L’étude de la banque africaine segmentait la classe moyenne africaine en 3 sous-catégories : Une sous-catégorie flottante vivant avec des revenus qui vont de 2 à 4 dollars par jour ; Une sous-catégorie intermédiaire dont les revenus vont de 4 à 10 dollars par jour ; et une classe moyenne supérieure dont les revenus vont de 10 à 20 dollars par jour.
L’attention portée à l’émergence d’une classe moyenne africaine fait périodiquement l’objet de débats nourris tantôt pour solidifier l’argumentaire afro optimiste, tantôt pour formuler quelques doutes. En réalité il y a lieu de s’interroger sur la définition de la classe moyenne proposée par la BAD. Présenter comme appartenant à la classe moyenne des individus dont les revenus varient de 2 à 4 dollars par jour n’est pas sérieux au regard du niveau de vie réel de la classe moyenne africaine dont les revenus sont largement plus importants. Il s’agit très certainement d’une sous-catégorie intermédiaire entre le vaste prolétariat et la classe moyenne. Mais ce n’est pas encore la classe moyenne. Le seul fait de pouvoir satisfaire d’autres besoins que les besoins alimentaires primaires ne fait pas d’un individu un membre de la classe moyenne. Ce que la Bad présente dans sa schématisation comme la classe moyenne supérieure, c'est-à-dire les individus ayant entre 10 dollars par jour et 20 dollars, représente en réalité la classe moyenne inférieure.
On peut se demander au demeurant comment une institution comme la BAD a pu se tromper à ce point. On peut imaginer qu’elle voulait répondre à une demande très utilitaire d’origine commerciale. Au moment où les maîtres impitoyables du mondialisme transnational et homogénéisant s’acharnaient à faire avaler aux potentats africains la pilule dévastatrice du libre échange, les industriels occidentaux voulaient se faire une idée de la densité du marché qu’ils convoitaient, et exprimaient dans cette démarche un intérêt particulier pour les individus qui dans l’Afrique en croissance sont sortis de la grande misère.. Interpelée à définir cette population par rapport au revenu journalier par dollars la banque africaine l’a située à partir de 2 dollars. La faute qu’elle a commise par la suite a été d’inclure cette population dans la classe moyenne. Un consommateur qui sort du prolétariat n’entre pas nécessairement dans la classe moyenne. Il existe entre le prolétariat et la classe moyenne, plusieurs strates intermédiaires.
Invité à s’exprimer sur une chaîne de télé française, l’historien proche de l’extrême droite française Bernard Lugan connu pour ses propos peu aimables à l’égard des africains, a surfé sur les faiblesses du rapport publié par la BAD. Pour en venir à une conclusion radicale :
<<la classe moyenne africaine n’existe pas. C’est du pipo.C’est du vent.>>
Même motivée par le racisme la critique formulée par Bernard Lugan est pourtant solide et pertinente :
<< La BAD nous explique que la classe moyenne Africaine possède des revenus qui vont de 2 dollars à 20 dollars. Et ajoute que les personnes possédant entre 2 dollars et 4 dollars constituent la catégorie la plus dense de cette classe moyenne. Est-cela une classe moyenne ? C’est du vent. La classe moyenne africaine n’existe pas. >>
La critique de l’historien est en béton. Mais la conclusion qu’il en tire, c'est-à-dire <<la classe moyenne africaine n’existe pas>> , est un Sophisme .C’est à dire un argument d’apparence pertinent mais faux. Lugan a réussi son coup : Les afro optimistes ont été ridiculisés..L’homme africain a été insulté pour une énième fois.
La classe moyenne africaine existe bel et bien. Que la BAD se trompe dans ses catégorisations ne change rien à la réalité. Cette classe moyenne est là , nous la voyons .Il est même facile de l’identifier en observant l’espace géographique d’une ville africaine où on repérer des quartiers typés classe moyenne. On peut soutenir avec une marge d’erreur trop faible que tous les individus qui y vivent sont tout sauf des pauvres.
Ce qui nous paraît décisif à analyser ce n’est pas tellement l’existence d’une classe moyenne africaine, Parce qu’elle a toujours existé. C’est son expansion et les problèmes qu’elle posera demain à la ville africaine. Il n’est pas évident que les Etats postcoloniaux seront partout capables de l’accompagner dans son développement.
