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Cash Flow : Au pays de l’argent liquide par Hiondi Nkam IV

Réflexe culturel, terreau de la corruption, l’argent liquide circule à profusion au Cameroun. Enquête sur un phénomène qui a la peau dure.
Manchester. Un dimanche du mois de juin 2005. Il est 3h du matin. Assis au devant d’une rutilante Mercedes, le chanteur camerounais Petit Pays truste nerveusement les billets de banque qui inondent les poches pourtant si profondes de son pantalon. Sifflotant frénétiquement un de ses airs à succès, il doit en ce moment précis envisager un bon spectaculaire dans l’un des multiples chantiers de construction qu’il mène à Douala. La moisson a été bonne. Invité à prester pour la première fois dans le Nord de l’Angleterre, le turbo d’Afrique a fait salle comble à Manchester. Transporté par l’interminable répertoire de la star du Makossa love, le public présent s’est montré particulièrement généreux.


En une  seule soirée Petit Pays a ainsi amassé près de 6 000 livres (plus de 5,5 millions de Cfa selon la parité du moment). Jolie magot au bout d’une nuit féerique. Confortablement installé, Petit pays médite aux cotés de Leo, l’organisateur du spectacle. Au volant de son bolide, celui-ci se presse sur le chemin de l’hôtel Crayton où réside la star. Mais comme venu de nulle part, un girofar vient briser cette nuit si langoureuse. La police est dans les parages et demande à contrôler les occupants du véhicule. Nous sommes à 50 m de l’hôtel et dans un mouvement prompt et discret, Petit pays se glisse hors de la Mercedes et se perd dans les alléees de l’hôtel. Il vient ainsi d’échapper à un contrôle qui aurait indubitablement conduit à la saisie de son important magot. Pour avoir longtemps vécu en France, Claude Aldophe Moundi sait que le port d’espèces sonnantes et trébuchantes est un exercice qui peut mener à l’ouverture d’une enquête policière.


Interrogé ce jour-là, Petit pays aurait eu du mal à justifier la provenance d’une telle somme compte tenu du fait que ce spectacle, comme bien d’autres livrés par les artistes camerounais en Europe n’avait été pas dûment déclaré. Yaoundé, 6 juillet 2008, il est 23h. Assis sur le lit de sa chambre d’hôtel, le boxeur camerounais Issa Hamza égrène fiévreusement les billets de banque qui viennent de lui être remis par les autorités camerounaises pour son combat du championnat du monde de boxe poids super welter de la Wbf, prévu le lendemain face au Thailandais Kiatchai Singwancha. Il y en a pour 16 millions et le boxeur doit compter pour s’assurer que rien ne manque. L’exercice dure finalement toute la nuit et le champion ne trouve le sommeil qu’au petit matin. Sèchement battu par son adversaire, Hamza crache son dépit à l’issue du combat : « tantôt ils me disaient que j’ai droit à 30 mille euros (19 millions FCFA), tantôt ils me disaient que c’est 50 mille euros (32 millions FCFA). Au moment où je devais dormir, certains me menaçaient en me disant que si je ne veux pas prendre cet argent que je laisse. Ils ont également refusé de payer mon coach alors que c’est lui qui me forme depuis longtemps. Psychologiquement je n’étais pas prêt ».

Et son épouse d’enchainer : « après des tractations difficiles, des éclats de voix et tout, c’est vers 23h qu’on nous a apporté un sac d’argent que nous avons passé la nuit à compter. Nous nous sommes couchés vers 2h. Hamza n’a pas pu se reposer comme il se devait ».

« Palper des billets de banque »
Manchester, Yaoundé. Deux villes, deux pays, deux mondes, deux contextes. Un artiste qui s’échappe de justesse pour ne pas avoir à répondre du port d’argent liquide. Un boxeur qui compte jusqu’à exténuement de l’argent liquide à lui remis par les autorités de son pays. Deux mondes, deux réalités. En Angleterre comme dans bien de pays occidentaux, le port de grandes quantités d’argent liquide est rare. Il ne peut se justifier que dans des circonstances exceptionnelles. En 2008, un Camerounais a ainsi été gardé à vue et interrogé par la police londonienne au motif qu’il détenait plus de 3.000 livres (environs 2,7millions de FCFA) au sortir d’une boite de nuit. La police anglaise qui agit sous le couvert de la PACE RULES a le droit d’enquêter sur la provenance de l’argent liquide dans sa traque contre les trafics de drogues et autres transactions maffieuses qui s’effectuent en général en cash.

Dans un pays où le taux de bancarisation frôle les 100%, le port de l’argent liquide est une exception. Tout le monde va à la banque et tout le monde sait se servir d’une carte de crédit. La réalité est la même en France où argent liquide rime avec suspicion. Des perquisitions menées en janvier 2014 dans les propriétés du comédien d’origine camerounaise Dieudonné Mbala Mbala, et au Théâtre de la Main d’Or à Paris où il se produit, ont permis de saisir quelque 650 000 euros et 15 000 dollars en espèces. Et même si l’avocat du polémiste avait soutenu que cet argent liquide était accompagné de "toutes les contremarques des tickets" pour des spectacles au théâtre parisien de la Main d'Or ou d'ailleurs, la police a fait de cette perquisition un des axes majeurs d’une enquête préliminaire pour blanchiment d'argent, organisation frauduleuse d'insolvabilité et abus de biens sociaux visant l'humoriste controversé.

