Agence
Ecofin) -
Grande plume du journalisme camerounais, Valentin Siméon Zinga est
désormais le chef du département Communication institutionnelle et Relations
publiques d’Orange Cameroun. Pour lui, il était temps de tourner la page. Celle
du journalisme. Mais, il gardera un œil attentif sur cette presse. Selon la DG
d’Orange Cameroun, Elisabeth Medou Badang, à travers son expérience, Valentin
Zinga permettra à Orange Cameroun de mieux comprendre la presse camerounaise,
et à la presse de mieux comprendre l’opérateur télécoms. Le nouveau recru livre
à l’agence Ecofin les instantanés de sa riche carrière journalistique et la
vison qu’il a de son nouveau job.
Agence Ecofin : Vous partez de la Nouvelle Expression pour
Orange Cameroun. Sous quelle casquette vous retrouve-t-on chez l’opérateur
télécoms ?
Valentin Zinga : Je vous remercie de faire attention à ma
modeste trajectoire…
AE : Modeste, vous dites ? Avec près de 20 ans de
journalisme ?…
VZ : Plus de 20 ans. Quasiment un quart de siècle ! Je
suis le chef du département Communication institutionnelle et Relations
publiques à Orange Cameroun. J’ai officiellement pris service le 26 janvier
2015.
AE : C’est une grande plume du
journalisme camerounais qui entre dans la communication institutionnelle après
20 ans environ au quotidien La Nouvelle Expression…
VZ : Oui, vous avez raison.
Cela fait 20 ans de carrière pour la Nouvelle Expression et
quatre ans au Messager, puisque j’ai commencé ma carrière au Messager où
je l’ai achevé comme rédacteur en chef. Puis, je suis allé à la Nouvelle Expression. J’avais expressément demandé à être reporter. Je n’étais pas engagé
dans une ascension linéaire. Non. J’avais demandé à faire autre chose et
progressivement les prestations qui étaient les miennes m’ont prévalu d’être
chef d’agence, rédacteur en chef adjoint, rédacteur en chef délégué,
éditorialiste et directeur de la rédaction.
AE : Plusieurs journalistes
camerounais quittent la profession pour embrasser les activités proches de la
communication ou changent carrément de profession. Combien de temps
d’après-vous unjournaliste
doit-il exercer cette profession au Cameroun ?
VZ : Comment le dire ? J’avais une formule il y a 15
ou 20 ans. Je m’amusais à dire aux amis qu’il faut peut-être voir un jour la
circularité des élites médiatiques et la circulation des personnels
médiatiques. C’était à l’époque une manière de dire : voyez le taux de
rotation dans lequel on est, mais, voyez en même temps le niveau de désertion
de ce métier. En général, pour des raisons qui n’ont peut-être rien à voir avec
les passions premières qui nous animent. Je ne sais pas si je peux être un
prescripteur en la matière. Non. Je pense qu’on est très fier d’exercer le
métier de journaliste. On peut avoir la formation qu’on a eu ; on peut
avoir tout ce qu’on a eu ; on peut avoir toute la reconnaissance, mais ce
n’est pas cela le fondamental. Le fondamental c’est de se dire :
« est-ce que je me sens dans l’âme d’un journaliste ? » Tant que
nous aurons des gens qui investissent la profession, arrivées par effraction,
tant que ceux qui y sont n’y seront pas par conviction et par passion, on va
malheureusement continuer à avoir les choses difficiles. Ce n’est pas parce que
les autres restent que cela dénote de l’intérêt du métier. Ce n’est pas sûr.
AE : Certaines thèses expliquent cette désertion de la
presse par la précarité des journalistes camerounais. Est-ce votre avis ?
VZ : Je pense que c’est un raccourci. C’est un paradigme de
raccourci. Il y a une infinité de paradigmes qui contribuent à pousser les gens
à quitter le journalisme. Cela peut ne pas être fondamentalement la question de
la précarité. Excusez-moi, mais un bon journaliste au Cameroun çà peut ne pas
être riche, mais çà peut vivre de son métier. J’en suis un exemple. Mais, je
dis, la précarité ne doit pas être mise en avant. Il y a des questions
relatives à la pertinence de ce que les gens veulent faire, il y a des
questions relatives à la manière dont ils travaillent, il y a l’environnement,
etc. Je pense que ce serait réducteur de rester à la précarité. Et c’est quoi
la précarité ? Il y a une précarité morale qui est la plus désastreuse.
C’est d’elle qu’il faut avoir peur.
AE : Racontez-nous. Comment
arrivez-vous à la Nouvelle Expression ?