L’élément le plus visible de son expansion c’est le boom de l’habitat moderne. Toutes les pays africains du Cameroun à la côte d’ivoire se sont engagés dans de méga projets immobiliers pour offrir à leur classe moyenne des milliers de logements. Au Cameroun le Mindhu est entrain de construire 10 mille logements modernes. Et jusque là les observateurs estiment que l’offre est très inférieure à la demande. Pour que la demande globale soit satisfaite rien qu’à douala il faudrait construire 100 mille logements modernes pour la classe moyenne. Les prix des logements en construction proposés par le Mindhu vont de 16 726 500 (pour 3 chambres, un séjour, une salle à manger, 2 salles d’eau, Cuisine ,Buanderie, Balcons, wc ) à 20 832 000 FCFA(pour 4chambres, un séjour, une salle à manger,2 salles d’eau, une cuisine ,une buanderie, un balcon, un wc)
En côte d’ivoire l’Etat est entrain de construire 60 000 logements modernes destinés à la classe moyenne. Le prix du logement de moyen standing variera entre 30534 et 38 167 Euros.
Une fois de plus l’offre est largement inférieure à la demande. Et jusque là nous ne parlons que des maisons construites par l’Etat. Combien de villas ayant une valeur analogue ont été construites en côte d’ivoire par des individus. Si on devait les compter les chiffres seraient étourdissants mais donneraient une idée du patrimoine de la classe moyenne africaine. Ce patrimoine est immense n’en déplaise à Lugan qui semble bien agacé à l’idée que les africains s’enrichissent. L’homme est tellement accoutumé à les considérer comme de minables individus, que toute image qui va dans le sens inverse le perturbe.
Mais qu’est-ce qu’une classe moyenne ?
La classe moyenne est un ensemble hétérogène de populations situées au dessus des pauvres et en dessous des classes aisées. Elle correspond à un vaste salariat intermédiaire qu’on peut diviser en deux sous-groupes :
-La classe moyenne inférieure :
Elle est composée des enseignants de lycée et d’université, des infirmières, des employés de la fonctions publiques, des ouvriers spécialisés ,des commerçants… leurs revenus vont de 200 mille francs cfa à 400 mille.
-La classe moyenne supérieure :
Elle est composée des cadres du secteur privé, des médecins, des architectes…leurs revenus oscillent entre 400 mille francs cfa à 800 mille francs approximativement.
Au-delà de ces montants on entre dans la bourgeoisie africaine qui est elle-même divisée en plusieurs sous-groupes :
la petite bourgeoisie :
Située juste au dessus de la classe moyenne supérieure, elle regroupe les individus qui dans le monde des grandes entreprises constituent ce qu’on appelle le réservoir des hauts potentiels. Ils ont souvent des revenus qui dépassent le million de francs Cfa par mois. On pourrait aussi inscrire dans cette catégorie certaines professions libérales relativement rentables : Les huissiers de justice, les experts comptables, les pharmaciens…
-la moyenne bourgeoisie
C’est à la porte de cette caste que s’arrêtent les salariés. La moyenne bourgeoisie regroupe les hommes d’affaires qui ont l’habitude de signer des gros contrats. Un entrepreneur appartient à cette sphère d’en haut lorsqu’il est propriétaire d’une entreprise dont le chiffre d’affaires s’élève à plusieurs centaines de millions de francs Cfa. Dans son livre intitulé l’argent des autres Celestin Monga révélait une enquête d’où il ressortait que la moitié des PME interrogées à Douala appartenaient à cette catégorie. On rencontre les membres de cette classe sociale dans le mécénat sportif. Ils seront souvent dirigeants des clubs de football.
Les ultras-riches :
A qui pense t on lorsqu’on évoque en Afrique les ultras-riches ? L’imagerie paresseuse nous renvoie généralement à l’image du ministre. Or nous ne voulons surtout pas parler des ministres et des hauts fonctionnaires. L’argent volé par certaines élites a diffusé dans le monde entier et même à l’intérieur de l’Afrique une très mauvaise image de la bourgeoisie africaine. Il est parvenu à faire régner l’idée grotesque qu’un africain riche était forcement un individu qui avait prospéré sur ce que Marx appelle <<l’accumulation primitive du capital>>. Cette représentation du bourgeois africain fausse la compréhension du potentiel existant sur le continent.
Les ultras-riches auxquels nous nous intéressons dans la constitution de ce panorama sont pour l’essentiel des créateurs de richesse.
(On peut mettre dans cette catégorie tous les africains qui possèdent des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard de francs CFA)
Les ultras-riches ont désormais des noms et des visages connus :
Ali Dangote , Mohammed Dewji de la Tanzanie, Mo Ibrahim, Desmond Sacco le magnat minier Sud Africain, Folorunshu Alakija, Femi Otedola. Tous ces individus sont milliardaires en dollars.
Il existe rien qu’en Ethiopie 100 mille individus millionnaires en dollars. La référence au dollar donne l’ampleur de leurs richesses mais cette référence doit s’arrêter là, un africain est d’abord millionnaire ou milliardaire par rapport aux monnaies en usage sur le continent.
