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Comment réussir l’alternance au Cameroun avec près de 300 partis politiques légalisés ? par Jean-Bruno Tagne

Le dernier pointage de la direction des Affaires politiques au ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation fait état de l’existence au Cameroun de 298 partis politiques. Depuis le retour au multipartisme grâce à la loi du 19 décembre 1990 relative aux partis politiques, les Camerounais se sont lancés dans une course effrénée à la création des formations politiques. Dès 1991, soit à peine un an après la libéralisation de la scène politique, 57 partis sont légalisés. 25 ans plus tard, le Cameroun en compte 298, soit une moyenne de 11 partis politiques créés par an.

 Pour une population estimée à moins de 25 millions d’habitants, le nombre de partis politiques camerounais est jugé pléthorique. Qu’est ce qui peut justifier qu’il y ait autant de partis politiques au Cameroun ? Comment comprendre le paradoxe qui voudrait qu’il y ait une foultitude de formations sans que la scène politique camerounaise réussisse à sortir de sa morosité ou de sa grisaille ? L’opposition, aussi fragmentée a-t-elle des chances de réaliser le dessein qui est – en principe - celui de chaque formation politique : parvenir au pouvoir ?
 Dans son ouvrage, « Le choix de l’action » paru en 2014 aux éditions du Schabel, Marafa Hamidou Yaya, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation pendant 10 ans, semble reconnaître cette prolifération presque cancéreuse des partis politiques au Cameroun. Il soutient d’ailleurs qu’on atteint le pic de création des partis politiques en général à l’approche des consultations électorales. « Pour des raisons qui (…) tiennent davantage à l’appât du financement public des campagnes que d’une véritable volonté d’amélioration des conditions de vie des populations », écrit-il. Une situation, ajoute l’ancien ministre, qui « dessert notre démocratie ».


Pour certains leaders de partis politiques, le nombre de formations sur le papier n’a rien à voir avec la réalité sur le terrain. « Sur le papier, explique Sosthène Médard Lipot, cadre au Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), l’un des derniers-nés de la famille des partis politiques au Cameroun, la scène politique camerounaise présente une configuration de puzzle, dont les partis politiques déclarés en constituent les pièces. Il s’agit d’une comète dont le noyau comprend à peine une douzaine d’organisations politiques visibles à l’œil nu, outre la chevelure et une queue formée de centaines de particules minuscules voire insignifiantes. Le ratio est sensiblement d’un parti politique par tribu, et vu sous cet angle, l’image est à la fois triste et inquiétante. Cependant, il se peut qu’il y ait vraisemblablement erreur d’optique. » Cet avis est partagé par Ernest Pekeuho, le président du Bloc pour la reconstruction idéale du Cameroun (Bric) dont le parti a pris part aux dernières consultations électorales. « Il n’existe pas plus de 60 partis politiques au Cameroun, pour la simple raison que pas mal de formations politiques ont fusionné ou ont été dissoutes, ou encore sont en cessation définitives  d’activités, dit-il. Le Minatd n’a jamais toiletté le fichier des partis politiques. Donc retenons qu’il y a 298 partis créés au Cameroun depuis 25 ans mais à peine 60 peuvent répondre à l’appel. »

Vincent Sosthène Fouda, président du Mouvement camerounais pour la social-démocratie (Mcpsd) et candidat malheureux à la présidentielle d’octobre 2011, pointe quant à lui la facilité avec laquelle la loi camerounaise permet de créer les partis politiques. Il dénonce également le laxisme de l’administration. « Une lecture attentive de l’histoire des idées et des institutions politiques dans notre pays montre à suffisance que les fondements requis pour la création d’un parti politique dans notre pays ne sont qu’accessoirement mis en application, pour ne pas dire que l’on n’en tient pas du tout compte, regrette-t-il. La dénomination de certains partis politiques est la preuve que l’administration ne fait pas le travail de tri et de canalisation que l’Etat attend de lui en matière d’offre politique dans l’espace public. »

«Opposition électoraliste»
 Sur les 298 partis politiques déclarés, très peu peuvent justifier d’une existence visible à travers un siège, une organisation claire, un programme et des activités au quotidien. D’où l’absence détonante des partis politiques dans l’animation quotidienne de la vie publique camerounaise. Ils ne sont alors visibles et audibles qu’en période électorale. Ce qui fait dire à Serge Banyongen que l’opposition camerounaise est « électoraliste ». Dans un article publié dans l’ouvrage collectif intitulé « Repenser et reconstruire l’opposition camerounaise » (Editions Terroirs – 2014), il soutient que cette propension pour le gros des partis politiques à n’exister que lors des élections, du reste perdues, contribue à la fragiliser dans l’opinion publique. « En fait, écrit-il, l’élection qui est le seul moment d’existence des partis d’opposition camerounais contribue grandement à la désinstitutionalisation de ceux-ci. Ils y arrivent mal préparés, peu connus. Toutes choses qui nuisent lourdement à leur crédibilité et renforcent dans la population l’idée que l’opposition n’a aucun mérite et ne peut pas prendre en charge le destin collectif. »

