Au pouvoir depuis 2009 le
président gabonais Ali Bongo Ondimba fait face à une contestation
grandissante dans son pays sur fond de controverse sur ses origines.
« Amana, amani, é mi Wa, di massuk, lé mafoua » (c’est la fin),
chantent les manifestants à Libreville et dans tout le pays. Dans la
foulée du soulèvement populaire burkinabè qui a coûté sa place à Blaise
Compaoré, le Gabon semble pris dans le vent de la révolte. Crise
économique, baisse des cours du pétrole, grèves multiples et révélations
sur Ali Bongo : tous les indices sont au rouge foncé pour le régime.
Faux acte de naissance
Touché par une dépression économique sans précédent, le Gabon vit
parallèlement la pire crise institutionnelle de son histoire. Tout est
parti de la révélation faite, en novembre 2014, par Pierre Péan. Dans
son livre Nouvelles affaires africaines, le journaliste assure qu’Ali
Bongo Ondimba est un enfant adopté par feu Omar Bongo Ondimba, mort dans
l’exercice de ses fonctions après 42 ans de règne sans partage.
L’actuel président de la République gabonaise serait originaire du
Biafra, d’où il aurait été extrait avec des centaines d’autres enfants
en vue des les sauver du drame humanitaire qui se jouait alors dans
cette région du Nigeria. Passée du stade de rumeur à celui
d’information, la nouvelle est venue définitivement mettre le feu aux
poudres dans ce petit pays riche.
Derrière la question de la filiation, se profile celle de la
violation de la constitution de la République gabonaise. Celle-ci pose
en son article 10 al. 4 que les Gabonais naturalisés ne peuvent briguer
la présidence de la République qu’à partir de la quatrième génération.
Ainsi, pour constituer son dossier de candidature à l’élection
présidentielle anticipée de 2009, Ali Bongo Ondimba a-t-il présenté ce
qui paraît être un faux acte de naissance pour contourner la question de
son adoption !
La Haute Cour de Justice saisie
Sommé de s’expliquer par la société civile et particulièrement par
les membres de l’opposition tous réunis en un seul collectif – Le Front
Uni de l’Opposition –, le chef de l’Etat n’a à ce jour donné aucune
suite ni réponse quelconque. Son entourage proche et autres
porte-paroles ont présenté deux actes de naissance qui semblent aussi
faux l’un que l’autre. La démarche de l’opposition a été officialisée
dans un premier temps par le dépôt d’une plainte au Tribunal de Grande
Instance de Libreville pour faux et usage de faux, qui venait clore une
marche pacifique de la population réprimée dans la violence le 13
novembre 2014. Cette plainte devait être classée sans suite par le
procureur de la République, Mme Ouwé estimant que les membres du Front
de l’opposition n’avaient pas d’intérêt à agir !
Les membres du Front de l’opposition, en la personne de Jean de Dieu
Moukagni Iwangou, ancien directeur de l’école de la Magistrature de
Libreville, ont également saisi la Haute Cour de Justice en vue de la
destitution d’Ali Bongo. Depuis cette date, les manifestations, et
meetings réclamant le respect de la constitution et le départ d’Ali
Bongo se font de plus en plus nombreux malgré l’interdiction des
pouvoirs publics, et suscitent toujours la répression sanglante des
forces de l’ordre. Plusieurs manifestants, dont le jeune Bruno Mboulou
Beka, y ont déjà laissé la vie.
Face « au parti-pris de la justice » et aux violences dont ils sont
victimes – interpellations arbitraires, violences physiques,
interdictions de sortir du territoire gabonais, cambriolages – plusieurs
membres de l’opposition (dont Jean Ping, Jean de Dieu Moukagni Iwangou,
Jacques Adiahénot, Luc Bengone Nsi), ont saisi les présidents de
l’Assemblée nationale et du Sénat en vue de la constitution de la Haute
Cour de Justice. Le but de la procédure ? Qu’Ali Bongo réponde des
accusations de faux et usage de faux, et qu’il soit destitué.
700 milliards de FCFA détournés ?
Cette casserole n’est pas la seule à tinter avec fracas dans la
foulée du chef de l’Etat. Ali Bongo et ses proches seraient, selon
l’association Transparency International, auteurs d’un détournement de
700 milliards de francs CFA, soit environ 3 milliards d’euros entre 2011
et 2014. Ces pillages de fonds publics d’une ampleur encore jamais
égalée au Gabon pourraient expliquer le non-paiement des salaires des
fonctionnaires. Mais leurs implications iraient beaucoup plus loin.
Partout dans le pays, des entreprises publiques et privées partenaires
de l’Etat gabonais ne sont plus rémunérées, les chantiers de travaux
publics se trouvent à l’arrêt, les étudiants ne reçoivent plus ni bourse
ni ouvrages universitaires. Le tout dans un contexte de paupérisation
accélérée de la population, avec des Gabonais de plus en plus poussés
vers les décharges publiques pour se nourrir.