VZ : Je n’étais pas d’accord de
la manière dont Le Messager à
l’époque traitait les informations relatives au SDF (Social Democratic Front,
parti politique, NDLR). Malgré les fonctions qui étaient les miennes, je couvre
personnellement en 1995 une convention du SDF qui est extrêmement lourde
d’enjeux. Quelques mois plus tôt, il y avait eu ce qu’on avait appelé la purge
des intellectuels. Avec les Charly Gabriel Mbock, Dorothy Kom et bien d’autres.
La convention de Maroua était une convention de rassemblement ou du rejet
total, c’est-à-dire de la rupture. Quelques extrémistes de ce parti n’étaient
pas d’accord avec notre relation aux faits et non pas aux opinions.
Malheureusement, nous n’étions pas tous d’accord avec cette approche-là.
J’observe que j’étais le premier à dire qu’il fallait faire attention. Je me
souviens d’un article que j’avais intitulé « Où va l’opposition camerounaise ? » justement après cela. J’observe qu’à ce moment-là très peu de
personnes osaient critiquer l’opposition. Et j’observe que, quelques mois après
mon départ, Le Messager a
basculé dans le mode de l’opposition à l’opposition. C’est l’histoire. Je pars
parce que nous ne sommes plus du tout d’accord du traitement de cette affaire
et puis cela donne lieu à des choses assez délicates à assumer. Je suis
quelqu’un qui ne sait pas rester en trop. Je n’étais plus dans le logiciel
éditorial du Messager, je crois. Et à partir de cela je suis parti. C’est vrai que cela
coïncidait également avec les nombreuses formations que je menais à l’extérieur.
AE : Etes-vous allé directement
à La Nouvelle Expression ?
VZ : Il y a eu une petite
transition, parce que c’est intervenu au moment où je rentrais de l’Autriche où
j’étais allé recevoir un prix international en journalisme. C’est
émouvant ! J’étais admis à l’Institut national de l’audiovisuel en France.
Quand je suis revenu et que le cours de l’histoire avait basculé, il y avait eu
des discussions avec quelques figures de La Nouvelle Expression qui
m’avaient approché un ou deux ans avant, qui avaient appris la nouvelle et qui
m’avaient recontacté. Mes premiers papiers à la Nouvelle Expression étaient
donc écrits de Paris.
AE : Quelle a été votre
meilleure expérience à la Nouvelle Expression ?
VZ : C’est, me semble-t-il, d’avoir contribué très
modestement avec d’autres à projeter nos rêves de journalistes. Nous rêvions
d’exercer ce métier d’une certaine manière. Nous avons eu la chance que le
package éditorial que nous avons proposé au directeur de publication ait reçu
son aval. Nous avons fixé un cap. Je dois rappeler que je suis vraisemblablement
le seul rédacteur en chef ici qui, avant d’être nommé, avait élaboré un
diagnostic du journal dont il allait prendre les rênes, proposer des voies de
sortie et demander à être jugée tous les six mois. Pour moi, c’est cela qui est
intéressant. Dire qu’on n’a pas un titre foncier. Nous sommes-là pour des
performances. Cela s’appelle la gestion par objectifs si on veut. Cela a été
une expérience extraordinaire parce qu’elle nous a permis de refonder un petit
peut la LNE. Je ne voudrais pas revenir sur le passé qui a précédé notre
nomination comme rédacteur en chef en 2004. Mais, si vous vous souvenez,
c’était à quelques semaines d’une élection présidentielle très délicate. Il a
fallu apporter une autre impulsion, gérer les contradictions des uns et des autres.
Si vous vous souvenez également, c’était aussi un tournant dans
la manière dont la LNE gérait son rapport au sein du Social Democratic Front.
Je n’en dis pas davantage, mais ceux qui savent voir ont perçu que, dès cette
année-là, nous avons atteint un niveau de professionnalisme, que nous nous
sommes imposés en termes d’équité vis-à-vis de tous les acteurs de la vie
politique. Ce qui n’était spécialement pas le cas des années précédentes. Pour
moi, ce sont les expériences comme celles-là qui ont un impact. Elles montrent
que vous pouvez mener une barque et accompagner des gens qui vous comprennent.
Est-ce que cela a été la meilleure expérience ? Je n’en sais rien. Je
laisse toujours aux historiens de l’instant, vous qui avez suivi cette
carrière, de le dire. Vous savez, sortir chaque semaine dans ce pays pendant
trois ou cinq ans des informations exclusives, cela n’est pas donné. Au-delà
des grands reportages que nous avons commis, j’ai envie de dire au fond, cette
approche du journaliste qui révèle et ne se contente pas de commenter est une
expérience extraordinairement émouvante.