La bourgeoisie africaine et sa sociologie
La bourgeoisie est de toutes les classes sociales, la seule qui possède une véritable conscience de classe. Le prolétariat et la classe moyenne ne possèdent aucune conscience de classe. Même quand le prolétariat se rebelle quelque part dans le monde c’est souvent parce qu’il a été manipulé par des gens qui viennent d’une autre classe sociale que le prolétariat lui-même.
Toute bourgeoisie se positionne par rapport au reste de la société par le rejet des mélanges et le besoin de tracer ses frontières. Elle est habitée par l’obsession de la séparation territoriale. La bourgeoisie africaine est identifiable géographique par l’existence d’un paysage d’en-haut. Elle ne loge plus dans des villas mais dans des palais. Quand les bourgeois investissent une zone non habitée le prix du terrain augmente de manière mécanique et le quartier devient inaccessible aux pauvres.
La bourgeoisie africaine se divertit dans des espaces de sociabilité qui lui sont propres et souvent estampillés à l’entrée : << Réservé aux membres>>.La bourgeoisie ivoirien se rencontre dans des bars à cigare, au Ghana l’élite se rencontre au polo, un sport équestre d’origine perse propagé à l’échelle mondiale par les puissances coloniales. Le Polo est désormais considéré au Ghana comme un sport de personnes influentes. C’est d’ailleurs ce que laisse penser les propos de Rasheed Ibrahim directeur de la holding Dar Salam Group, membre de la Accra Polo club crée en 1902 :<<Notre club cherche à attirer les dirigeants d’entreprises et les personnalités de haut rang>>.Au Nigeria et au Kenya la bonne société accourt plutôt le golf. L’explosion des clubs de golf est révélatrice de l’expansion des classes aisées sur le continent.
On compte actuellement sur le continent africain plus de 400 Clubs de golf. La bourgeoisie africaine a définitivement acquis le maniement des jeux et des arts distingués. Elle reste néanmoins trop faible intellectuellement. Elle n’a pas crée comme ailleurs dans le monde des clubs de réflexion, <<des trilatérales>>, des maçonneries spéculatives…Et pourtant cette faiblesse n’est pas un héritage de l’ex-empire Songhaï. La civilisation négro africaine a connu bien avant l’expérience coloniale des bourgeoisies qui étaient très brillantes dans la vie de l’esprit.
+++++++++++++++
Revenons à la question initiale. Quelle est l’ampleur réelle de la classe moyenne africaine ? La question oppose deux camps. Ceux qui pensent qu’elle n’a pas la mesure que lui donne la nouvelle vogue afro optimiste. Et ceux qui pensent plutôt le contraire et estiment à ce propos que ses membres sont beaucoup plus nombreux que ceux qui a été révélé par l’étude de la BAD. Si on ne devait prendre en compte que les personnes qui exercent un emploi formel les membres de la classe moyenne africaine seraient moins nombreux que ce qui est annoncé dans les estimations de la BAD car on serait obligé d’exclure de la classe moyenne les personnes qui gagnent moins de 10 Dollars par jour.En dessous de 10 dollars par jour nous ne sommes encore dans une véritable classe moyenne. Mais dans des strates intermédiaires entre la classe moyenne et le vaste prolétariat.
On peut par contre aller d’une autre hypothèse d’analyse : Le secteur informel représente la moitié du potentiel économique des sociétés africaines. Ses millionnaires n’ont pas été comptés. Et si on devait les compter serait-il seulement possible de les recenser tous ? Combien sont-ils à l’échelle continentale des commerçants qui se cacher dans l’informel, des marchants qui dissimulent leurs activités parce qu’ils ne veulent pas payer l’impôt ?
On nous explique aussi que la classe moyenne africaine dépend outre le revenu de la possession de certains biens (téléviseur, voiture, réfrigérateur), du type de revêtement du sol et de toilettes dans l'habitation, de l'accès à l'électricité et à l'eau potable.
Cette considération sociologique supplémentaire comporte le risque de fausser la compréhension de certains paramètres propres à l’Afrique.Le sociologue Jean Pierre Warnier expliquait dans une étude consacrée à la classe d’affaires Bamiléké qu’un commerçant bamiléké peut continuer à vivre pendant très longtemps dans des ghettos sordides alors qu’il possède déjà des revenus considérables.
Nous sommes là devant un paradoxe qui devrait amener l’immigré qui a vécu trop longtemps en Europe et son collègue le touriste occidental pressé trop prompts à discourir sur la misère qu’il auraient vu en Afrique à réajuster le logiciel à partir duquel ils interprètent les réalités du continent.
NDJAMA BENJAMIN
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Laissez nous un commentaire sur cet opinion.