« Ce n’est pas vrai dans l’absolu, objecte Vincent Sosthène Fouda. La scène politique camerounaise est occupée. Elle manque simplement de relai notamment au niveau des médias. Il n’y a aucun espace, aucune émission qui soit consacrée à la vie et aux activités des partis politiques. Le paradoxe est plutôt dans le fait qu’il y ait autant de partis politiques dans notre pays et qu’ils y aient si peu d’espace, voire pas du tout d’espace d’expression. Les leaders politiques sont donc ainsi confinés à commenter l’actualité et les faits divers dans quelques chaines de radios et télévision. »

Sosthène Médard Lipot du Mrc, préfère quant à lui attribuer la responsabilité de l’atonie globale de l’opposition à la répression politique du début des années dites de braises (1990) et aux entraves multiples des autorités administratives ainsi qu’au clientélisme du « pouvoir », lequel a créé une race de politiciens sans conviction. « Il convient de rappeler, dit-il, que le multipartisme n’est pas nouveau au Cameroun. La seconde phase qui a débuté depuis les années 90 a notamment été marquée par la répression sauvage. Des barbouzes du régime ont fait feu de tout bois, au point d’émasculer certains opposants. En outre, plusieurs fois la malgouvernance a hissé le Cameroun au rang de pays le corrompu de la planète ; aucun secteur n’a échappé à l’hydre, y compris le champ politique. Malheureusement ! Des marchands d’illusions proches du pouvoir ont insidieusement inspiré des gens de la société civile et de la société politique naissante. L’argent sale a plombé l’action politique des rares opposants déterminés et rompus à la tâche, par l’achat de « militants » et de vrais-faux leaders politiques. Le régime a aussi employé les sous-préfets, comme instruments de répression ou d’interdiction des réunions ou manifestations publiques. »

Comment l’opposition camerounaise peut-elle réussir à briser l’hégémonie du Rdpc, parti au pouvoir en étant aussi nombreuse et divisée ? La solution ne se trouve-t-elle pas dans les rapprochements ? « Le nombre croissant de partis politiques peut aussi apparaître comme un besoin des citoyens de combler ce qu’ils croient percevoir comme un vide, estime Vincent Sosthène Fouda. Dans ce cas, il n’est pas indiqué que les leaders politiques s’organisent pour se mettre ensemble. La mise ensemble ne peut s’effectuer que dans un cadre de regroupement idéologique, c’est-à-dire des courants de pensée qui existent sur la scène politique et qui sont décryptables par tous. »

Sosthène Médard Lipot estime pour sa part que c’est la personnalité des fondateurs de partis politiques qui freine toute tentative de regroupement. « Dans la plupart des cas, les fondateurs de ces organisations politiques ne sont pas des leaders politiques au sens propre et noble du terme. Au Cameroun, il est facile d’affirmer que tout citoyen ayant reçu l’autorisation de fonder un parti politique est leader, ou, que son association répond aux normes et modes de fonctionnement des partis politiques, telle que la science politique les conçoit. Tout leader  ou guide d’opinion n’est pas un leader politique. (…) Il revient au Rdpc de s’organiser avec ses partis satellites, pour faire chemin ensemble. En fait, les comparses politiques du principal parti gouvernant sont des partis conservateurs, donc idéologiquement proches du régime qui a besoin de ces béquilles. »

S’unir ou périr 
 En novembre 2012, lorsque le Mrc lance ses activités, son président, Maurice kamto ambitionne de ressembler le maximum de partis politiques possibles pour en faire une véritable force. Deux ans plus tard, son projet ne semble pas avoir prospéré. Et pour cause, les querelles de leadership ont pris le dessus. Maurice Kamto en fait lui-même le froid constat dans un article publié dans l’ouvrage collectif précité (« Repenser et reconstruire l’opposition camerounais »). « L’espace politique de l’opposition, observe-t-il, est accaparé par quelques leaders d’opinion et de partis qui se sont pour ainsi dire “fonctionnarisés“ dans une sorte d’opposition bureaucratique, gérant des positions de rente politique acquises au cours des années dites de braises. Ceux qui se risquent dans ce champ de mines le feront à leurs risques et périls ; car les patriciens de la politique camerounaise se méfient des nouveaux venus. Ils revendiquent un titre de propriété sur l’opposition que leur conférerait une longue présence sur la scène. Ils ont, certes, le mérite des luttes passées, mais ils ne sauraient en inférer un droit/titre sur l’opinion, je veux dire sur le peuple camerounais. »

 Dans ce contexte « d’émiettement extrême » de l’opposition, tout espoir d’alternance est-il perdu ? Pour Vincent Sosthène Fouda, le problème de l’alternance au Cameroun est moins celui de l’opposition que de la société toute entière. « Ce sont les structures étatiques et toutes les structures d’éducation de masse, de formation d’une conscience de l’autre qui sont malades au Cameroun. Ce qui est valable pour les partis politiques l’est dans le religieux, dans l’économie, dans le social. L’alternance n’est pas une affaire de partis politiques, c’est une affaire de maturité politique du peuple », dit-il.

 Mais à l’observation, malgré la grisaille ambiante, quelques nouveaux partis essaient de faire la politique autrement. Leurs leaders tentent d’occuper l’espace public et de surfer sur les insuffisances de « l’opposition traditionnelle ». On peut citer Kah Walla,  Maurice Kamto, Bernard Njonga, Serge Espoir Matomba, Vincent Sosthène Fouda, Olivier Billé, etc.

Jean-Bruno Tagne
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