous, Gbagbo et son épouse, capturés tous les deux, avant de finir par cette phrase dont j’imagine que mes trois mousquetaires se souviendront le moment venu : ‘l’histoire me donnera raison.’
L’histoire dont je parle, c’est évidemment celle du chassement de Biya, celle du changement, celle de la république du Cameroun donc. Ayant répondu à la question essentielle pour ces trois officiers supérieurs de l’armée camerounaise – ‘pourquoi appelles-tu Chantal Biya wolowos ?’ – je leur ai dit que moi j’avais également quelques questions à leur poser. La première était celle-ci : pourquoi lors des manifestations, ils tirent toujours sur les Camerounais pourtant désarmés ? Leur réponse, là, était unanime : le déni. ‘Ce n’est pas nous.’ Est-ce la police donc ? Sont-ce les militaires ? Je les ai laissé continuer dans le verbiage de l’irresponsabilité. ‘Au contraire’, a précisé Panhoui, ‘nous maitrisons le maniement des foules. Nous le maitrisons si bien que nous sommes invités à l’étranger l’enseigner à d’autres.’ Je ne suis pas intervenu, pour préciser que dans notre pays, les foules ne manifestent plus depuis bientôt vingt ans, et que, sinon, parce que toutes les fois où elles sortent dans la rue, il y a des cadavres de Camerounais sur le carreau. J’ai élaboré cependant en demandant si dans sa formation la gendarmerie camerounaise faisait des cours de droits humains, et ai précisé que le Tribunal Article 53 s’était proposé de lui en donner. Quelle fierté de nos mousquetaires, quand ils me dirent qu’au contraire, c’est bien eux qui allaient enseigner les droits humains dans d’autres pays – le Congo, et même la France ! Oui, la France, le pays des droits humains qui apprend comment respecter les droits humains de la plus vieille tyrannie d’Afrique !
Disons ceci : je n’ai pas éclaté de rire devant telle sottise uniformée, parce que j’avais une deuxième question qui me venait, elle, de l’interdiction de la remise du prix Bibi Ngota qui avait valu mon arrestation par la gendarmerie justement, la veille: ‘ont-ils jamais, nos officiers supérieurs de l’armée camerounaise, désobéi à un ordre de sous-préfet qu’ils jugent eux-mêmes fallacieux ?’ En d’autres termes, utilisent-ils souvent leur propre cervelle ? Leur propre jugeote ? Même reflexe d’irresponsabilité, qui se retrouve dans cette réponse de Meka Meka : ‘la gendarmerie est républicaine’, ce qui est une évidence pour l’écrivain, pour le concierge de la république que je suis, car la république survira de toute façon à la tyrannie, et le Cameroun à Biya. Quant aux sous-préfets, et autres gouverneurs, ce n’est pas sûr qu’ils s’en sortent si facilement, eux qui ne sont pas élus, qui sont donc l’appareil de la tyrannie manifestée. Et moi de voir l’esquive dans le regard de ces officiers supérieurs de nos forces armées, d’y découvrir la couardise, le ratatiné. J’ai toujours imaginé qu’il y a une grandeur dans le port de la tenue militaire, car c’est la personnification justement de la république qui, elle, est l’expression publique de la raison. J’ai enseigné plusieurs fois des militaires américains. Mais ici, dans le bureau du colonel Meka Meka, je ne pouvais m’empêcher de sauver des meubles en demandant pourquoi les forces armées camerounaises sont si tribales, c’est-à-dire pourquoi elles ont autant sombré sous l’emprise de l’Etat tribal, béti. Une passe amicale, s’il en fallait. Et Panhoui de montrer ses deux amis, large, disant soulagé, que justement eux trois sont de tribus différentes. Ouf !