AE : Quelle a été la réaction de votre patron Sévérin
Tchounkeu lorsqu’il a appris la nouvelle de votre départ à Orange Cameroun
?
VZ : Très fraternelle ! Nous avons eu un échange
épistolaire. Je lui ai réservé la primeur de la nouvelle par loyauté. Au moment
où il a appris cette nouvelle, nous avons eu des échanges. Nous sommes très
rapidement arrivés sur la très grande fraternité que nous partageons. Nous
allons la maintenir. Choix de cœur, choix de raison, je continuerai à avoir un
regard assez différent des autres médias par rapport au groupe. Je le
regarderai probablement avec plus d’exigences que d’autres. Ce n’est pas une
page qui se tourne, c’est un nouvel ouvrage que je dois écrire.
AE : Comment êtes-vous arrivé à la télévision (Equinoxe TV,
qui, avec la LNE, appartient à Sévérin Tchounkeu, ndlr) ?
VZ : J’ai envie de dire que,
naturellement, on peut partir de la presse écrite à la télévision. Nourrir un
projet auquel M. Tchounkeu a cru. Je tiens à lui rendre hommage, parce que ce
que j’ai fait à la télévision, c’était avec un peu de fierté : anticiper
avec la télévision qui sert à décrypter et pas seulement à montrer. Quand on a
vu des émissions comme « 100 minutes pour convaincre » de Mazerolle à France 2, on a compris que la télé n’était pas
seulement là pour montrer, mais pouvait servir de plateforme de décryptage de
l’actualité. C’est cela qui a coïncidé avec ma perception de ce qu’on faisait.
M. Tchounkeu m’avait demandé si je pouvais porter cela, comme un projet
éditorial du projet. Voilà, il m’a fait confiance et je crois qu’on a contribué
à montrer que la télé n’était pas seulement le format classique du papier du JT
d’une minute trente secondes ou d’une minute quarante-cinq secondes maximum,
mais de montrer qu’on peut regarder la télévision, avec un minimum
d’intelligence, et puiser à travers le canal de la télévision les éléments de
décryptage de l’actualité, parce que, malheureusement, l’actualité était
évanescente. Donc, c’était un peu le travail que j’ai essayé de faire.
AE : C’est au finish combien d’années de télévision et
combien d’émissions réalisés ?
VZ : Je ne peux pas vous dire combien d’émissions. C’est
une aventure qui démarre en 2006. Tiens ! Cela fait bientôt dix ans. Si
vous considérez un rythme de quatre émissions par mois, vous avez le compte
avec quelques petites phases d’inactivité dues par exemple à des déplacements.
AE : Qu’est-ce qui va le plus vous manquer du
journalisme à présent que vous êtes à Orange Cameroun ?
VZ : Rien du tout. Je suis obligé de vous l’avouer, parce
que le travail que je suis amené à faire doit s’appuyer sur les logiques
journalistiques classiques. Comment éviter d’être réactif quand on a les
fonctions qui sont les miennes ? Comment éviter d’être curieux quand
on a les fonctions qui sont les miennes ? Comment éviter de nourrir la
réflexion interne quand on a les fonctions qui sont les miennes ? Ce sont
des attributions et des points à partir desquelles on doit pouvoir décrypter.
Je suis obligé de vous le dire, je continuerai d’être un journaliste en retrait.
AE : Quel serait votre conseil aux jeunes
journalistes ?
VZ : Je suis mal placé pour leur en donner.
AE : Si, simplement par votre riche carrière journalistique…
VZ : Peut-être ma modeste trajectoire peut inspirer des
gens. (…) Très honnêtement, je désespère de la presse camerounaise. Je l’ai dit
et le l’ai écrit. Pour mille et une raison. La principale étant le niveau
d’inculture dans la presse. C’est extraordinaire et c’est dommage ! Cette
inculture n’est pas simplement livresque. Elle est simplement aussi un corps
d’attitude professionnelle que nous ne retrouvons que très rarement chez des
journalistes. Regardez la distance avec les sources, la critique des sources.
Quand vous lisez votre presse, est-ce que vous êtes sûrs que cette distance est
faite ? Toutes obédiences éditoriales confondues. Avez-vous cette
impression ? Le goût, la hargne de percer le savoir, de découvrir, de
fouiller l’arrière scène, est-ce que vous la retrouvez dans cette presse ?
Le niveau de langage par lequel on s’exprime, est-ce que vous le retrouvez dans
cette presse ? Je peux multiplier ainsi des critères et je viens de
répondre à votre question. Moi, je désespère. Il y a quelques bonnes figures
bien sûr, mais on aurait souhaité que la proportion fût inverse à celle-là.
Propos recueillis par Beaugas-Orain Djoyum
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