En 2006 déjà, 41,5 % des transactions financières dans le monde étaient réalisées par cartes bancaires contre 25,5 % pour les chèques, 17,9 pour les prélèvements, 15,2 pour les virements et seulement 0,9% pour les espèces. Des études plus récentes font état de la généralisation de l’utilisation des cartes bancaires dans les pays émergents et certains pays en voie de développement. Contre évidemment une réduction conséquente de la circulation des espèces. Au Cameroun, les habitudes sont totalement différentes. « Au pays de l’argent roi, on aime palper les billets de banque, ironise un journaliste camerounais. On a l’impression que l’argent n’est vraiment argent que quand on peut le compter, l’avoir dans sa poche ». Dans le pays, la pratique est pour ainsi dire, monnaie courante. Les paiements dans les administrations publiques se font régulièrement en cash.

Les Lions Indomptables, l’équipe nationale de football se fait fréquemment payer en espèces à la veille de grands rendez-vous sportifs. La scène ubuesque de cet agent du ministère de sports se baladant avec plus d’un milliard de FCFA en liquide à la veille du départ des Lions pour la Coupe du Monde brésilienne de 2014 a émerveillé le tout Yaoundé. Le fonctionnaire n’avait pu se délester de cet imposant magot qu’au petit matin après 24 h de supplice et de chantage des Lions qui n’avaient de cesse de monter les enchères pour faire cracher encore plus de liquide au Président de la Fécafoot.

L’impossible réforme ?
Pour Gédéon Adjomo, chargé d’étude au ministère des finances, « c’est d’abord un problème culturel, les camerounais aiment toucher les numéraires ». Le fonctionnaire évoque aussi une pratique légale propice à la circulation de l’argent liquide. « La loi n’oblige personne à ouvrir un compte, précise-t-il, il y a encore beaucoup de transactions qui se font en cash, la trésorerie paie en cash par exemple. On ne peut pas forcer des gens à ouvrir des comptes bancaires, on ne peut que se limiter à la sensibilisation », constate le fonctionnaire du Minfi. Sur les actions entreprises par son ministère pour limiter les transactions en argent liquide, Adjomo évoque un service minimum : « L’année dernière par exemple nous avons entrepris de sensibiliser les populations sur instruction du ministre, les banques aussi font des efforts mais on ne peut pas faire plus” reconnait-il.

Outre la sensibilisation, c’est une refonte en profondeur qui permettrait de passer le cap de l’argent liquide roi : « Pour que la trésorerie puisse payer par virement, il faut une restructuration en profondeur, il faut par exemple qu’elle s’arrime au système monétique international et ca implique une refonte dans le domaine de l’informatique par exemple”, indique encore Gédéon Adjomo. Où en est-on avec cet impératif de restructuration? La réponse du fonctionnaire du ministère des Finances laisse songeur sur la volonté du gouvernement à changer les choses. « Il y a une réflexion qui est engagée à ce sujet mais ca reste encore au niveau de la réflexion, pour le moment on fait avec”. En attendant, les camerounais restent toujours aussi frileux vis à vis des banques.

En 2011, le taux de bancarisation du Cameroun était estimé à 13,8%. Il n’a pas beaucoup évolué en quatre ans. « On n’y croit pas beaucoup d’autant plus qu’il y a beaucoup de micro finances qui ferment » avoue Blanche Pom, une commerçante basée au quartier Ekounou à Yaoundé. « Je préfère être payé en cash et ça évite les longues files d’attente à la banque », poursuit David Boko taximan dans la même ville. Il fait un procès à l’institution bancaire de son pays. « Au Cameroun, les banques ne prêtent pas l’argent à n’importe qui. Elles sont sélectives, dans une tontine je peux avoir de l’argent à tout moment! », s’exclame-t-il. Au demeurant, le système s’accommode très bien de ce flux d’argent liquide qui est un véritable terreau de la corruption.

« S’attaquer au cash c’est s’attaquer aux privilèges de plusieurs personnes, c’est plus facile de détourner quand il y a de l’argent liquide, ça ne laisse pas de traces », nous dit en s’éloignant un agent du ministère des Finances. D’autres indiscrétions glanées dans ce département ministériel indiquent que l’actuel maitre des lieux, Ousmane Mey s’est d’ores et déjà cassé les dents dans sa volonté affichée de réduire le flux de cash dans l’administration camerounaise. Chargé de la formation et du recyclage du personnel de l’administration sur des questions de finance , le Programme supérieur de spécialisation en finances publiques (PSSFP) veut placer son action sur la  numérisation des pratiques financières. « Mais il y a trop de réticences, nous dit-on au sein de cette institution. On a l’impression que le système actuel plait à tout le monde ». Le gouvernement de la République, qui n’a de cesse de claironner sa volonté de lutter contre la corruption, n’ignore rien de cette pratique. La question demeure de savoir s’il veut vraiment s’y attaquer.


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