Que des paniers soient placés dans des super-marchés et autres grandes surfaces pour demander l’aumône comme effort de guerre ne nous honore guère et ne soigne pas l’image du Cameroun aux yeux des étrangers et des investisseurs qui y entrent. C’est un acte qui présente nos vaillants soldats comme une armée de mendiants. Tout le boucan qu’on en fait finit par transformer l’opération en une compétition de patriotisme et de positionnement. Il détourne l’attention des soldats de la guerre qu’ils mènent pour la concentrer plutôt sur le partage des dons qui pleuvent. . Pour être efficace et résolument patriotique, une telle opération aurait dû être discrète et orientée là où il faut, avec toutes les garanties de traçabilité. La Bible dit de l’aumône que « la main droite ne sache ni combien ni ce que la main gauche donne ». Mais, ici, rien ne se fait sans les caméras et la publicité ! Cela n’est plus neutre ! De cette façon, un vrai bilan ne devrait en être fait qu’à la fin de la guerre, avec la liste de tous les donateurs et du montant ou de la quantité de leurs dons, accompagnée des émargements des bénéficiaires. Doit-on relever que la lumière n’a jamais été à ce jour faite sur la gestion et le bilan du Coup de Cœur de 1994 en faveur des Lions Indomptables ?
Je me demande d’ailleurs pourquoi la même opération n’a pas été organisée pendant la guerre de Bakassi et comment le gouvernement s’y était pris pour s’en sortir sans tambours ni trompettes avec le seul budget de l’Etat et de la défense. Je crains que le chef d’un parti qui n’a pas cru devoir rassembler toutes les forces qui comptent au Cameroun pour les impliquer dans une réflexion sur cette lutte contre Boko Haram ne se serve de cette opération pour ressouder les morceaux d’une formation en lambeaux, déchiquetée par les scandales, les détournements, les querelles de chiffonniers, les luttes de positionnement interne et les frustrations diverses. Comme on le voit, les rivalités de dons ne se font plus seulement entre les individus, mais entre les régions, les départements, les sections ou les sous-sections « du Parti ». Je sais qu’on nous parle sans relâche de la spontanéité du geste, mais quand Patrick Ndongo de Cameroun-info.net nous révèle qu’en « parcourant » minutieusement la liste des dons en espèces sonnantes et trébuchantes et en nature déjà réceptionnés auprès des comités de gestion créés à travers le Cameroun d’après un communiqué du Ministre de la communication (Mincom) lu au journal de 13h sur le poste national le lundi 06 avril 2015, il est tombé sur un don de « 301 palettes d’eau minérale d’une contenance d’01 litre par bouteille offerte par les élèves de la classe de 6ème B du Collège de la Retraite de Yaoundé », ne peut que jeter le doute et la suspicion sur les motivations profondes qui ont présidé à l’initiation et à l’organisation de cette opération ainsi que renforcer nos convictions sur la soif inavouée de manipulations et récupérations qui la sous-tendent.
Un Etat responsable ne peut pas à la fois refuser de réduire son train de vie et organiser des opérations coup de cœur pour les besoins d’une armée en guerre. La décence et l’éducation que j’ai reçue m’empêchent d’évoquer certaines formes de gabegies qu’entretiennent certains membres du gouvernement au moment où on demande aux indigents Camerounais de donner toujours pour la marche du Pays. Les Grandes Puissances telles que la France, les Etats Unis et autres ont à peine 20 ministères alors qu’elles comptent des centaines de millions d’habitants et que leur ambition est de dominer et de gouverner le monde. Le Tribunal Criminel Spécial (TCS) pourrait tout aussi renflouer les comptes de la défense avec les sommes d’argent déjà reversées par les détourneurs de fonds dans le processus de la justice transactionnelle. Dans des moments difficiles, on taxe aussi les grandes fortunes et les objets de luxe.
Quand l’ennemi se rend compte que c’est avec l’aumône qu’on finance notre armée, il reprend courage, se disant que nous sommes au bord de la rupture financière et que s’il tenait encore un peu, nous craquerions. Je ne peux pas ne pas rappeler que chaque fonctionnaire et agent de l’état est soldat à son poste et pour que le Cameroun avance, il doit combattre avec les armes de son métier. Chacun est payé pour rendre un service spécifique qui est tout aussi utile que celui de n’importe qui. Dans cette optique, tous les fonctionnaires se valent. Pourquoi ne faisons-nous pas autant de bruit quand les médecins soignent les malades, quand les journalistes informent, quand les enseignants enseignent, quand les agriculteurs cultivent, quand les douaniers risquent leur vie aux frontières pour faire entrer des devises, etc.? Ne donnons pas l’impression qu’au Cameroun seule l’armée est utile et patriote.
En 92-94, les fonctionnaires et agents de l’état ont donné 75% de leur salaire pour on ne sait quelle guerre et les autres ont été épargnés sous le prétexte qu’ils exécuteraient des missions difficiles. A ce jour, beaucoup sont à la retraite et tirent le diable par la queue car ils ne s’en sont jamais remis.
Il n’y a pas de métier à risque zéro. Quand le pilote décolle, il ne sait pas s’il atterrira. Dans le monde entier, les enseignants sont régulièrement agressés, battus et même abattus dans leurs établissements scolaires ou leurs salles de classes. Les médecins meurent quotidiennement contaminés par le sida, l’ébola ou autres maladies qu’ils soignent et tous les travailleurs sont d’une façon ou d’une autre exposés à des risques insoupçonnés. Personne ne marche pour eux, personne ne cotise pour eux et il n’y a pas d’état d’âme quand il faut charcuter leurs salaires de 75% et épargner ceux des autres comme si tous ne vivaient pas dans le même pays, achetaient dans les mêmes marchés et subissaient les mêmes pressions imposées par le pouvoir d’achat et le coup de la vie. Ne donnons pas à nos soldats l’impression que ce qu’ils font aujourd’hui ne fait pas partie du travail pour lequel ils ont été recrutés et pour lequel ils sont payés depuis des lustres. Cela ne veut pas dire que je ne soutiens pas notre armée. Je la soutiens comme je soutiens tous les autres Camerounais qui se sacrifient chaque jour partout où ils travaillent afin que le pays avance. D’ailleurs, comme tous les universitaires de ma génération qui étaient astreints au service militaire, je suis officier de réserve et peux être mobilisé à chaque instant. Ce que j’accepterais volontiers, à condition qu’au front, tout le monde soit soldat!
TAKOUGANG Jean, SDF Shadow Cabinet Ministre de l’Education et de la Formation
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