32 ans de
pouvoir, englués dans cinquante ans d’indépendance au terme desquels, comme
toujours, le Cameroun cherche encore sa voie. Une voie qui, dans la perspective
libérale, ne peut déboucher que sur le boulevard de l’échec et de l’immobilisme.
Pendant ce temps, avec «une insouciance sautillante et parfumée», les
camerounais, par leur comportement, donnent raison à Réné Dumont, cet ingénieur
agronome français qui dans les années soixantes disait déjà que l’Afrique noire
est mal partie, selon qui, «les dirigeants africains confondent leurs fonctions
régaliennes aux activités personnelles[...] s’accrochent toujours au pouvoir
jusqu’à la mort» .Lorsque cette attitude s’écrase sur un peuple comme un lourd
fardeau, elle l’empêche de s’apercevoir que même libre, aussi longtemps qu’il
ne transforme pas ses espoirs en moteur de son propre développement, toute
liberté n’est qu’une servitude qui s’ignore.
Dans cette
implacable logique de l’histoire, notre accession à l’Indépendance n’aurait dû être
ni une fin, ni une finalité, mais le début et le point d’ancrage d’une faim véritable.
La faim de notre dignité, hier hypothéquée par les colonisateurs, aujourd’hui
domestiquée par nos hommes politiques. De fait, la dignité d’un peuple ne peut
se forger que sur l’enclume de son énergie collective, ses intelligences non
corrompues, sa volonté indifférenciée. Alors seulement, tous ses souvenirs,
bons et mauvais, se pourront transformer en un avenir d’où n’affleure aucune
nostalgie du passé. Or, sur le mode de l’absurde et en une sorte de projection
paradoxale, nous en sommes aujourd’hui à nous demander si la colonisation n’as
pas été un mal nécessaire. Si tant est qu’un mal puisse participer de la nécessité.
A la faveur
de cette terrible interrogation historico-ontologique, l’on fait coïncider l’anniversaire
de notre Indépendance avec un retour en arrière de cinquante ans dans le développement,
cristallisant ainsi par ce hasard objectif, notre temps historique en un temps
monumental par lequel, un homme, s’imaginant l’Alpha et l’Omega de notre
histoire, s’arroge le pouvoir de suspendre le temps, le temps de réaliser son
dessein personnel, qu’il prend pour notre destin collectif.
Par
ailleurs, l’homme du 6 novembre 1982 au Cameroun a été une semence on ne peut
plus fertile. Mais, trente deux ans après, pour que le grain ne meure dans le
sol encore réceptif de notre conscience citoyenne, nous sommes toujours en
attente, ne serait-ce que d’un début de germination. A moins que l’endroit où
cette semence avait été enfouie dans le sol ne soit plus répérable du fait des
larcins des laboureurs de la terre nommés par leur chef et issus d’une même
chapelle politique au pouvoir
C’est que
nos dirigeants d’aujourd’hui avec en tête leur chef de file ont littéralement
oublié leur mission historique : impulser une dynamique collective pour bâtir «un
peuple d’êtres humains et non d’individus.» D’individus dont l’individualité ne
dépend que de leurs positions de pouvoir et des avoirs que cela permet d’accumuler.
Aujourdh’ui,
aucun Camerounais n’est plus dupe sur la capacité de nos hommes politiques à
faire autre chose que de la politique. Or, à en croire Cioran, dans la vie d’une
nation, «Rien de plus dangereux que la volonté de ne pas être trompé. La
lucidité collective est un signe de lassitude. (…) Chaque citoyen
devient alors une petite exception, et ces exceptions accumulées constituent le
déficit historique de la nation.»
Ainsi, la démocratie
n’est plus ni aspiration, ni inspiration : aspiration du peuple à l’affirmation
de sa souveraineté, inspiration des gouvernants pour asseoir une véritable
bonne gouvernance. C’est pour cette raison que face au trop-plein de vie affiché
par nos dirigeants, les camerounais, stoïques et blasés, cherchent la voie du
salut en une sorte de «culte de la vie par manque de vie.» Car, «il est naturel
qu’un peuple qui meurt ne veuille pas mourir.»
Le Président
Paul Biya, lui, a trouvé sa voie : celle de mourir au pouvoir». Dans son
Eldorado d’égoiste, tout est si parfait qu’à France 24 qui l’interrogeait il ya
de cela quelques années sur ses échecs éventuels, il a répondu sans sourciller
: «J’ai fait plus et mieux que ce que je devais» ! Pendant ce temps, les
populations subissent les coupures d’électricité, le manque d’eau potable, l’insécurité,
la hausse des prix semble échapper à tout contrôle, défier toute logique, nos
routes sont devenus des terribles mourroirs, le choléra bat son plein en plein
21è siècle au Cameroun...
De plus,
dans la conduite des affaires d’une nation, tenter et ne pas réussir, ce n’est
pas un échec. C’est même une belle réussite. L’échec irrémédiable réside plutôt
dans la conviction que l’on est infaillible et de fonder toute son action sur
cette croyance. Les illusions solitaires du chef sont alors autant de désillusions
pour le peuple qu’il dirige. Pourtant, en politique comme dans la vie, tant qu’il
y a vie il y a espoir.
Mais en
politique, espérer, c’est s’asservir aux promesses des hommes politiques, qui,
comme les flatteries du flatteur, n’engagent que ceux qui y croient. Or donc,
espérer, c’est s’asservir, ne pas espérer, c’est refuser la vie : espoir et
servitude. Telle est la «branloire pérenne» à bord de laquelle on nous embarque
depuis 32 ans et dont le bout du tunnel est encore loin et ne sera jamais
atteint si le peuple n’impulse pas d’une seule voix le renversement de l’ordre établi
actuel.
Même dans l’Afrique
ancestrale, le chef savait prendre repos. Il arrivait même qu’il ait le devoir
constitutionnel de s’empoisonner quand il avait failli.
Le
successeur constitutionnel d’Ahidjo devrait quitter le pouvoir maintenant. Il a
donné tout ce qu’il pouvait offrir, c’est-à-dire clauchardiser le peuple
camerounais. A-t-on déjà vu un Homme, plus « ambitieux » à son vieil âge
qu’à sa jeunesse ?
Simplice
KAMEGNI , Mouvement de février 2008
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