Conjuguées à la baisse des cours du pétrole, des grèves dans tous les
secteurs d’activité minent l’économie. Les syndicats sont vent debout
pour obtenir le paiement des salaires et autres primes dues. Certains
leaders tels que Marcel Libama sont menacés et violentés par le pouvoir
en place, d’autres encore comme Paul-Aimé Bagafou, secrétaire Général de
l’Onep, le puissant syndicat de l’industrie pétrolière, déplorent le
mépris du chef de l’Etat face aux revendications des salariés. Le pays
est paralysé à tous les niveaux, même au plan sportif : le « National
Foot », Championnat autoproclamé professionnel de première division, n’a
pas repris depuis août 2014.
La colère de la population gronde. Les Gabonais vivent la violence de
l’Etat au quotidien. Elle s’exerce non seulement au niveau économique,
mais aussi au niveau éducatif par l’abandon de l’enseignement public (de
la maternelle à l’université), et au niveau sanitaire, avec des
hôpitaux publics réduits à n’être que des mouroirs. Cette violence est
également physique à travers notamment les « crimes rituels », ces
assassinats perpétrés en vue de prélever des parties de corps humains
auxquelles les auteurs ou commanditaires prêteraient des « vertus
magiques ». Ces faits divers sont légion au Gabon et la population
désemparée fait face à l’inertie et au silence du gouvernement en place,
dont certains membres seraient soupçonnés d’être partie prenante de ces
ignominies. Les journalistes enquêtant et relatant ces faits sont
traqués, à l’instar nos confrères Désiré Ename ou Jonas Moulenda. Ce
dernier a fui en France après avoir échappé à une tentative de meurtre à
Kiossi, ville camerounaise proche des frontières gabonaises.
Lâché dans son propre parti
Les soutiens traditionnels du président de la République se font de
plus en plus rares. Dans son bastion, la province du Haut-Ogooué dont
était originaire Omar Bongo, les voix discordantes se multiplient.
Nombreux sont ceux qui, selon nos sources, sont entrés en opposition. La
dissidence se propage au sein même du parti au pouvoir, le Parti
Démocratique Gabonais (PDG) ! Le 28 février dernier, René Ndemezo’o,
baron de la majorité présidentielle et ancien ministre des Sports d’Ali
Bongo, député et plusieurs fois ministre du temps de son prédécesseur,
annonçait son entrée au Front Uni de l’opposition. D’autres grands
barons du parti au pouvoir seraient sur le point de lui emboîter le pas.
Chacun tente de trouver une issue sans Ali Bongo Ondimba à la crise qui
fait rage. Le pouvoir vacille, il est fébrile. Au sein même du PDG, le
mot d’ordre en vogue serait « Tout sauf Ali ».
Celui qui est encore le président garde son culot légendaire. Le 11
janvier, suite à l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, il est
venu marcher à Paris aux côtés des chefs d’Etat des grandes démocraties,
pour la liberté d’expression. Une mascarade dénoncée par la presse
gabonaise muselée et par la presse française. Aujourd’hui cette même
presse gabonaise proche de l’opposition continue d’être bâillonnée. En
témoignent les sanctions infligées par le Conseil national de la
communication(CNC) : un mois d’interdiction de publication au journal
L’Aube, et une mise en demeure envoyée au journal La Loupe fin février.
Mobilisation sur les réseaux sociaux
A l’intérieur du pays comme dans la
diaspora, les Gabonais se mobilisent par l’intermédiaire des réseaux
sociaux. Le pouvoir tente de faire taire ces voix de plus en plus
nombreuses. Des responsables associatifs comme Me Paulette Oyane Ondo,
avocate au barreau du Gabon et membre du mouvement Ça suffit comme ça
font l’objet de pressions. Malgré les menaces et les intimidations du
régime, des syndicalistes comme Marcel Libama, professeur de
mathématique de formation, membre de la dynamique unitaire, parcourent
le Gabon pour informer les fonctionnaires sur leurs droits,
particulièrement ceux de l’Education nationale.
Des causeries sont organisées par les membres du Front Uni de
l’opposition dans les quartiers de Libreville pour informer les
habitants de la filiation douteuse d’Ali Bongo Ondimba. Les populations
sont aussi tenues au courant des détournements massifs du clan au
pouvoir et des pressions du régime qui, au lieu de trouver des solutions
dans le cadre de l’école, tente de corrompre certains leaders syndicaux
ou adresse des plaintes aux syndicats (comme celui de Gabon Télécom)
pour avoir osé se mettre en grève.
Les Gabonais veulent tourner la page Bongo Ondimba et du « Gabon
Emergent ». Jadis répété à l’envi, ce slogan ne masque même plus le
non-respect des engagements présidentiels. Les 5000 logements promis par
le candidat se font toujours attendre à un an de la fin de son mandat,
alors que les inondations viennent toujours pourrir la vie des quartiers
de Libreville en dépit des milliards de FCFA supposément consentis à
l’Agence nationale de grands travaux (ANGT) chère au président Ali
Bongo.
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