Ma troisième question, elle, était celle-ci, au colonel Meka Meka : ‘quand vous voyez le lieutenant-colonel Zida du Burkina Faso, à quoi est-ce que vous pensez ?’ En d’autres termes, avez-vous jamais en vous rasant, imaginé prendre le pouvoir comme lui ? Pour souligner la clarté de ma question, je montrai la photo de Meka Meka serrant la main du général Bozizé avec un large sourire sur les lèvres, car sans doute bientôt en visite au Burkina Faso, lui, le colonel Meka Meka, serrerait la main du premier ministe Zida avec un sourire identique sur les lèvres. ‘Zida a été formé ici’, me répondit le troisième mousquetaire, ‘nous le connaissons très bien. Mais moi je vais te dire ceci, lui-même sait qu’il ne vaut pas beaucoup.’ Ma réponse ici était celle-ci : ‘personne ne nait président. Même Biya a été choisi, et ne valait alors pas beaucoup.’ J’aurais mentionné le 6 avril 1984, et le rôle de la gendarmerie nationale camerounaise dans la consolidation sanglante de son pouvoir. Du silence des trois mousquetaires devant ces échos lointains du bureau du colonel Meka Meka, je me souviendrai toujours. Ou alors de leur diversion, car il fallut interrompre cette rencontre qui était plutôt intéressante jusque-là, qui dans son fond, m’aura révélé la criminalité fondamentale, tout comme le refus de l’armée camerounaise de prendre ses responsabilités devant d’une part le peuple camerounais, en refusant de tirer sur lui aux moments fatidiques, et d’autres parts, devant le pouvoir – les sous-préfets, ces suppôt de la tyrannie –, en désobéissant à leurs ordres infâmes. Ah, mes compatriotes, comment le dire sans honte : pour un officier supérieur de l’armée camerounaise aujourd’hui, c’est plus facile de tirer onze coups de fusil dans un homme nu, désarmé donc, qui couille sa femme – il est d’ailleurs gratifié pour cela ; mais ô, combien difficile il est pour lui, de s’en prendre au président de la république, vieillard qui colore sa moustache et ses cheveux au black ! Dans une république, la lâcheté de l’armée est la nourriture de la tyrannie.
De cette rencontre il m’est apparu clairement pourquoi l’armée camerounaise est criminelle dans son cœur, et incapable dans ses gestes : elle ne pense pas. Lâche, elle se retourne toujours contre désarmé – le peuple, le souverain. Toujours. Et c’est le lieutenant-colonel Panhoui qui demeurera dans ma tête la personnification de sa criminalité, et de sa lâcheté structurelle. Ecervelée, elle est, qui ne peut pas établir des relations logiques, se satisfait de ces trafics de bons et missions juteuses que le tyran lui permet, pour survivre dans la corruption. Un soldat qui ne fait pas de politique est un criminel en puissance, enseignait Thomas Sankara, et il voulait par là dire ceci : est criminel un soldat qui ne réfléchit pas sur les ordres qu’il reçoit, et leur obéit bêtement ; qui exécute un être humain sur un coup d’émotion, parce qu’il a reçu de l’Etat le droit de porter un fusil, de tuer. ‘Il faut savoir qu’ils sont formatés comme ça’, telle sera la conclusion d’Anicet Ekane, au bout de cette rencontre au cœur du problème camerounais – l’armée de notre pays mise au service de la tyrannie. L’armée devenue lâche. L’armée faite de tueurs en tenue. Un jour, un jour, la république du Cameroun aura l’armée qu’elle mérite. Ce sera alors une armée dont la devise sera : honneur et courage. Quand je sortis de ce bureau, je tombai sur un autre officier supérieur de la gendarmerie, qui souriant m’appela par mon nom, et, le visage plein d’admiration, me dit qu’il était lecteur de mes textes. Je ne retins pas son nom. Mais son regard heureux me fit me dire qu’effectivement, ce jour de la libération du Cameroun était proche, car je m’imaginai qu’ils sont nombreux, les gendarmes, policiers et militaires qui me lisent dans leurs casernes ou bureaux, et dont le visage s’illumine autant de fierté. Espoir !
Par Patrice Nganang
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