A trois ans de la fin du dernier (?) septennat du Président, c’est le calme plat dans l’establishment.
Les ambitieux se terrent, à l’abri des briseurs de carrières. Une
longue fin de règne commence. Paul Biya a déclaré être en « excellente
santé » le vendredi 27 mars à son retour d’un séjour privé à Genève en
Suisse. Le site d’information en ligne du journal français « Le Monde »
l’y avait annoncé malade, coincé entre des problèmes cardiaques et un
cancer de la prostate nécessitant une opération chirurgicale à laquelle
le chef de l’Etat se refusait. Le retour de Paul Biya dans son pays
devait être le démenti le plus cinglant. Accompagné de son épouse, il a
descendu la passerelle de l’avion, franchi les mètres qui le séparaient
de la loge présidentielle de l’aéroport de Nsimalen et entamé les
audiences traditionnelles avec ses proches collaborateurs sous l’œil de
la caméra de la télévision d’Etat. Une mise en scène rien d’anormal,
mais en creux l’envie de montrer un président normal et bien portant.
Paul Biya n’est pas malade, mais son pas n’est plus aussi assuré. S’il
ne cherche pas le sol, quelquefois sa jambe manque de fermeté. Le chef
de l’Etat camerounais porte de plus en plus le poids de son âge – 82 ans
– et accuse plus souvent qu’à son tour ses 33 ans de pouvoir suprême.
Les plus heureux du « retour triomphal » du Président ne sont pas
prioritairement Paul Biya et son épouse, mais la clique de conservateurs
qui l’entourent au risque de prendre en otage ses derniers jours de
pouvoir. La présence d’un Paul Biya en pleine possession de toute sa
puissance constitutionnelle est pour eux l’assurance d’une longévité
sans fin au cœur du pouvoir. Cette ceinture de thuriféraires qui
enserrent l’homme du 6-Novembre n’est pas nouvelle. C’est une vieille
ficelle que Paul Biya se coltine depuis plus de trente ans. Un ancien
ministre raconte : « Pour comprendre pourquoi il existe un hiatus entre
ce que dit le Président et ce qui est fait, il faut intégrer ces
caciques qui l’entourent. Je n’ai pas compris que ce sont eux les
dépositaires du vrai pouvoir. J’ai fait ce que le Paul Biya préconisait,
au prochain gouvernement j’étais mis de côté. » Revenu aux affaires, ce
membre du gouvernement s’est aligné, mais son analyse est restée lucide
et il tient ses comptes d’apothicaires de ceux qui traduisent dans le
langage qui les avantage le discours présidentiel : « C’était d’abord
les Andze Tsoungui, Oyono… puis est arrivée une nouvelle vague
chapeautée par René Owona. Aujourd’hui, c’est autour de Belinga Eboutou
que ça se joue. »
Le G11 ou la logique de liquidation
Ces Templiers des temps modernes sont les gardiens du pouvoir
biyaïste, qu’ils protègent même de Paul Biya. A trois ans de la fin de
l’actuel septennat, le sujet de la succession du chef de l’Etat est
aujourd’hui quasiment tabou. Au sein du parti au pouvoir et du
gouvernement, chacun agit comme si le règne de Paul Biya était éternel,
comme si une consigne était donnée de ne jamais évoquer les scénarios de
l’après-Biya. En cela, ce septennat diffère du précédent. L’élection
d’octobre 2004 gagnée, a surgi d’on ne sait où le fameux « G11 ».
Regroupement fantasmé d’ambitieux nichés au sein du pouvoir, le G11 est
un croquemitaine créé de toutes pièces. Quelques années plus tard, les
Camerounais comprendront son but ultime. Urbain Olanguena Awono,
Polycarpe Abah Abah, Jean-Marie Atangana Mebara, autrefois fringants
ministres à des postes importants, sont en prison depuis 2008 et 2010
pour avoir été désignés comme triumvirs de cette nébuleuse, qui ne
visait, d’après les tenants de cette thèse, qu’à s’emparer du pouvoir
suprême, y compris par une élimination physique de Paul Biya. Le dossier
judiciaire de l’avion présidentiel se noue à cet endroit précis, où
l’accusation tend à montrer que l’Albatros était un cercueil volant et
que la panne enregistrée au premier vol du couple présidentiel était
préméditée.
Le débat de l’époque portait sur la succession de Paul Biya et des
ambitieux qui se préparaient dans l’ombre à l’assurer. Paul Biya a cru
ceux qui lui soufflaient que des « hommes pressés » avaient programmé
son effacement. Ces impertinents sont tous punis dans une manœuvre
appelée « opération Epervier ». Marafa Hamidou Yaya, ambitieux affirmé, a
été emporté dans le même élan punitif. Comme des Icare, ils brûlent
pour s’être trop rapprochés du soleil. La jurisprudence s’étant
installée, personne ne veut aujourd’hui lever le moindre doigt pour
exprimer quelque ambition, fût-elle légitime, de succéder à Paul Biya.
Ce dernier trône sur la couronne du Cameroun, mais des cerbères veillent
pour que jamais ne tombent le bifteck. Leurs exploits passés suffisent à
mettre tout le monde dans les rangs. Malheur à celui qui fera un pas de
côté.
Système verrouillé
Ce verrouillage du système se fait au
détriment du pays. Le Cameroun est dans une inhibition
quasi-généralisée. La compétence devient suspecte quand elle s’affirme,
l’inertie gagne l’espace public et la mal-gouvernance n’est plus une
honte. Les talents se mettent aux abris, parce que sifflent les balles
de la technophobie. Conséquence, le pays stagne et se vautre dans un
attentisme désolant. L’économie qui devait lui donner le souffle de
l’avenir étouffe. Dans un pays comme la Côte d’Ivoire, sorti de dix ans
de guerre, où les débats publics n’épargnent ni la succession de
Ouattara, ni les conflits partisans, l’économie carbure plein gaz. En
revanche, au Cameroun, on n’a ni débat public, ni performance
économique.
Pourtant, le pays doit préparer un successeur au mortel Biya.
La perspective fatidique, celle à laquelle doivent se résoudre les
gardiens du Temple et le RDPC, est que le président de la République du
Cameroun depuis 33 ans est au bout du rouleau. En 2018, Paul Biya aura
85 ans. Même s’il a de qui tenir, il est certain qu’il ne s’imposera pas
un scénario à la Lansana Conté de Guinée. Malade, affaibli, le défunt
successeur de Sekou Touré avait sollicité et obtenu un ultime mandat au
cours duquel il avait lui-même voté assis dans sa voiture. Poussé par
ses proches, il prêtera serment pour un mandat qu’il entamera à peine
avant de rendre l’âme. La suite a donné naissance à l’épisode ubuesque
Dadis Camara. Le Président n’a pas atteint ce stade de déchéance
physique, il est même en « excellente santé », mais le silence du
landerneau, pouvoir et opposition, cache en réalité un potentiel
explosif de conflits tous azimuts. Dans le secret se préparent des
affrontements.
Chaque jour qui passe expose le Président à la faute fatale. La
remise des médailles de la vaillance attribuées à certains éléments du
BIR, qui a provoqué des murmures de mécontentement dans le reste de
l’armée, en est une illustration. Le ministre de la Défense Edgar Alain
Mebe Ngo’o n’a pas été associé à cette opération qui souffre d’avoir
entaillé l’unité de nos forces de défense sur le front du combat contre
Boko Haram.
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/ Sérail : La succession de Paul Biya, nouveau sujet tabou par le journal Repères
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